Fyctia
3. Le Jardin Anglais
Sur la route de Versailles
Eve et Gaël chevauchent silencieusement un long moment, avant que le jeune homme ne prenne la parole.
_ Comment es-tu arrivée dans l’entourage de Danton ?
_ La marche des femmes sur Versailles, il y a quatre ans. Danton cherchait quelqu’un pour garder un œil sur le mouvement de foule, et tu conviendras que je ne passe pas inaperçue. J’y ai gagné un beau pécule et sa confiance.
_ En somme, tu es une espionne des Cordeliers ?
_ On peut dire ça. Et secouer tes semblables était loin de heurter mes convictions. J’ai vraiment pensé que les choses changeraient.
_ Ce n’est plus le cas ?
_ Pour Danton, je me suis rapprochée d’Olympe de Gouges. Je me suis laissé prendre par son enthousiasme. Pouvoir poser une main sur sa Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne m’a remué les tripes, vraiment. Un instant j’ai vu l’aube d’un monde nouveau, où tous seraient sur un pied d’égalité. Aujourd’hui Olympe connait les mêmes barreaux que l’autrichienne et goûtera assurément la même lame. Fouquier-Tinville ne relâche jamais sa proie.
_ Ce nom est venu jusqu’en Angleterre, souvent murmuré d’ailleurs, comme par peur de le conjurer.
_ Il est le diable, ni plus ni moins. Robespierre est un enfant de chœur à côté. Si jamais nous sommes pris, le suicide est ta meilleure option, crois-moi.
Elle rajuste le col de sa veste.
_ Pour être vraiment franche avec toi, je suis lasse de tout cela. Je ne sais plus où sont les promesses que 1789 portait en son sein. J’étais aux Tuileries l’an dernier, j’y ai vu des choses qui me hanteront à jamais…
Son regard se perd et quelques mots lui échappent :
_ Les cris… le sang… l’odeur de chair brûlée… les gens qui se battent pour dévorer un cœur humain…
Elle se ressaisit en serrant le poing sur le pommeau de la selle.
_ Cette quète, c’est peut-être ma seule chance de récupérer un peu de mon âme perdue ce jour-là…
Gaël approche son cheval et pose sa main sur l’épaule de la jeune femme qui le remercie d’un signe de tête.
_ Pardon, je n’avais pas prévu de m’épancher.
_ Il n’y a pas de honte aux émotions.
Eve ébauche un sourire triste.
_ Sans doute. Quelqu’un t’attend de l’autre côté de la Manche ?
_ Non, je suis le dernier des Montrouge. Si je tombe ici personne ne me pleurera.
_ Pas de jeune demoiselle énamourée ?
_ J’en ai croisé une ou deux si, mais aucune n’a fait battre mon cœur.
_ Romantique, hein ? Je me demande comment tu as survécu jusque-là.
_ Il m’arrive aussi de me poser la question.
Le trot avale les lieues, avant qu’un bivouac ne s’improvise dans les ruines d’un relai de poste pour faire souffler cavaliers et montures. Eve prend d’office la première garde, Gaël se laisse surprendre par un sommeil lourd. L’arrivée à Versailles se fait dans la fin de matinée du lendemain. Quelques hommes campent autour d’un feu devant les grilles. Eve échange quelques plaisanteries avec eux au passage, ils ne font pas la moindre difficulté lorsque le duo pénètre le domaine du Roi Soleil.
_ Profitons-en, cela ne sera pas toujours aussi simple.
_ Je suis étonné de le voir en si bon état, vu les circonstances.
_ C’est qu’il est en dehors de Paris. Les gens ont tendance à s’en prendre aux symboles sous leurs yeux et à oublier les autres.
_ Tant mieux, Versailles doit survivre.
_ Au cas où un roi reviendrait ?
_ Non, la politique n’est pas mon problème. Versailles est un témoignage du savoir-faire des hommes. Dans quinze générations personne ne se souviendra de nous, mais cet endroit et d’autres montreront de quoi nous étions capables, comme les temples des Grecs l’ont fait avec nous.
_ Je n’avais pas vu les choses sous cet angle. L’autrichienne a dit qu’elle avait caché la clef dans son domaine, une idée d’où exactement ?
_ Oh oui. Je ne suis venu ici qu’une seule fois auparavant, en tant qu’assistant de monsieur Lavoisier, mais la cour bruissait de tout un tas de rumeur sur la reine et des rencontres qu’elle pouvait faire dans son « refuge ». Il y a une grotte artificielle dans le jardin anglais, à sa place c’est là que je l’aurais dissimulée.
La traversée des jardins les mène au Petit Trianon, domaine de la reine déchue. Eve ne peut s’empêcher de maugréer devant la fausse ferme.
_ C’est tellement pathétique, cet endroit.
_ Je comprends ta réaction, mais je ne crois pas qu’il y ait eu la moindre provocation dans l’esprit de la reine lorsqu’elle a voulu cet endroit. Ce n’était qu’une manière de se fabriquer un monde idéal loin du nid de serpent. Le peu que j’ai vu de la vie à Versailles ne m’a pas vraiment fait rêver.
_ Tu vas me dire qu’elle n’était qu’une pauvre malheureuse ?
_ A son échelle, oui sans doute. Une jeune fille déracinée de chez elle, jetée dans une cour qui épie ses moindres gestes, où toute marque d’affection est sujette à soupçons, une vie réglée comme du papier à musique par d’autres que soi et de l’argent qui coule à flot. Crois-tu qu’à sa place tu ne te serais pas aussi brûlée les ailes ? Marie-Antoinette a sûrement bien des tords, mais elle n’est pas le monstre infâme que l’on prétend. Rien n’est blanc ou noir.
_ Ce genre de propos suffirait à te valoir la guillotine, tu sais.
_ C’est pourquoi je n’irais pas m’épancher de cette façon devant Robespierre ! Rit Gaël. Mais tu as été honnête avec moi sur tes états d’âme, je te dois la pareille. Nous ne réussirons que si la confiance règne entre nous.
La petite grotte est si sombre qu’Eve manque de s’entraver, mais l’exploration se fait avec célérité. Gaël finit par mettre la main sur le coffret dans une anfractuosité de la roche.
_ L’autrichienne a eu une bonne inspiration. Personne n’a retourné cet endroit vu qu’il n’y avait rien à piller.
_ Ne jamais sous-estimer une femme, n’est-ce pas ?
Eve sourit au clin d’œil.
_ Prochaine étape ?
_ La clef aura son importance, je n’en doute pas, mais quelqu’un comme Richelieu n’aurait pas glissé un mot pour simplement une sentence somme toute banale.
_ Un indice sur le parchemin ?
_ Non, je pense que l’indice c’est le parchemin lui-même.
_ Je ne comprends pas.
_ Le sceau d’Anne d’Autriche suffisait à authentifier l’héritage. Pourquoi Richelieu a-t-il tenu à indiquer qu’il était dans la confidence ? Parce que le deuxième jalon, c’est lui.
_ Cela parait logique, enfin je crois. Donc où ?
_ Le cardinal n’aurait jamais laissé quelque chose d’une telle importance hors de sa portée. Je parie sur son tombeau de la Sorbonne.
_ Eh bien suivons ton intuition, et je te botterais le train si elle est fausse.
_ Je prends le risque. Comment allons-nous entrer dans Paris ?
_ Y entrer ne sera pas trop compliqué. Y survivre par contre…
9 commentaires
Alienor D. Licorne ( Eusimarok)
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Il y a 5 ans
Eva_dk
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Il y a 5 ans
Laure Ardric
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Il y a 5 ans
Sand Canavaggia
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Il y a 5 ans
Alec Krynn
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Il y a 5 ans
Alec Krynn
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Il y a 5 ans