Ewylyn Le trône de l'alchimiste Chapitre 02

Chapitre 02

ARSINOE

« Voilà quelque chose de passionnant. Regardez-moi les courbes et ces couleurs… »


— Tu vois, Régis, ça c’est de l’art. On sent à quel point la personne à du goût, les finitions sont raffinées, les contours offrent une silhouette originale, le décor à l’avant est élégant, j’aime la touche délicate et subtile pour donner le relief sur les boutons. Elle sera parfaite dans ma cuisine, se délecta un jeune homme en se frottant les mains.

— Pardonnez-moi, monsieur, mais est-ce que vous parler de la nouvelle voiture du Président de la Communauté magique ou de son assistante ? s’interrogea Régis avec dédain.


L’interpellé réagit au quart de tour.


— Mais… Régis, je te parle de la théière du maître-artisan japonais Fumiko. S’il te plaît, ne m’insulte pas.

— Je suis hélas trop occupé à répondre au courrier à la place de Monsieur pour m’intéresser aux théières.


Le dénommé Régis était un homme de noble allure, avec un complet indigo pastel porté sans le moindre faux pli, une chemise blanche parfaitement entretenue, un gilet aux boutons dorés, une cravate assortie au costume et des chaussures noires vernies.


Ses très longs et fins cheveux blonds retombaient sur son plan de travail, masquant son visage au menton pointu, son nez aquilin et ses yeux d’un vert perçant. Seulement, la chevelure ne masquait pas ses oreilles, elles dépassaient largement et se finissaient avec une pointe ; de ce fait nul ne pouvait ignorer les origines de Régis : c’était un sylphe donnant l’impression d’approcher la quarantaine.


Et contrairement à son apparence d’une majesté à toute épreuve, il était l’employé de son interlocuteur.


— Oh, c’est d’une hérésie sans nom… Régis, je vais mourir.

— Comme tous les mortels je suppose ?

— Immonde. Une faute de style sans précédent, à n’en pas douter ! Regarde ça, le Président donne ce joyau de l’artisanat à un âne comme D’Aureville. Comme s’il était capable d’apprécier l’art, maugréa le jeune homme furieux.

— Ah, en parlant du Conseiller de l’Intérieur, je dois encore envoyer votre refus de venir au gala…

— J’irais au gala.

— Vous écoutez votre tante et tenez votre rang, le félicita Régis tout en poursuivant ses lettres à une vitesse bien trop irréelle pour un humain.

— Et je lui déroberai sa théière.

— Je me disais que c’était trop beau pour durer.


D’ordinaire, les sylphes ne se mélangent pas aux humains, préférant une vie de contemplation au milieu de la nature, à admirer les étoiles, à jouer de la musique avec des instruments à vent, écouter les tempêtes leur rapporter les rumeurs des quatre coins du monde. Cependant, il arrivait fréquemment que certains membres se délectent de la compagnie des mortels.


Régis était au service du jeune héritier depuis que ce dernier était orphelin, autrefois au service de ses parents, il s’occupa dorénavant de leur bambin de quelques années. Plus qu’un conseiller, il était devenu un confident et ami que l’on tenait en haute estime. Les sylphes ressemblaient énormément aux elfes, avec des capacités hors du commun dues au flux aetheré de l’air : vitesse, ouïe fine, télékinésie, changer le sens du vent.


Régis s’arrêta quelques secondes comme pour admirer son travail, mais ce qu’il déclara par la suite causa un changement profond d’attitude chez le jeune homme.


— Votre tante arrive, Monsieur.


Il se détourna de la grande baie, planqua les jumelles dans un tiroir et se cala contre son bureau. Il repeigna ses cheveux noirs, s’empara d’un monocle qu’il fit mine de nettoyer, fronça les sourcils d’un air concentré et déclara :


— Régis, nous répondrons favorablement à l’invitation du Conseiller D’Aureville, elle est la seule digne de mon rang.

— Ravie de voir que tu prends désormais ton rang au sérieux, le félicita la Conseillère Léopoldine Gonthiers, chargée de l’Enseignement Supérieure et de la Recherche.


Le jeune homme fit traîner sa démarche pour rejoindre sa tante, lui dédier un baisemain sans toucher la peau et lui tint le bras pour l’emmener vers un fauteuil hors de prix.


— Ah, enfin tu te décides à te comporter comme un gentleman. Tu grandis trop vite mon chérubin et bientôt, tu seras à la tête d’une des plus grandes familles de la communauté magique. Je trépigne d’impatience de te présenter à toutes mes connaissances…


Elle s’interrompit soudainement et tourna la tête vers Régis.

— Vous n’avez pas l’impression d’être de trop ? Dehors la bestiole !


Régis pinça les lèvres, mais se plia aux règles de la maison Gonthiers-Archambeau, il prit congé en faisant la révérence et patienta dans le couloir où il put laisser ses oreilles traîner pour esgourder quelques ragots.

— Ce qui sera toujours plus intéressant que les discours creux de cette vipère, marmonna celui était un sylphe.


Resté à l’intérieur, le jeune homme prit la défense de Régis.

— Tante Léopoldine, Régis a toute ma confiance et mon estime, c’est mon employé et mon bras droit. Je te l’ai souvent dit et répété, cesse de le rabaisser, ton regard sur les créatures fantastiques doit changer ou mon premier décret en tant qu’héritier sera de diminuer ta rente.


Si la tante fit mine d’écouter, elle persifla qu’une bestiole reste une bestiole. « Je prends notes, pensa l’héritier avec un sourire en coin. Cela m’en fera plus pour rémunérer correctement les employés ». Il lui tourna le dos, préférant encore s’infliger la douloureuse vue d’une théière magnifique aux mains d’un sale rat.


— Noé, ton amour pour les créatures inférieures est louable, mais il est temps de s’intégrer au monde des adultes et de quitter celui des enfants. Je tolère le personnage qui te sert d’ami dans cette Académie gérée par une incompétente notoire, je suis patiente à l’idée de te savoir dans cette porcherie avec une paria qui, je le rappelle vous bats tous et toutes. D’ailleurs sans ma loi sur le classement et les parias, elle aurait déjà gagné le droit d’être une citoyenne comme toi et moi, ce qui est impensable.


Le monologue de Léopoldine Gonthiers dura trop longtemps au goût de Noé, qui entre son écœurement pour ses propos et l’indignité de voir une théière être tenue par un rustre, se demandait s’il n’allait tout simplement pas prendre le premier train pour loger le plus possible de tous ses nantis dénué de grandeur morale.


« Graveline, maugréa Noé. La pauvre, si elle savait à quel point vous vous amusez et profitez de la situation, elle aurait certainement rejoint les rangs de tes opposants politiques, ma chère tantine. C’est parce que je répugne à faire comme toi, me servir des autres pour avancer que je conserve ma langue bien au chaud. Heureusement que je peux compter sur Félix. Un personnage… Il vaut mille fois plus que toi. Et bla, et bla, et bla… Je suis sûr que Régis s’amuse plus que moi. »


— Donc n’oublie pas qui tu es. Tes activités ne passent pas inaperçus, non plus…

Tu as aimé ce chapitre ?

9

3

3 commentaires

Docal

-

Il y a 6 mois

Salut. J'ai trouvé la transition de perspective un peu rêche avec le premier chapitre que tu nous as proposé. Pour moi, on n'a pas assez passé de temps avec Ninon avant de passer sur un autre personnage et ce deuxième chapitre m'a un peu perdu. Le nombre de personnages que tu nous présentes ici a aussi participé à cette impression, on en a beaucoup d'un coup et pas forcément le temps de les retenir ou d'y attacher des attributs particulier. En dehors de ça ton roman reste agréable à lire et souvent drole, en particulier dans tes dialogues qui ne manquent pas de mordant.

Ewylyn

-

Il y a 6 mois

En vrai, j'ai longtemps hésité. J'ai écrit six chapitres, trois du point de vue de Ninon, trois avec Arsinoé. Le fait est que je les ai publié dans l'ordre chronologique... peut-être que je devrais réfléchir à une autre solution quand je réécrirais le manuscrit ^^
Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.