Fyctia
Chapitre 4
Appeler une créature avec laquelle un lien avait été établi n’était jamais à proprement parler agréable. Enfin, Astérios ne pouvait pas savoir si c’était spécifique aux marques des sauriens, où à tout lien établi avec une créature. Parce que le contrat qui l’avait passé ne l’autorisait pas à se lier à qui que ce soit d’autre. Un contrat d’exclusivité. Mais cela lui importait peu, dans la mesure où il avait obtenu le soutien de la créature la plus puissante et la plus noble. A ses yeux. Même s’il se vantai de son objectivité sur ce point.
Quelque chose dans sa poitrine tira douloureusement, et Astérios grimaça. Sa respiration se fit plus lourde, plus laborieuse, à mesure que l’air autour de lui se faisait plus lourd, plus humide et plus chaud. Il haletait lorsque les frottements stridents d’écailles les unes contre les autres l’entourèrent soudain.
Le dragon à qui il avait lié son âme était un dragon des mers. Il avait le corps long, comme une anguille gigantesque, doté de la même souplesse que les algues. Il était recouvert d’écailles comportant toutes les nuances de bleu, de vert et de violet qu’il devait exister. Des nageoires semblables à de la dentelle parsemaient son corps çà et là, comme un voilage blanc. Mais ce qu’Astérios avait le plus l’occasion d’observer avec attention, c’étaient les yeux brûlants comme le cœur d’un volcan de la créature, et ses crocs, aussi longs qu’un bras et aiguisé comme la meilleure lame qu’il devait avoir à bord.
Le saurien s’enroula paresseusement autour du frêle corps d’Astérios, qui se demandait comment il était possible que ses écailles affutées comme des rasoirs ne réduisent pas sa peau en lambeaux.
- Ton cœur bat vite, et tu es couvert de sueur. Tu empestes la peur… Mais je ne connais rien qui puisse faire peur au Lié d’un saurien. Serait-ce moi qui t’inspire une telle terreur, humain ? siffla le dragon.
La peau d’Astérios se recouvrit de frisson. La voix du dragon était roque, éraillée, comme le bruit d’une coque heurtant des récifs à fleur d’eau, aussi sifflante que les embruns marins.
- Je n’oserais pas te faire un tel outrage, tu le sais bien. Mon âme t’appartient déjà, je te l’ai offerte, répondit Astérios en essayant de reprendre contenance.
- Echangée. Tu me l’as échangée contre ma protection, humain.
- Oui, contre ta protection. Mais il semblerait que tu aies failli, saurien.
A peine Astérios eut-il formulé sa phrase que les anneaux du dragon se refermèrent, violement, sur le corps du pirate, serrant douloureusement chaque membre. Il gronda, sa langue venant caresser sa joue et son cou comme pour goûter une proie trop téméraire.
- Un saurien protège ce qui est sien. Oserais-tu dire que je n’ai pas respecté mes engagements ? Que j’ai bafoué le serment qui te lies à moi, humain ? demanda-t-il avec colère, la pointe de ses crocs encadrant le cou désuet d’Astérios.
Astérios déglutit bruyamment. Un nuage opaque sorti de la gueule du dragon l’enveloppa, et les écailles autour de lui entaillèrent sa peau partout où elle était accessible. Ses cotes imploraient que la pression cesse sous peine de casser. Les dragons plaçait leur honneur tout en haut de la pyramide de l'importance, et ils agissaient afin de préserver cet honneur. En tenant leurs engagement, en ne mentant pas, jamais. En protégeant leurs affiliés et en défendant leurs contractants. Sous entendre qu'un dragon avait failli à son devoir était la plus dure des insultes qu'il puisse exister.
- Je t’ai appelé, réussi à dire Astérios avec le peu d’air qu’il lui restait. J’ai appelé, et tu n’es pas venu.
Et parce que les sauriens étaient capables de détecter les intentions des humains, parce qu’Astérios ne mentait pas, parce que le saurien connaissait un tant soit peu l'humain à qui il s'était lié, il lui accorda le bénéfice du doute. L’étreinte autour d'Astérios se fit plu slégère, et les écailles meurtrières se retirèrent en douceur, le berçant doucement tandis que le dragon bougeait, pour plonger ses yeux dans ceux d’Astérios. Le pirate sentit nettement quelque chose gratter à la lisière de sa conscience. C’était désagréable, comme un millier de fourmillement et de petits éclairs qui descendait de son crâne et dans son dos. Mais il ne lutta pas, et ne chercha pas à fuir la créature.
- Tu es fascinant, siffla le saurien. Les humains sont des créatures puériles, peureuses et fourbes. Mais toi… Toi tu es différent. Tu es droit. Tu ne te dérobe pas, dit-il, comme fasciné.
Sa langue essuya une perle de sueur sur la tempe d'Astérios.
- Cela va être douloureux, annonça-t-il.
L’instant d’après, Astérios eut l’impression qu’on venait de lui asséner un puissant coup derrière la tête, mais il ne se débâtit pas. Il sentait l’esprit du dragon, dans sa tête. C’était douloureux, effectivement, comme si le dragon se déplaçait physiquement à l’intérieur de sa boite crânienne, piétinant son cerveau sur son passage. Astérios gémit douloureusement. Couina même. Mais implacable, le dragon ne le relâcha que lorsqu’il eut obtenu ce qu’il voulait.
Astérios s’effondra lorsque le dragon le relâcha, tant mentalement que physiquement. Il était tremblant et voyait trouble. Il leva un bras incertain vers le rebord en bois de son lit et s’y appuyant comme il put pour se redresser. Il faisait une chaleur étouffante, il était trempé. Et sous ses yeux, le dragon remuait. Il était agité. Astérios ne l’avait jamais vu ainsi.
Il lui semblait que, passé un certain temps, le dragon commença à rétrécir progressivement et, pendant plusieurs minutes, il ne su si le saurien devenait effectivement plus petit où si ses yeux fatigués lui jouaient des tours. Il s’appuya contre la carlingue du bâtiment, et l’arrière de son crâne heurta le bois de la soute, le faisant grimacer. Il avait l’impression de s’être fait rouler par une vague mesquine contre des coraux vicieux. Il se demandait même s’il était réellement possible qu’il n’ait rien de cassé.
Il sursauta lorsque de mains aussi chaudes qu’un soleil de midi tapant sur le pont se posèrent sur ses bras, effleurant sa peau jusqu’à son cou et son crâne. Face à lui, il avait un être d’apparence humaine, mais les yeux luisants comme la plus chaude des fournaises ne trompait personne.
- Je ne savais pas que les dragons pouvaient prendre forme humaine, murmura Astérios.
- Il y a tant de choses que ton peuple ignore du mien, humain. Mais aujourd’hui, tu m’as appris l’humilité. Et j’ai failli à mon honneur. Je t’ai blessé.
Entendre cette voix aussi hachée que les vagues sur une plage de galet sortir de la bouche d’un être d’apparence humaine était assez perturbant. Quoi que l’enveloppe charnelle occupée par le saurien n’avait pas grand-chose d’humain. Il avait une peau couleur de bronze, de longs cheveux ondulés aussi rouges qu’un soleil au crépuscule.
Il se pencha vers Astérios et, lorsqu’il se redressa, une perle de sang rouge roulait le long de son index.
9 commentaires
MarionH
-
Il y a 3 ans
Ghabriel Iwaly
-
Il y a 3 ans
PS ou Sam
-
Il y a 3 ans
Ghabriel Iwaly
-
Il y a 3 ans
Bodo_Bogen
-
Il y a 3 ans
Ghabriel Iwaly
-
Il y a 3 ans
Amphitrite
-
Il y a 3 ans
Ghabriel Iwaly
-
Il y a 3 ans