Fyctia

Non.

C'est faux.

Ce n'est pas vrai !

Si, c'est vrai.

Le nouveau roman de Gretta Parker, mon auteure préférée. Parce que oui, j'ai beau avoir du mal avec les romans en anglais, j'adore leurs versions traduites.

Et le celui de la meilleure autrice au monde - selon moi - est là. Sur une étagère. En papier. En vrai. En physique. En...

Je me pince juste à temps pour m'empêcher de hurler de joie et de sauter jusqu'aux trois mètres qui nous séparent.

À pas mesurés, je me dirige vers le trésor des trésors. Il ne reste qu'un exemplaire.

Je l'ai cherché partout pendant des semaines, et il se trouvait dans la seule librairie où je n'ai pas pensé à mettre les pieds. Jusqu'à aujourd'hui.

Il m'attendait et je suis là. Pour le prendre, pour l'acheter, pour le lire, le relire, le re-relire, pour y découvrir de nouveaux mots, pour y souligner de merveilleuses expressions...

Les yeux emplis de larmes d'émotions, je prend fébrilement le livre entre mes mains.

-Diana...

Comment ai-je pu oublier la présence de Jo ? Je me tourne vers lui en m'apprêtant à faire une blague... Mais je le découvre aussi perturbé que moi.

- Comment tu as su ?

Il se rapproche à grand pas et pointe le livre du doigt.

-C'est exactement pour ce trésor que je suis venu aujourd'hui.

Et là, tout mon bonheur vole en éclat. Je devrais être heureuse qu'il aime autant Gretta Parker que moi, mais l'idée qu'il prenne le seul exemplaire qu'il reste ne m'enchante pas du tout.

Jo passe les doigts sur le livre et essaie de le prendre.

Non !

Je recule vivement. Il me regarde sans comprendre.

-Désolée... Je...

Tout ça à cause d'un livre !

Oh non. Je me suis encore laissée aller. Ce n'est... qu'un livre. En plus, Jo est venu spécialement pour l'acheter, contrairement à moi. C'est à lui de l'avoir. Pas à moi.

Je l'aurai une prochaine fois.

Et ce sera quand, la prochaine fois ?

Je ne sais pas combien de temps je vais encore devoir attendre avant que la librairie ne commande d'autres exemplaires, et je sais que les achats en ligne coûtent une fortune à cause des frais de douane. Je ne peux pas me le permettre actuellement.

Est-ce que cela vaut la peine que je sacrifie ma seule chance d'avoir le livre de mes rêves pour faire bonne impression à un homme ?

Pas n'importe quel homme : Jo.

Jo qui a peut-être une petite amie en secret.

Je regarde Jo dans les yeux, et je sens mon désir flancher. Docilement, je lui tends le livre et je me dessine un sourire de circonstance.

- Tiens. J'ai juste été... surprise. Je connais l'auteure.

Jo repousse le livre vers moi, mais son sourire est forcé.

- Je vois bien que tu le veux plus que moi. Prends...

Il s'interrompt, puis m'arrache finalement le livre des mains.

-Non, finalement, je le veux. Ça ne te dérange pas d'attendre une autre occasion ?

Je n'arrive pas à croire qu'il ait dit ça. Au fond, j'espérais qu'il me le laisse.

-Non... Ça ira. Un autre jour.

Ne pleure pas, ne pleure pas. Attends d'être dans ta chambre. Ou juste dehors.

Nous restons tous les deux là, embarrassés. C'est normal : nous nous disputons un livre.

Un livre, bon sang !

Mais pas n'importe quel livre.

-Non, visiblement, ça ne va pas, conclut Jo.

Il se dirige vers l'un des employés de la librairie, installé derrière un ordinateur.

- Excusez-moi, l'interpelle Jo. Sauriez-vous si vous avez d'autres exemplaires de ce livre en stock ?

L'homme regarde l'ouvrage et le recherche dans la base de données. Je sens mon coeur battre comme un roulement de tambours. Je dois décider de ce que je vais dire s'il n'y a aucun autre exemplaire.

Le supplier de me le laisser ?

Rendre service et le lui céder ?

Ou alors, il y a au moins un exemplaire en stock. Ou même dix autres.

- Je suis désolé. C'est le seul, affirme l'employé.

-Vous savez si d'autres arriveront bientôt ? je demande aussitôt.

Il secoue la tête.

-Peut-être, mais je ne peux pas vous donner de date exacte. Ça peut être dans un mois, ou deux.

Mais je ne veux pas attendre deux mois pour lire ce livre ! Je veux le lire aujourd'hui !

Non, Diana. Priorité aux priorités. Les livres ne sont pas une priorité.

Je refoule ma tristesse avec une bonne respiration.

-Ce n'est pas grave. Garde-le. Tu as fait le chemin jusqu'ici pour l'acheter.

Mais Jo ne veut visiblement pas porter le poids de la culpabilité.

-Là, tu essaies d'être gentille, dit-il. Et personnellement, je ne considère pas la gentillesse comme une qualité.

Je commence à perdre patience.

- Mais il faut bien que l'un d'entre nous l'achète. Tu vas me le donner ?

-Je le devrais. Mais je crois que sur ce coup-là, ça ne me ferait pas plaisir de te faire plaisir. Moi, je veux ce bouquin aujourd'hui.

Les livres sont une priorité !

-Moi aussi, je veux ce livre aujourd'hui, je déclare avec fermeté.

Jo sourit.

-Bon. Je crois qu'aucun d'entre nous n'a envie que notre relation commence avec une accumulation de sable.

Je reste bloquée sur les mot "relation" et "commence".

Respire.

-Une accumulation de sable ?

Il me décoche un sourire mystérieux.

- Oui. Une accumulation de sable.

- C'est-à-dire ?

Il réfléchit, puis il hausse les épaules.

- Pour ça, il faudrait que je fasse une démonstration. Mais en ce moment, on a beaucoup plus important à régler, rappelle-t-il en montrant le livre.

-Absolument !

-Et j'ai une idée qui va nous convenir à tous les deux.

-Laquelle ?

Il me tend le livre. Je tiens le livre par l'autre bout, m'attendant à voir Jo le lâcher.

Ce qu'il ne fait pas. Évidemment.

- Ce livre, il va falloir le mériter.