Manon Kaljar Le verre à moitié plein 9. La force des éléments

9. La force des éléments

La taille minuscule de la salle de bain m’oblige à recourir à des talents de contorsionniste dont j’ignorais l’existence jusqu’à ce jour. Un soupir de bonheur m’échappe lorsque l’eau claire et tiède dévale mon corps courbaturé. Un vrai délice ! Je ne sais pas si j’ai déjà un jour autant apprécié une douche.

Après des semaines à végéter sur mon canapé et à me laver que lorsqu’Andréa me l’ordonnait, je retrouve enfin la signification de ce qu’est la nécessité ! Ne plus réaliser les actes de la vie quotidienne par automatisme, mais par volonté. Ces petits gestes qui n’avaient plus aucune valeur, plus aucun sens.


Enroulée dans une épaisse serviette, mes cheveux gouttant sur mes épaules et mes pieds laissant des traces humides sur le parquet je déambule dans la pièce, encore indécise sur ce que je compte faire les prochains jours. Rester ou m’échapper ?

Mon ventre émet un son déplaisant qui me rappelle que je n’ai toujours rien avalé depuis presque vingt-quatre heures. Furetant dans les placards de la cuisine, je déniche un paquet de biscottes. Pas très appétissant, mais ça fera l’affaire.

J’en grignote plusieurs, le regard perdu à travers la baie vitrée. Je suis hypnotisée par le mouvement incessant des vagues. Il y a quelque chose d’apaisant dans ce roulis perpétuel et imperturbable. Comme un rappel que quoiqu’il se passe, la vie continue et ne s’arrête jamais vraiment. Le cycle de la vie et de la mort qui se côtoie sans cesse, l’une n’allant pas sans l’autre.

Cette pensée me ramène à ses dernières années. La naissance de Lola et la mort de ma mère. Cette tête de mule partie trop tôt en nous laissant derrière elle... Trop lâche pour se battre contre ses travers, préférant vivre comme elle l’entendait. La pire patiente que je n’ai jamais eu ! Mes yeux me piquent et ma gorge se serre. Je sens les larmes perler au coin de mes paupières et je m’empresse de les essuyer du dos de la main.


Bien décidée à ne pas me laisser gagner par la mélancolie, je me décide à m’habiller et à regarder plus en détail le contenu du sac confectionné par Andréa. Deux jeans, six tee-shirts, trois pulls, 2 shorts, quelques paires de chaussettes et de sous-vêtements, agrémentés d'une paire de tongs, mon butin est maigre et ma soeur définitivement une sadique ! Froissée au fond du sac, je mets la main sur une robe légère d'un joli bleu canard. Dans les poches extérieures, je trouve un petit appareil jetable, un carnet de notes et le porte-monnaie Minnie de Lola. Je ne touche pas à la pochette renfermant mon matériel médical et glisse le sac de randonnée dans un placard. Je mets de côté mon téléphone portable pour penser à demander un chargeur à Laurentine.


J’enfile un short, un débardeur informe et déjà je sens mon esprit de nouveau assailli par des souvenirs. Je dois trouver de quoi m'occuper et m’empêcher de ressasser. J'enfile mes tongs et sors en claquant la porte de la petite maison. Au bas de l'escalier, les pieds à moitié enfoncés dans le sol sablonneux, j’hésite sur la direction à prendre. Rejoindre Laurentine en prenant le risque de subir une psychanalyse complète de mes faits et gestes, ou aller jusqu’à la plage que je discerne quelques mètres plus loin.


Mon choix est vite fait et après une marche laborieuse dans le sol meuble et truffé d’épines de pin qui me piquent la plante des pieds j’atteins la plage. La brise iodée me frappe de plein fouet et je me délecte de cette fraîcheur de la fin de journée. Je retire mes tongs et me dirige sans hésiter vers l’océan. Le sable encore chaud m’oblige à courir jusqu’à l'eau sombre, sautant à pieds joints dans les vagues et m’éclaboussant les jambes comme lorsque j’étais enfant. Au loin je repère quelques surfeurs qui ne reculent devant rien pour dompter les vagues. Ce spectacle impressionnant m’accapare assez longtemps pour que ma peau se couvre de chair de poule. Gardant juste les pieds dans l’eau, je m’aventure le long du rivage. Le soleil encore haut me lèche les épaules et me réchauffe.

— Attention !

Je sursaute en me tournant vers la plage. Je comprends trop tard que la menace ne vient pas de la terre ferme, mais de la mer. Une planche de surf se dirige droit sur moi et j’ai à peine le temps de faire un bond en arrière pour l’éviter qu’elle glisse sur le sol devant moi. Ma réception précaire et le sable qui se retire sous mes pieds avec la houle rendent mon équilibre instable. Il n’en faut pas plus pour que je me retrouve les fesses dans l’eau. Je jure alors qu’un éclat de rire me faire redresser la tête.

— Avec cette chaleur, une petite baignade ne peut faire que du bien !

Je lance un regard noir à la femme qui sort de l’eau l’arme du crime sous le bras. Je serais incapable de lui donner un âge. Dans sa combinaison intégrale, ses longs cheveux blancs tombant jusqu’à ses reins, une peau tannée et tâchée par le soleil,elle semble tout droit sortie de mon imagination. La surprise passée, je grimace en sentant l’eau froide imbiber le tissu de mon short et de ma culotte.

— J’aurais préféré ne pas finir tout habillée à l’eau ! je peste. Vous auriez pu faire attention !

Plantant sa planche dans le sol à quelques mètres de moi, elle écarte les bras pour désigner les alentours.

— C’est une zone réservée aux surfeurs, c’est à vous de faire attention, me reprend-elle.

Je me relève en fulminant. La désagréable sensation du coton collé à mes fesses lorsque j’essaie de faire un pas accentue ma mauvaise humeur.

— Il n’est marqué nulle part que cette plage soit interdite aux pauvres mortels qui utilisent leurs jambes ! Et puis, à ce que je sache, la mer n’appartient à personne !

— Vous les touristes, vous pensez tout savoir, tout connaître, mais ici sur notre île les choses sont différentes du continent. Si cette plage est le spot des surfeurs depuis des décennies, c’est parce que le courant y est plus fort, les vagues plus puissantes et bien trop dangereuses pour ceux qui imaginent que l’océan est une piscine géante. Vous le sauriez si vous aviez prêté attention à ce qui vous entoure.

— Merci du conseil, j’ironise, mais je danger, en l’occurrence venait de vous !

— Non, vous étiez sur le trajet de ma vague et c’est un élément que je ne peux pas contrôler.

Son aplomb et son calme me surprennent à tel point que j’en perds mes mots. Je réalise que je n’obtiendrais aucune excuse. Excédée, je tourne les talons et m’éloigne avec autant de dignité que mon fessier trempé me le permet.

— Et bonnes vacances, au plaisir de vous recroiser ! me hèle-t-elle au bout de quelques mètres.

Je l’ignore et poursuis mon chemin en la maudissant en silence ; vieille morue desséchée, j’espère qu’elle se fera croquer par Flipper !



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5 commentaires

Lili CL MARGUERITE

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Il y a 5 ans

Ah... ne serait-elle pas dans une tiny housse aussi la surfeuse !? Je sens qu'elles vont se recroiser... j'adore ton histoire et bien sûr, j'attends la suite avec impatience ♡

Nine C

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Il y a 5 ans

Rhaaaaaa je suis déjà arrivée au bout des chapitres postés 😩 Hormis quelques rares coquilles et virgules manquantes, RAS m'dame ! Tout s'enchaîne très bien. L'humour est là, de même que le sujet de fond, c'est un régal. Tu as là de quoi nous faire vivre un très chouette moment. Alors merci pour cette histoire ! En d'autres termes... J'attends la suite ! 😬

Beth Holland

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Il y a 5 ans

Super chapitre qui nous laisse entrevoir un séjour pas vraiment de tout repos :)
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