Fyctia
Chapitre 6
Dès que le Doc eut terminé ses examens et donné son aval, je suis parti avec François le kiné rejoindre l’espace commun. L’espace vert à l’extérieur. Se lever du lit s’est révélé encore plus compliqué que je ne l’aurais imaginé. Un vrai calvaire. Et pour ne rien arranger, se sont ajoutés à ma douleur l’absence totale d’empathie et de douceur de la part de François. Dès lors, il n’était plus François le kiné, mais François le bourrin. Il m’a fait assoir dans un fauteuil roulant dernier cri, puis nous sommes passés par la baie vitrée de la chambre pour rejoindre cette étendue de rêve. Un véritable jardin d’Eden. L’herbe y est plus verdoyante que dans une œuvre d’art, les plantations de lavande dégagent une odeur qui rend l’air encore plus pur qu’il ne l’est déjà, et que dire de tous ces détails bien pensés …
Des haies parfaitement taillées bordent la pelouse et des cyprès ornent l’allée principale menant au portail en fer forgé. Il y a aussi cette fontaine octogonale au pied des marches qui mènent à l’entrée principale de la maison. D’ailleurs, cette demeure est une pure merveille. Un mas en pierre sur deux niveaux, sublimé par le soleil radieux qui illumine la façade.
Après avoir été éclaboussé par cette splendeur, j’ai procédé à une rapide introspection et je me suis dit que même si le personnel n’était pas la crème de la crème, le décor pourrait me convaincre de rester ici pour l’éternité (c’est peut-être un peu long, mais c’est ce que je ressens après quatre mois dans le coma).
François le bourrin m’a obligé à faire quelques exercices de marche en me soutenant par l’épaule et je ne faisais même plus attention à sa rigidité tant j’étais en extase devant ce panorama idyllique. D’ailleurs, quand nous sommes arrivés au centre du jardin où se trouvait une grande table en céramique avec des chaises tout autour, j’ai admiré une vue époustouflante. Je ressentais une soudaine force supplémentaire qui me sécurisait, une puissance invisible qui m’insufflait le courage nécessaire pour aller chercher cette identité perdue dans les méandres de mon esprit.
Voilà, je suis désormais sur mon fauteuil, dans l’attente de rencontrer la psychologue qui devrait, selon les dires du Doc, faire des miracles. François, lui, est parti sans me saluer, ce qui ne m’étonne qu’à moitié. Je suis donc seul face à ce paysage plongeant vers l’immensité du monde. Les champs de lavande, les collines, le ciel bleu azur (presque céleste), aucun nuage pour obscurcir l’authenticité de ce spectacle figé. Je suis quasiment certain que nous faisons partie d’un ensemble beaucoup plus vaste que la limite de nos misérables yeux.
— Jonathan ?
J’entends une voix calme et affirmée dans mon dos. Je crois que je suis concerné, mais j’ai encore du mal à l’évocation de mon prénom.
Mon buste pivote, non sans difficulté, j’aperçois une femme mure et élégante. De longs cheveux blond vénitien avec une jolie frange, un regard pénétrant dont la couleur est en accord avec le ciel et des lèvres parfaitement dessinées. Si elle ne semblait pas avoir le double de mon âge (bien que j’ignore le sien comme le mien), je pense qu’elle aurait pu concurrencer ma petite infirmière. Que dis-je ! Marianne n’existerait même plus, cette sculpture de beauté privatiserait ma conscience.
— Jonathan, dit-elle en s’avançant, je m’appelle Joëlle, et j’ai pour mission de tenter de réparer votre mémoire.
Amusant comme tournure ! La voilà qui fait le tour du fauteuil pour me faire face et me tendre sa main (parfaitement manucurée).
— Partant ?
J’hésite une poignée de secondes avant de me rendre compte que je suis déjà conquis. Je ne la connais pas et pourtant, c’est comme si je pouvais lui vouer mon âme sans méfiance aucune. Étrange. Il faut dire aussi que je n’ai plus de souvenirs, donc j’ignore comment se passe une rencontre, une discussion, un échange. Il doit probablement y avoir deux catégories de personnes, celles qui interagissent en société à l’instinct et d’autres plus analytiques, qui ont besoin de dépouiller leur interlocuteur pour savoir si oui ou non ils peuvent accorder leur confiance. Je pense que je fais partie de la première catégorie car j’agis actuellement à l’intuition, au ressenti, plutôt qu’à l’observation. Est-ce naturel chez moi ? Pour être capable de cerner un individu, il faut avoir de l’expérience, des acquis, du vécu, et je n’ai rien de tout ça, donc peut-être que mon esprit s’adapte à la situation.
Je repars dans mes travers … Se ressaisir !
— Plus que partant, Joëlle ! Je compte sur vous. J’ai besoin, de vous.
Elle décoche un sourire instantané qui laisse apparaitre des dents d’une blancheur incroyable. C’est tout simplement un ange qui a été envoyé ici dans le seul but de rendre mon retour à la réalité jouissif (ouais, un peu fort le mot peut-être).
— Bon, eh bien, commençons dans ce cas.
— Maintenant ?
— À part si vous ne vous sentez pas prêt dans l’immédiat et que vous préférez attendre …
Joëlle accompagne sa phrase, déjà séquencée, d’un mouvement de recul, histoire de me transmettre le message suivant : « je respecte votre espace vital ».
Épatant à quel point cette femme lit en moi comme dans un livre ouvert à la page du dénouement. Moi, j’aimerais bien y arriver, un jour, au dénouement. Pour l’instant, j’ai plutôt l’impression d’être coincé dans les premières lignes d’un prologue que je serais incapable d’écrire.
— Comme je vous l’ai dit, je me sens prêt.
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clecle
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Jay H.
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