Au8drey Les bals de Noël Noël 2015 (1/2)

Noël 2015 (1/2)

_ Bonjour papa.

_ Bonjour ma chérie. Bien dormi ?

_ Impec et toi ?

_ Impec.

Il me fait un clin d’œil. C’est notre truc quand ma mère n’est pas dans les parages. Notre langage est plus familier, plus simple, plus vrai.

_ Alors ce premier bal ? Tu as aimé ?

_ Franchement ? Bof.

_ Trop guindé ?

_ Beaucoup trop. Je pensais que se serait plus fun, plus amusant.

_ C’est parce que tu es jeune. Ce n’est pas intéressant pour toi pour le moment. Mais plus tard, je suis sûre que cela te plaira.

_ Je ne sais pas papa. Peut-être que je ne suis pas faite pour ce monde.

Il me regarde, silencieux mais songeur. Il sait ce que j’insinue. Il s’apprête à me répondre mais Adriana entre au même moment.

_ Bonjour vous deux. Toujours les premiers levés !

_ On ne change pas une équipe qui gagne, je lui réponds en souriant.

_ Ca va ma belle, me demande-t-elle en m’embrassant sur la tempe.


J’esquive la réponse et lui demande ce qu’elle a pensé du bal. Nous parlons des invités, de la musique, de la nourriture. Discuter avec Adriana a toujours été facile et plaisant. Tellement simple en comparaison de ma mère. Adriana s’intéresse réellement à moi. Je lui apprends que j’ai remporté le solo de piano et elle me félicite chaleureusement. Elle en profite pour me demander mes dates de représentations de piano et de danse et les inscrits dans son agenda. J’ai commencé à l’âge de cinq ans, et elle a toujours été présente à chacun de mes spectacles. Le reste de la famille Mitchell nous rejoint dans la cuisine, qui devient vite bondée. Heureusement, elle est grande.


Avec Emma et Marc nous décidons de sortir dans le jardin. Il fait froid mais le soleil brille, haut et fort, dans un ciel dépourvu de nuage. Je sors mon appareil photo de sous mon pull ample, et je prend des clichés du jardin, de Marc et d’Emma. Quand j’ai commencé il y a cinq ans, ils n’étaient pas à l’aise, mais maintenant, ils n’y font plus attention. J’ai eu mon premier appareil photo par papa, un cadeau d’anniversaire secret. Il l’avait déposé sous mon oreiller, pour que ma mère ne le découvre pas. Mon père avait pris conscience que j’étais une petite fille effacée, en retrait, mais très observatrice. Il avait remarqué mon intérêt pour les peintures de la maison, et m’avait offert un kit complet pour dessiner et peindre, en secret encore une fois. Sauf que je m’étais vite rendu à l’évidence que je n’avais pas de talent. Et un jour, il avait trouvé les photos que je prenais avec son téléphone. Des selfies en nombre, mais pas seulement. Il y avait des portraits, des instants en famille, des paysages. Un même cliché travaillé plusieurs fois avec une luminosité ou un cadrage différent. Et c’est là qu’il a eu l’idée de l’appareil photo. A ce jour, le plus beau de tous les cadeaux que j’ai pu avoir. Pouvoir exprimer à l’aide d’une photo ce que je ressens, transmettre mes émotions à l’aide d’une photo. Cela n’a pas de prix quand on vous interdit de vivre votre vie, de parler, de faire vos propres choix. Mes photographies sont sincères, pur, simple, là où ma vie n’est que faux semblant.


Mon père nous appelle et nous rentrons dans la maison. Nous nous installons à table, et papa dit le bénédicité. Si il y a une chose que j’apprécie dans ma vie, c’est la nourriture. Le chef cuisinier est vraiment doué, et les repas sont toujours succulents. Pendant que les adultes discutent entre eux, j’observe Travis discrètement, essayant de comprendre ma réaction de la veille. Il n’a pas changé depuis l’année dernière, et moi non plus. Je pense même que j’ai un problème. Les filles à l’école sont obsédées par les garçons, même Emma a un petit copain. Alors que moi, je n’y pense pas, ni aux filles, ni aux garçons. Peut-être que c’est juste ça. Ma sexualité s’est enfin réveillée, mais ça n'a rien à voir avec Travis. Il est le frère de ma meilleure amie, et il a dix ans de plus que moi, beaucoup trop vieux. Je me rassure en me disant que ce sont mes hormones qui me travaillent et je me concentre sur Marc et Emma qui parle de la chanteuse Adèle et de sa musique qui cartonne.


A la fin du repas, nous passons dans la salle de réception. Le sapin est magnifique. Papa et moi l’avons décoré ensemble. D’habitude maman et Léo y participent, mais mon frère était encore à l’étranger, et ma mère nous a dit de le faire sans elle. Cette année, la couleur dominante est le rouge, avec des touches de vert. La guirlande lumineuse qui diffuse une lumière chaleureuse et l’étoile blanche comme de la neige, sont les seules décorations identiques chaque année. Mon père me porte sur ses épaules pour que j’accroche l’étoile au sommet du sapin. Sûrement l’une des dernières années où il peut encore le faire. Il faudra bientôt prévoir un escabeau. Certes je suis petite avec mon mètre soixante, mais mon père ne va pas en rajeunissant. Je m’installe ensuite au piano, et Marc me suit en chantant « We Wish You A Merry Christmas » de sa voix mélodieuse de baryton. Tout le monde nous applaudit, puis c’est l’ouverture des cadeaux. Cela fait des années que je ne fais plus de liste. Ma mère n’en a jamais tenu compte. Alors à quoi bon ? Attention, je ne suis pas à plaindre. C’est juste que les cadeaux de ma mère ne me correspondent jamais. Là où j’aime les livres parlant d’aventure et de voyage, elle va m’offrir des encyclopédies ou des thrillers. Moi qui déteste avoir peur ! Pour les vêtements, je n’ai aucun style, ça ne m’intéresse pas, alors ce n’est pas grave. Mon père me tend une enveloppe. A l’intérieur, j’y trouve un certificat de plusieurs actions qui vont venir gonfler mon portefeuille d’actions déjà bien rempli. Je le regarde, sceptique, et il me fait un clin d’œil avec un signe de tête, l’air de dire « continue ». Je retourne le certificat et aperçoit sur le rebord de l’enveloppe un mot écrit de la main de mon père « Un livre sur la photo ». Avec le temps, papa et moi avons élaboré une stratégie pour que ma mère ne trouve pas les biens qui me sont précieux et qu’elle considère comme inutile. Et il m’a aidé à créer une cachette dans ma penderie. Je le remercie aussi chaleureusement que possible mais pas trop. Il ne faut pas que j’éveille les soupçons de maman.




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