Fyctia

Se redressant vivement, elle dégaina son arme. Un long soupir de soulagement s’échappa de ses lèvres en reconnaissant Marco. S’élançant dans sa direction, celui-ci recula vivement.

— Tu crois vraiment que je vais te sauter dans les bras, Iléanore ?

Il ne lui avait jamais adressé un tel regard. Les traits fermés, les bras croisés sur son torse, il attendait des explications.

— Désolée de t’avoir fait faux bond pour ton acheteur, ne trouva-t-elle qu’à dire.

Il ne put retenir un grincement acerbe.

— Mon acheteur ? Tu crois que c’est la raison qui m’a fait te suivre ? crachat-il avec déception. Bon sang, Iléanore, on se connaît depuis des années et tu t’enfuis. Comme ça ? Sans rien dire ? Tu sais combien de gens j’ai dû interroger pour récupérer une parcelle d’indice me permettant de te retrouver.

Elle frissonna au souvenir. Heureusement, l’homme de main semblait moins efficace que Marco.

— Je ne voulais pas te faire de la peine, se contenta-t-elle de dire, préférant éviter de l’inquiéter plus encore.

Il la détailla de longs instants.

— C’est raté, lâcha-t-il tranchant, essuyant une goutte de transpiration glissant sur son nez. Raconte-moi, ce qui t’a pris. Je te connais assez, ce n’est pas l’envie de me doubler qui t’a fait fuir. Mais je n’arrive pas à comprendre ce que ça peut être.

— Je ne sais pas non plus, fit-elle la plus honnête possible. Une soudaine sensation d’oppression, que ma place ne se trouvait plus à Cynici…

Il plissa le front un instant, la lueur moqueuse qu’elle lui connaissait bien revenant dans son regard.

— Je ne savais pas que tu t’interrogeais sur le sens de la vie.

— Ne te moque pas. Tu n’as jamais ressenti ça, toi ? Une envie irrépressible de partir ? s’enflamma-t-elle.

Dans la chaleur étouffante du désert, il se planta devant elle et fixa son regard sombre dans le sien.

— Tu sais. Moi, à partir du moment où je suis avec toi, tout me va, princesse. Marco n’attendit pas sa réaction et enchaina. N’empêche, tu as oublié une chose importante dans ton raisonnement.

— Laquelle ? fit-elle en plissant le nez.

— Tu es incapable de te passer de moi.

Elle ria franchement. Il ne pouvait imaginer à quel point il était proche de la vérité. Si fuir était une évidence, se tenir auprès de Marco également. Bien que cherchant à se raisonner depuis son départ, le découvrir sur cette colline avait suffi à lui faire retrouver le sourire. Elle osa un pas. Voyant qu’il ne se dérobait pas, elle l’enlaça tendrement.

— Tu as raison, Marco. Sans toi, je ne suis rien.

— Plus sérieusement, princesse. C’est quoi la suite du plan ? Par où allons-nous ?

Elle redevint sérieuse et se concentra pour lui apporter une réponse acceptable. Iléanore réfléchissait encore à sa réponse lorsque des pas d’hommes en armures résonnèrent à travers les dunes. Marco, ayant reconnu le danger avant elle, l’empoigna par le bras et plongea au sol. Rampant à travers la poussière, les pierres, leur râpant la peau, ils cherchèrent à se cacher de l’escadron. Des mercenaires rôdaient de ce côté-ci du désert, et il n’était pas bon de croiser leur route. Cherchant à rester discrets, ils se planquèrent derrière un amas de pierres plus important que les autres, attendant ainsi de longues minutes, leurs têtes dépassant de temps en temps pour tenter de repérer le groupe d’hommes.

Marco les aperçut enfin. Des cavaliers, des hommes à pieds et des silhouettes étranges à quatre pattes qu’il ne reconnaissait pas, des mules ou des poneys peut-être ? Ils parcouraient le désert de pierres sur un chemin parallèle au leur. Avec un peu de chance, leur présence resterait inaperçue. Dans quels guêpiers venait de les fourrer Iléanore ? Avaient-ils affaire à des mercenaires ou à des voyageurs comme eux ? L’escadron changea subitement de cap et il découvrit les visages. Ses yeux s’agrandirent de stupéfaction. Impossible. Comment cela pouvait exister ? Précipitamment, il redescendit la tête, s’aplatissant au sol.

— Qu’est-ce que tu as vu ? demanda Iléanore en tentant de se relever.

— Tais-toi et couche-toi ! il lui plaqua la tête sans ménagement dans le sol.

— Bon sang, Marco ! À quoi tu joues ? elle cracha la poussière envahissant sa bouche.

— Obéis !

— Mais…

Voyant que son amie n’avait pas l’intention de l’écouter, il n’eut d’autre choix que de mettre sa main sur sa bouche et de la plaquer, au sol, de son corps. Elle gesticulait et marmonnait des grossièretés. Encore une fois, il se demanda où Iléanore avait pu apprendre un tel vocabulaire. Ce n’était clairement pas à ses côtés ni auprès des bonnes sœurs. Il eut un mal fou à la contenir. Marco releva son regard, cherchant à évaluer la distance entre eux et ces monstres.

Seraient-ils assez loin ?

Avec horreur, il les vit se rapprocher de leur cache. Le regard effrayé qu’il lança à Iléanore suffit à tous les discours. Elle s’arrêta immédiatement de remuer et hocha la tête, lui montrant qu’elle avait compris. Marco retira lentement sa main et se remit à ses côtés ; priant tous les Dieux de Kaliddiccia pour être en vie encore quelques minutes. Le groupe arrivait sur eux. On pouvait entendre les sabots marteler le sol et la respiration rauque des monstres.

Avec soulagement, le groupe les dépassa, continuant leur route sans se retourner. Iléanore sortit alors la tête, cherchant à voir enfin la menace qui l’inquiétait tant.

— Ça ne va pas, Iléanore ! murmura-t-il avec force. Tu veux nous faire tuer ! Il tira de nouveau sur son bras pour la réinstaller derrière leur cache précaire.

— Tu vas arrêter de m’arracher le bras ! se rebiffa-t-elle. Bon sang, t’as vu ça ? Toujours aussi intriguée, elle releva lentement la tête. Un nuage de poussière que provoquaient les chevaux restait visible. À ton avis, c’était quoi ?

— Je ne sais pas et je n’ai pas vraiment envie de le savoir ! On ferait mieux de partir d’ici.

Il se releva et l’entraîna dans la direction opposée des monstres.

— Eh !!! Attends !

Elle stoppa net, freinant des pieds pour le ralentir.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il apeuré pour eux.

— Tu ne vas pas dans la bonne direction !

— La bonne direction… ? Tu te fous de moi, Iléanore ! La bonne direction c’est l’exact opposé de là où ils vont ! s’énerva-t-il avec fougue.

— Tu retournes en Kaliddiccia par là ! Et ils viennent de là-bas… Aurait-on été envahi en deux jours ?

— Je me fous des détails ! Il réfléchit un instant à l’argument de son amie. Tu as raison, on ne devrait peut-être pas y retourner, admit-il en retrouvant peu à peu son calme.

Elle virevolta dans la direction opposée.

— Iléanore ! Tu ne vas pas les suivre tout de même !

— Pourquoi pas ?

Elle s’entêta dans sa direction, trottinant légèrement. Marco courut derrière elle, cherchant à la rattraper. Qu'arrivait-il à son amie ? Elle s’enfuyait de sa ville natale, loin de ses amis sans un regard derrière elle. Et maintenant suivait un groupe de monstres.

Il ne parvenait plus à la comprendre.

Et lui se trouvait encore plus fou de la suivre.