Fyctia
Prologue (2)
Des cris lui parvenaient du lointain, accompagnés par le sifflement des lames dans la chair. La gorge serrée de douleur tandis que les visages de ses proches s’immisçaient dans son esprit, elle repoussa ces pensées pour se concentrer sur sa tâche. Sa minceur lui facilita l’accès à un couloir aussi petit qu’étroit qui débouchait sur une haute et profonde grotte qu’éclairaient quelques lanternes qui jamais ne s’éteignaient. Elles faisaient danser sur les parois des silhouettes indistinctes, mettant en valeur l’architecture spectaculaire et pourtant naturelle du lieu. Cette caverne formait un cône tapissé d’un minerai lisse. Au centre se dressait un socle au-dessus duquel flottait un orbe de pierre noire.
Yua déchira un pan de sa robe de nuit en se redressant. L’habit, confectionné dans une peau de bête par son père, s’était toujours avéré d’une résistance hors du commun. Toutefois cette nuit, elle ne pouvait pas s’offrir le luxe de prendre son temps et veiller à ses affaires. Elle n’avait pas même songé à revêtir un châle en quittant la maisonnette qu’elle partageait avec son cadet.
Ce dernier se trouvait devant la bâtisse, un couteau à la main. Il tentait d’apaiser sa respiration, concentré sur les bruits alentour. Sa sœur était partie dans la grotte où personne ne risquerait de la suivre : jamais on n’en découvrirait l’entrée, trop petite pour qu’un soldat ait l’idée d’essayer de s’y engouffrer. Et quand bien même il parviendrait à s’y faufiler, son frère savait que Yua aurait déjà caché l’œil dans une minuscule cavité dont seule elle avait connaissance et dont elle ne transmettrait l’emplacement qu’à la personne qui lui succèderait.
Le jeune homme aperçut, à une cinquantaine de mètres de là, le fils du chef de son peuple sortir hébété de la cabane dans laquelle il avait accepté de dormir quelques nuits pour protéger celle qu’il aimait. Face aux soldats, il ne résista pas longtemps en dépit de son indéniable talent de bretteur. Il fut capturé à son tour.
Trois ennemis se plantèrent face au garçon qui reprit ses esprits et serra sa poigne sur son couteau. Gagner du temps. Il n’avait aucune chance contre ces soldats en armure qui brandissaient déjà de longs sabres. Mais il devait les ralentir.
« Allez chercher la prêtresse, il doit être un garde personnel. Je m’en occupe. »
Le jeune homme cilla : comment savaient-ils qu’il existait une prêtresse… et savaient-ils où la chercher ?
Il n’hésita pas une seconde ; tendant sa main libre devant lui, paume ouverte, il en fit jaillir un rayon de lumière tel qu’il déstabilisa l’ennemi sur qui il se jeta. Peu entraîné, il manqua son attaque alors qu’un mouvement du sabre face à lui l’obligeait à reculer.
« On se déploie ! »
Le soldat du milieu avait lancé cet ordre avec un aplomb tel que son grade laissait peu de doute : il était plus important que celui de ceux qui s’élancèrent l’un à gauche, l’autre à droite, pour échapper à leur opposant. Le garçon tenta de projeter un mur d’ombre, trop tard néanmoins. Lui qui n’avait jamais appris à se défendre, comment résisterait-il seul à trois guerriers endurcis ?
« Non ! »
Il se précipita à leur suite, immédiatement stoppé par une douleur fulgurante qui lui déchira le mollet. Une lame s’y était enfoncée, traversant le muscle et sans doute jusqu’à l’os. Figé par la souffrance et le désespoir, le corps plus tendu que la corde d’un arc, sa respiration s’accéléra soudain alors qu’une larme lui échappait. Submergé par trop d’émotions à la fois, il trembla, pria pour le salut de son aînée.
Pourquoi ces hommes s’en allaient-ils exactement dans la bonne direction ? Bon sang, comment savaient-ils ? Tétanisé, il ferma les paupières. Il se rendit compte que les bourrasques hiémales portaient avec elles les hurlements des siens, néanmoins… qu’y faire ? Sans formation au combat, trop hébété pour réagir, il ne représentait qu’un poids mort pour son peuple. Il n’avait même pas pu empêcher…
« Lâchez-moi, par Hiémis ! »
Ce cri perçant lui vrilla les tympans, et quand il rouvrit les yeux, il se demanda combien de temps il était resté ainsi immobile, inutile, la jambe brûlante de douleur. Yua était retenue par un soldat qui la forçait à avancer tandis qu’un autre tenait un orbe noir de pierre polie. Le garçon paniqua à son tour.
« Vous n’avez pas le droit ! Cette pierre nous appartient ! Elle appartient à notre peuple ! Bandits ! Forbans !
— Un mot de plus et j’exécute la demoiselle, » le menaça avec son étrange accent celui qui la maintenait en glissant un couteau sous sa gorge.
Il peina à contenir sa rage qui lui sembla courir jusque dans son sang qui ne fit qu’un tour : il se pencha, arracha dans un cri de douleur la lame qui l’avait atteint au mollet et, dans un geste magistral, il la lança avec une précision déconcertante. L’homme qui retenait sa sœur s’effondra, la pointe dans la tempe.
Celui qui supervisait l’opération bondit en direction de la femme qui avait déjà tiré d’un fourreau sous sa robe un poignard qui faisait pâle figure devant le sabre adverse. Pourtant, quand le combat s’engagea, l’issue n’en paraissait pas écrite d’avance : Yua parait et rendait coup pour coup, bien plus à l’aise que son frère avec une arme blanche. Son rôle de prêtresse l’obligeait, malgré son absence de pouvoirs, à défendre l’œil de Hiemis, et ce au prix de sa propre vie.
Un sang chaud coulait sur la cheville du jeune homme qui observait le duel avec un intérêt fébrile, le cœur tambourinant contre ses côtes à l’idée qu’il s’agissait peut-être des derniers instants qu’il vivait auprès de sa sœur. Il s’efforça de se concentrer pour matérialiser un mur d’ombre susceptible de déstabiliser l’assaillant, mais la panique ne lui permettait pas l’attention adéquate. Il n’avait jamais été amené à intervenir en pareille situation, de sorte qu’il se sentait noyé par les évènements.
Yua s’apprêtait à porter le coup fatal quand son frère repéra un éclat métallique.
« Derrière toi ! »
Elle fit volte-face en même temps qu’elle esquissait un agile bond de côté qui lui sauva la vie. La lame de l’homme qui avait rangé l’orbe dans une sacoche s’abattit sur l’épaule de la jeune femme qui poussa un hurlement de douleur.
« Yua ! »
L’adrénaline annihilant soudain toute douleur, il s’élança au secours de sa sœur. Il ne l’avait pas encore atteinte qu’elle releva sur lui un regard triste qui s’illumina tout à coup d’une étincelle d’horreur.
« Attention ! »
La dernière chose qu’il perçut fut le choc d’une rare violence qui lui percuta l’arrière du crâne. Un quatrième homme avait profité de ce que l’attention soit centrée sur Yua pour se dissimuler dans les ténèbres et attendre le moment parfait pour agir.
Le garçon eut juste le temps de voir un garde attraper sa sœur pour lui nouer les poignets dans le dos. Il s’effondra, inconscient, toujours incapable d’assimiler ce qui venait de se passer. Tout ce qu’il savait, c’était qu’il avait échoué à protéger sa famille, les siens, et l’orbe sacré.
2 commentaires
Julie Emilie M
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Il y a 7 mois
Lilaas93
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Il y a 7 mois