Fyctia
15.Maéva.2/3
J’attarde un dernier regard sur le parking pour m'assurer de ne pas avoir manqué le passage de Coral, mais tout ce que je vois c’est une voiture bizarre, carrée et « rouge Ferrari » : c’est impossible de la louper au milieu des énormes pick-up, et autres berlines.
—Bon, alors. Tu te bouges ? Clame Rebecca en m’entraînant à sa suite.
Je proteste mollement, puis me résous. On est lundi ; il me reste toute la semaine pour m’excuser auprès de Coral, et quand bien même, je sais que ma meilleure amie est une fan invétérée des White Crows. Plus particulièrement de Lenny. Elle ne raterait l’opportunité d’assister à un de leur concert pour rien au monde. Surtout pas s’il à lieu ici, dans notre Fac.
Je n’avais pas prévu de revoir Lenny si tôt. Quatre malheureuses petites heures sont passées depuis notre baiser, si bien que je ne sais toujours pas ce qu’il signifiait, et encore moins comment je vais devoir agir, maintenant.
Et comment il va réagir, lui ?
À l’évidence, je suis la reine des questions rhétoriques. Lenny va fuir. Si ça se trouve il est déjà loin à l’heure qu’il est. Ça devrait me soulager, j’imagine que ce serait une réaction logique, pourtant c’est tout le contraire : Je m’inquiète.
Quand nous atteignons l’accès habituellement réservée aux secours située à l’arrière de l’université, je m’étonne qu’il n’y ait pas foule.
Les portes s’ouvrent dans un grincement strident, tant le gymnase est vide et le temps de lancer un regard rapide sur ma tenue —juste au cas où, Becky s’est plantée aux pieds de la scène improvisée de l’autre côté.
Je me glisse dans son dos et fais mine de me concentrer sur les enceintes, comme si j’y connaissait quelque chose : ce qui n’est pas le cas.
— J’ai hâte que ça commence, j’ai affreusement besoin de me changer les idées, pas toi ?
—Tu m’étonnes, je lâche sans le vouloir.
Rebecca hausse des sourcils appréciateurs, et je fronce les miens quand elle affirme que ça se voit sur mon visage. Mes yeux font le tour de la salle une énième fois —ce qui ne dur pas longtemps puisque nous ne sommes qu’une petite trentaine à nous êtres regrouper dans le gymnase. La majorité des spectateurs sont des nanas, et les mecs qui les accompagnes tirent des tronches de six pieds de long. Tous sont agrippés à leurs téléphones, certainement aux aguets de ragots bien croustillants.
Comme prévu, Lenny est sur toutes les lèvres. J’imagine qu’ils commentent la énième défection de Lenny lorsque mon cœur se bloque et refuse de repartir. C’est ce moment qu’il choisit pour apparaître dans mon dos. Becky manque de m’exploser une côte avec son coude et je l’observe prendre possession de la plateforme provisoire d’un pas nonchalant et sourire à une nana habillée comme la reine des neiges, depuis un coin sombre de la scène.
Il est resté ! Je devrais être ravie, pourtant une douleur s’installe dans ma poitrine.
J’espérais que Lenny serait un peu plus atteint après ce qu’il s’est passé. Qu’il serait un peu moins… normal.
Les trois autres membres des White Crows le rejoignent sur l’estrade, et chacun prend place derrière son instrument, quand Lenny s’empare du micro sous l’incompréhension de Dylan, le chanteur du groupe. Un dernier regard par-dessus mon épaule me confirme que Coral n’est pas encore arrivée, néanmoins je reste persuadée qu’elle ne tardera pas.
Quelqu’un tapote sur le micro et je me tourne de nouveau pour faire face à la scène.
— Mesdemoiselles, messieurs, chantonne Lenny. Quand des voix de hyènes hystériques résonnent partout, j’ai soudain la furieuse envie de leur hurler de la fermer !
—Elles sont insupportables ! grommelle Rebecca en croisant ses bracelets contre sa poitrine.
Je reste silencieuse, me contentant d’acquiescer intérieurement.
—Ça vous dérange, si je me mets là ? Demande une tignasse brune et frisée en indiquant un emplacement du bout de son indexe.
Aussitôt, le jeune homme subit l’analyse pointilleuse menée par ma voisine. Et quand je croise le regard illuminé de Rebecca, je peu y lire qu’à ce moment précis elle troquerait volontiers ses bracelets contre une bague de fiançailles. Voire, la clé d’une chambre d’hôtel.
Je soupire en secouant la tête. Comment peut-on oublier si rapidement son… copain ?
—Tu es…
—Léo, il la coupe en gardant son doigt pointé vers le sol qui semble se dérober aux pieds de Becky. Je suis le…
—Le guitariste du groupe, le coupe-t-elle à son tour, me faisant sourciller. Le remplaçant de Lenny, ajoute ma camarade, le souffle court et rauque.
De mieux en mieux. Je n’ai pas été très assidue concernant les actus du groupe, en revanche je savais qu’ils avaient trouvé quelqu’un pour remplacer leur guitariste vedette, seulement là, c’est le « copain » de Rebecca qui semble avoir perdu sa place.
Des doigts tapotent contre le micro, et je me rends compte que les chuchotements s’intensifient autour de nous, tandis que les gloussements sont montés d’un cran.
Lenny secoue la tête en levant les yeux au ciel et, quand je crois qu’il va les poser sur moi, plusieurs filles se sont agglutinées devant nous et me bouchent la vue.
Rebecca bafouille quelque chose mais elle est tellement surexcitée que je ne comprends pas.
—Merci d’être venus… en nombre, lance ironiquement Lenny, une main fébrile ramenant ses cheveux en arrière tandis qu’il balaie le gymnase d’un regard qui trahit une forme d’anxiété, malgré l’air sûr qu’il tente d’afficher.
Les filles devant nous tendent le cou, alors que Dylan pose une main vigoureuse sur son épaule. S’ensuit un court échange inaudible, et Lenny congédie Dylan, le reléguant au fond de la scène, à côté de Marcus, le bassiste du groupe. Un regard mauvais planté dans son dos.
—Assassin ! Lance quelqu’un derrière moi.
—Ta gueule ! Lui hurlent la moitié des filles présentent.
— C’est… quoi… ce… délire ? Je lâche dans un souffle d’étonnement qui parvient jusqu’à Rebecca.
— Tu vis dans une grotte, ou bien tu es Amish ? Me demande-t-elle, puis Becky me détail en soupirant. Ouais, non, t’es pas Amish.
— Tu sais ce que… je débute sans jamais finir ma phrase, quand elle pointe le profil Instagram de Trevor Harington sous mes yeux écarquillés.
— C’est juste la bombe de la journée, il faut le faire exprès pour être passé à côté ! Tonne ma voisine alors que je découvre ladite bombe.
Très vite, je comprends pourquoi nous sommes si peu nombreux dans ce gymnase devenu trop grand. Lentement, ce qui devait être un moment festif, se transforme en une sorte de tribunal urbain dont la moitié des intervenants se sent à la fois l’âme du juge et du bourreau.
Assassin. Meurtrier… Je déglutis, le cœur serré, plus touchée par ces mots que celui à qui ils sont destinés. Son cinglé de père entre d’office dans ma liste noire et prend aussitôt la première place, loin, très loin devant les autres. Le poste Instagram dépeint Lenny en le faisant passer pour un psychopathe colérique, aux crises si violentes qu’il en a fait fuir sa propre mère !
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