Fyctia

Les vagues venaient mourir doucement sur la plage rocheuse.

La Côte des Ombres devait son nom aux innombrables avancées de terres noires fumantes qui s'enfonçaient dans l'océan.

Lors des fortes périodes d'activité, les volcans évacuaient d'importantes quantités de lave dans l’océan par l'intermédiaire de rivières souterraines courant sous les plaines des Cendres.

Au contact de l'eau froide, des plaques de matières molles se formaient, redessinant sans cesse les reliefs de la côte, un vrai casse-tête pour les expéditions venues du Monde Connu qui devaient à chaque fois trouver de nouvelles zones d'accostage.

Un peu plus loin, le tintement des armes et des armures se mêlait aux clapotis du ressac des vagues.

Arthur, à la stature grande et massive, portant une haute et lourde lance d’une main et un imposant bouclier de l’autre, faisaient face à Ivanhoé le Rôdeur, plus petit de taille, les cheveux longs et bouclés, se répandant en cascade sur son cou élancé et tenant dans la main pour seule arme une longue dague effilée.

Ils se défiaient l’un et l’autre dans un duel aux premiers sangs.

Celui qui infligeait une plaie ouverte à l'autre remportait le duel.

Ivanhoé se fendit en avant et transperça la garde d'Arthur, qui ne put rien faire, encombré par son imposant bouclier.

La lame effleura son cou, lui arrachant un rictus de douleur.

Il grommela quelque chose d'incompréhensible alors qu’Ivanhoé rengainait son arme, tout en se dirigeant vers le feu de camp.

– J'ai bien failli ne pas m'en sortir ce coup-ci, envoya-t-il tout en jetant un regard à la dérobée à la jeune femme qui se tenait assise en position du lotus près du feu.

Les lueurs bleu-violet émises par le charbon de bois sur le fond du ciel rouge flamboyant dansaient sur son visage.

Horéa Fleur d'Ange était une invocatrice, elle avait ce pouvoir inné de communiquer avec les Esprits, ces êtres qui vivaient au-delà des cieux et pouvaient réaliser des miracles.

Et comme beaucoup de ses confrères et consœurs, ce pouvoir surnaturel la plaçait souvent en marge de la société, la cataloguant comme un personnage en même temps puissant, mais pouvant tout aussi bien être une sérieuse menace pour les autres, car les Esprits n'aimaient pas être dérangés.

Si la mauvaise humeur les gagnait, ils pouvaient déclencher de véritables catastrophes.

N’obtenant pas de réponse, Arthur se racla la gorge fermement puis se dirigea ensuite vers son mammoth.

Après lui avoir arraché une petite touffe de poil, s’épongeant avec le filet de sang qui s’écoulait de son épaule, il fixa intensément la masse noire et brillante de la Forêt de Verre se détacher à l’horizon.

Ses yeux emplis d’inquiétude ne cillaient pas, car depuis le départ de Ceylian, quelques heures plus tôt, il avait un mauvais pressentiment.

Il connaissait parfaitement bien son compagnon d’aventure. Il avait en effet servi sous ses ordres plusieurs années lorsqu'il était phalange, la garde montée des Azalées, chargeant hors de ses hautes murailles lorsque des bandes de Barbares venus des Steppes du Sud s’élançaient dans des raids meurtriers.

S'il devait périr sur le champ de bataille, il préférait confier sa vie à Ceylian, en qui il avait entièrement confiance, en même temps fin stratège, expert au maniement des armes, et emprunt d'une profonde sagesse.

Il fut rejoint quelques instants après par Ivanhoé.

– J’ai un mauvais pressentiment, Ivanhoé. Ceylian est en danger.

– Allons-y Arthur, ne perdons pas de temps ! rétorqua aussitôt celui-ci , qui était pourtant un taiseux par nature, qui ne s’exprimait qu’assez rarement, préférant habituellement le silence et l’immuabilité de la nature.

Arthur se tourna alors vers lui, comme soulagé par le même ressenti que son ami éprouvait, d’autant qu'il venait de l’exprimer verbalement et avec conviction, contrairement à son caractère d'ordinaire taciturne.

Dans un même élan, ils enfourchèrent leurs montures qui se mirent à galoper fougueusement en direction de la Forêt de Verre alors que la couche nuageuse formait au-dessus de leurs têtes de vastes formations cotonneuses aux ombres orangers s'élevant haut dans le ciel.