Fyctia
9. Lenny. 4/5
—C’est vrai que vous ne vous connaissez pas… marmonne soudain Maéva, une pointe d’amertume dans la voix. Un ton amer qui prend tout son sens quand elle lance, ironique : Amélia et Lenny sortaient ensemble pendant des mois, pourtant vous ne vous connaissez pas…
Mon cœur se pince à mesure que son regard se plisse, remplit de reproches silencieux envers sa mère.
—Eh bien… il est temps de remédier à cela, affirme Holly, feignant de ne pas avoir saisi les sous-entendus flagrants. Vous désirez peut-être boire quelque chose ? Elle lance dans ma direction.
Attends. Quoi ?
—Si il veut… ? Ricane Maéva. Bien sûr qu’il veut. Môssieur Lenny Harington a toujours soif, voyons.
Et, mademoiselle Williams n’a pas le réveille facile !
—Un café, s’il vous plaît, j’annonce en retenant un rictus nerveux.
—Nous ferions mieux de rentrer, nous intime Holly. Pour une fois nous sommes d’accord sur quelque chose.
J’ignore les réflexions à répétition de Maéva au sujet de mes nombreux excès. Elle est très bien renseignée, ce qui ne m’étonne pas puisque je sais à présent que le profil Instagram « Bob l’éponge » lui appartient. Ce même profil qui, durant de longs mois, n’a pas cessé de liker les post sur le mien et celui des White Crows, avant de se désabonner subitement en Août dernier. Dylan et les autres m’ont pas mal charrié à cause de celui que nous prenions pour un homme, raide dingue de moi.
En passant la porte donnant sur un petit vestibule, je souris doublement. À cause du propriétaire du fameux profil Insta, et parce que même si ce n’est pas la première fois que je pénètre dans ce duplex de luxe, c’est bel et bien l’unique fois où je ne me vois pas contrains de passer par la fenêtre.
Holly me propose de me mettre à l’aise tandis qu’elle se rend à la cuisine adjacente au salon, je refuse poliment en prétextant préférer rester debout. Alors qu’elle s’affaire et qu’un délicieux arôme de café envahit la pièce, j’en profite pour étudier les lieux.
Le salon et la cuisine prennent tout l’espace du rez-de-chaussée, soit environs 150m², qui ne sont occupés que par quelques meubles. Dont une petite bibliothèque disposée près d’une table basse en fer forgé qui coupe l’espace entre un canapé en cuir blanc et un écran géant accroché à un mur. Une porte de couleur crème garnie de moulures cache une petite pièce située sous l’escalier proche de l’entrée, et l’immense table du salon est littéralement envahit de cartons divers, ainsi que de petits objets brillant sous les spot fixés au plafond d’une hauteur de trois mètres.
—Ce sont des bijoux Fantasy, pour le marché de Noël, m’informe Holly en revenant, une tasse de café fumant disposée sur un plateau en argent massif.
Que de chichi, pour une tasse de café !
—C’est quoi ce délire ?! S’écrie tout à coup Maéva.
Holly manque de renverser le plateau qu’elle parvient à rééquilibrer de justesse, avant de porter son regard sur un des cartons.
—Me dis pas que tu comptes balancer ses affaires à la poubelle !
—Poses ça, tu veux ! S’horrifie Holly. Je fais de la place, on ne peut pas garder tout ça ici, alors qu’elle n’est plus là…
—« Elle »… elle !! Elle s’appelait Amélia, tu te souviens ? C’est toi qui lui a donné ce prénom, au cas où tu l’aurais oublié !
—Maéva, ça suffit ! Je n’ai pas besoin que tu me rappelles qui était ma fille et comm-
—Si !! tranche Maéva. Visiblement tu as besoin que quelqu’un te le rappelle ! T’es pas la seule, d’ailleurs ! Elle crache en me foudroyant du regard.
Le carton en main, à trois pas de moi, si proche que je perçois les mouvements de sa poitrine qui se gonfle, alors que sa gorge se noue. Le visage de Maéva prend le même air que celui qu’il arborait quand je l’ai trouvée assise dans l’herbe : enfouit et triste derrière ses cheveux blonds.
—Amé-… souffle-t-elle d’une voix poignante. Amélia n’était pas celle que tu crois, que vous croyez tous. Elle… elle était…
—Je te signal que nous avons un invité, bougonne Holly, impassible devant la détresse de sa propre fille.
Je me suis trompé sur l’affection que cette femme éprouve pour sa fille. Les gens de la haute bourgeoisie ont toujours eu tendance à m’énerver avec leur manies de ne rien vouloir laisser paraître de leurs émotions. Pourtant, j’arrivai à comprendre leurs motivations. Or, Holly ne joue pas un jeu, j’en suis certain à présent. Cette femme n’est juste pas capable d’aimer celles et ceux qui ne sont pas comme elle. Pas même ses propres filles. Le simple fait qu’elle ait songé à se débarrasser des affaires d’Amélia, trois mois et demi après son suicide, prouve une fois de plus que cet amour maternel, celui censé être plus fort que tout, n’est rien de plus qu’un idéal fantasmé.
—Allez au diable !! toi, tes invités et tes putains de bijoux !!
—Maéva ! S’offusque Holly quand cette dernière balaye le contenu de la table d’un revers furieux de la main, avant de se précipiter à l’étage d’où elle fait claquer une porte.
La femme coincée dans un tailleur de grande marque se contente de rester muette pendant ce qui me paraît une éternité. Les yeux rivés sur les morceaux de matériaux brillants sur le plancher carrelé, alors que son visage demeure neutre.
—Vous allez devoir lui dire la vérité, je marmonne en tentant de contenir ma rage. Tant que Maéva pensera que sa grande sœur était un exemple à suivre, elle ne pourra pas faire son deuil, correctement.
Je souffle en passant une main dans mes cheveux, exaspéré par le manque de réaction de l’iceberg face à moi, les doigts ancrés sur le plateau d‘argent. Mes propres démons risquent de refaire surface, alors je me résigne à les laisser seules, le cœur lourd en sachant que Maéva n’est pas prête d’arriver au bout de ses souffrances. Tant que sa mère lui mentira. Tant qu’elles se mentiront l’une l’autre en faisant comme si rien n’avait changé, elles se cloisonneront dans cet interminable tunnel froid et obscure.
Condamnées à ne jamais percevoir la lumière de l’apaisement.
—Je-… je n’ai pas eu l’occasion de vous remercier, murmure Holly quand je tourne le dos en direction de la sortie.
Je stoppe le pas, surpris par ces mots qui lui ont demandé beaucoup d’efforts. J’ose un regard par-dessus mon épaule, prêt à lui affirmer que c’est normal. Que, malgré tout, moi j’aime ses filles et que Maéva mérite qu’on la soutienne et que dire la vérité ne souillera en rien la mémoire d’Amélia. Pas si c’est pour que sa petite sœur aille mieux. Or, j’éprouve bien trop de haine et de rancune envers cette femme. Alors je vais au plus simple.
—Ce n’est pas nécessaire, j’argue en dissimulant tant bien que mal la colère. Je n’ai pas fais ça pour vous, mais pour elles.
—Je sais… balbutie-t-elle. Je n’ai pas toujours été franchement sympathique, avec vous, et je sais que ma fille… mes filles, ont beaucoup de chance de vous avoir pour ami…
Ces mots trottent dans mon esprit quand mes doigts effleurent le creux de mon poignet droit. Là, je ne tiens plus. Il faut que ça sorte.
2 commentaires
Mily Black
-
Il y a un an
Emeline Guezel
-
Il y a un an