Jay H. L'équivoque de l'épilogue Chapitre 8

Chapitre 8

Si je devais résumer avec mes propres mots la fin de la discussion avec cette chère Joëlle, je dirais que j’ai vécu un évènement tellement intense qu’il m’a contraint à enfouir les informations enregistrées depuis ma naissance jusqu’à maintenant. Oui, je pense que c’est plutôt bien synthétisé (sans m’envoyer de fleurs).


À vrai dire, je ne suis pas convaincu que nous parviendrons à trouver cette flamme au fond de mon être qui pourra faire renaître mon histoire personnelle. Pour trouver ce feu gisant en moi, il faudrait que je sois capable de savoir ce que j’aime ou non et pour l’instant, je peux simplement affirmer que je n’apprécie pas particulièrement la présence du Doc et de François le bourrin, que l’ambivalence de Marianne est attrayante, que j’aime discuter avec Joëlle car elle me donne de l’espoir et que je voue une adoration sans nom pour le cadre offert par cet endroit de rêve. Mais à part ça, rien de bien concret.


Après avoir conclu notre conversation, ma psychologue en chef est allée récupérer différents outils de travail. Une toile blanche posée sur un trépied, des pinceaux de diverses tailles, une palette de couleurs et un verre d’eau. Oui, parce qu’elle est persuadée que cette fameuse étincelle logée en mon for intérieur sera « ranimée par l’expression de l’Art (avec un A majuscule) ». Je retranscris ses dires, rien de plus.


Ma première œuvre d’art ressemblait plus au gribouillage confus d’un enfant de quatre ans mal luné qu’à du Van Gogh alcoolisé et créatif (remarque, heureusement pour moi, sinon j’aurais fini par me sectionner l’oreille). Joëlle, quant à elle, m’a dit ce qu’elle en pensait. Et elle était on ne peut plus sincère : « Oui, c’est pas mal ! ». OK, merci Joëlle, mais soyons vraiment honnête, c’était à chier !


Après cette tentative infructueuse, j’ai eu droit à de l’argile pour matérialiser mon talent de sculpteur. Cette fois-ci, nous n’étions vraiment pas loin de la catastrophe. Le gros tas de merde qui a quelque peu éclaboussé le tailleur sur mesure de Joëlle ne représentait pas réellement ce que j’avais conceptualisé. En somme, nous étions loin des courbes féminines de la Vénus de Milo.


Ce fut ensuite au tour du chant de me ridiculiser. Ouais, mes cordes vocales, en accord avec l’absence totale de rythme dont je faisais preuve, ont trahi une certaine envie de détruire l’harmonie des plus belles mélodies qui aient été composées.


Entre deux échecs, Marianne m’a servi une citronnade bien fraîche, histoire de faire passer ce goût amer de défaite. Toujours ce petit sourire en coin et ce regard intimidé qui ne me laissent pas indifférent. Je sais ce que l’on appelle l’attirance, mais ma mémoire me refuse l’accès à toutes les alchimies que j’ai pu avoir par le passé. François, lui, me donnerait envie de bannir définitivement le souvenir des relations humaines. Il s’est littéralement foutu de ma gueule à chacun de mes ratés, feignant de s’inquiéter pour moi : « Si vous avez besoin d’aller aux toilettes, prévenez-moi », « Ça va, pas trop de frictions dans les jambes ? », « Vous avez faim ? ». À chacune de ses interventions inutiles, je l’ai vu se retourner, marcher quelque pas et se bidonner sous cape. Quelle ironie de penser que finalement, ce type a peut-être des dents !


— Je crois que j’ai trouvé ! dit Joëlle d’un air enjoué.


Qu’est-ce qu’elle a bien pu « trouver » ? Je prends de la hauteur sur l’horreur que je viens de dessiner (qui se voulait être à l’origine un croquis d’une annexe de la maison) et je commence à me lasser de devoir avorter tout ce que j’entreprends au lieu de profiter de l’horizon et du coucher de soleil.


— Je pense que nous avons cette fois les bons outils, poursuit-elle penchée par-dessus mon épaule, mais que vous les utilisez à mauvais escient.


Une moue, un haussement de sourcils, et je me tords le cou pour la regarder, dans l’attente de la révélation de l’année (de la journée, en ce qui me concerne). Elle me sourit, les yeux pétillants.


— Oui Jonathan, c’est ça ! Retournez la feuille s’il vous plait.


Je fixe de nouveau la mélasse esquissée sur le papier, je hoche la tête du style « ça ne peut pas être pire de toute façon … », puis je repense à toutes les désillusions de l’après-midi et j’y ajoute l’accumulation de fatigue, aussi bien mentale que physique.


— On peut faire ça demain ?

— Et moi qui pensais que vous étiez un battant, rétorque-t-elle avec une allure désinvolte, limite arrogante.


Là, j’ai comme l’impression qu’elle a touché une corde sensible. Moi, me laisser abattre ? Ni une, ni deux, je retourne la feuille sur la table sans trop savoir pourquoi.


— Et maintenant ?

— Maintenant, vous allez imaginer un instant que vous devez décrire cette annexe au lieu de la dessiner.


C’est à ce moment précis qu’une sensation étrange envahit mon esprit. Mes doigts empoignent le crayon et ma main glisse d’elle-même sur la feuille. Des mots apparaissent et se succèdent dans une suite logique. Contrairement aux autres exercices, je n’ai même pas à forcer les choses, tout vient naturellement, fluide et sans accroc.


Au bout de quelques minutes seulement, après avoir décrit l’environnement dans lequel j’évolue avec des mots simples, efficaces et précis, j’ai entamé la description de le dépendance imaginaire attenante à la maison. C’est alors que je commence à paniquer. Non pas parce que je trouve ça nul, mais plutôt parce que j’arrive à la fin de la page et je n’ai pas envie de m’arrêter dans cette formidable lancée.


Dans un pur moment d’exaltation, je comprends qu’il s’agit là de ladite « flamme » dont Joëlle parlait. Cette passion qui dormait en moi jusqu’à cet instant …


L’écriture.


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74

74 commentaires

WildFlower

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Il y a 8 mois

Hello ! Désolée mais je ne crois pas que je serai en mesure de poursuivre ma lecture d'ici la fin du concours... Bonne continuation ^^

Marie Andree

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Il y a 10 mois

Je confirme : je te réclame la suite. ;-) C'est rythmé (alors que nous ne sommes pas dans l'action pure - pour l'instant), l'humour allège la chose mais forcément on sent bien la tension, due à la situation même de ton personnage. J'aime bien sûr le fait qu'il soit écrivain. :-)

Jay H.

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Il y a 9 mois

Ohhh eh bien merci Marie ! :) ... Pour la suite, rien de certain encore, mais il est possible que j'y revienne sur le tard (du concours)... j'ai quelques chapitres en rab, mais je suis concentré sur mon autre histoire (Les faits papillons).

Cara Federsan

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Il y a 10 mois

Très sympa cette suite, l'accumulation de divers arts pour trouver ce qui fait vibrer le personnage est chouette

Jay H.

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Il y a 10 mois

Ohhhhh merci :) (ils font plaisir aussi les commentaires sérieux XD)

Cara Federsan

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Il y a 10 mois

OK, je serai plus sérieuse à partir de maintenant

Jay H.

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Il y a 10 mois

Pas trop quand même !!! ^^

Cara Federsan

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Il y a 10 mois

Ah ouf, j'ai eu peur, j'ai cru que tu voulais que je devienne chiante et tatillonne ^^

Cara Federsan

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Il y a 10 mois

J'ai pas mieux à dire après mon deuxième passage, l'enchaînement est très sympa, jusqu'au point du "ah ah ! ça y est, on a trouvé comment déclencher des choses". L'enchaînement de tous les événements depuis sa sortie du coma est bon, j'ai envie de connaître la suite, le style est entraînant, c'est bien monsieur, continuez sur cette lancée

clecle

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Il y a 10 mois

Mais ouuuiii, cette révélation est bien amenée. Voilà qu'on termine par l'art suprême !!! Celui avec lequel il ne fera pas un caca en argile ! La voie qui va nous révéler qui il est vraiment !
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