01 Chapitre 1
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Comédie romantique
Aurélie Blondel
C'est le grand jour. À 14h00 tapantes, c'est mon audition. La troisième en fait. Déjà 18 ans de comédie. Comme le temps est passé vite. Heureusement, j'ai commencé jeune et je ne pense pas être sur le déclin. J'ai appris à m'affirmer et ne plus accepter n'importe quoi, ne pas me laisser faire non plus. Je n'ai pas d'exigences particulières. Tout ce qui m'importe au final, c'est survivre. Applique ses précieux conseils... Je me répète ça en boucle depuis des semaines maintenant. Ma meilleure amie, qui n'est plus de ce monde à cause de ce foutu système… Je ne t'oublierai jamais ma star. Quelle chance j'ai eu d'être avec elle depuis mes débuts. Elle m'a protégé, elle m'a appris comment être respectée, elle m'a soutenu et elle m'a enseigné en me disant juste une phrase: «Tout passe par le regard, entraîne toi: Tu t'en fous des mots. Si tu oublies ton texte, que tu bafouilles, tu paraîtras sincère juste en un regard. C'est ce qu'on attend de toi ma chérie, si tu veux le rôle de ta vie.» Le rôle de ma vie… Je ne sais même plus ce que je souhaite aujourd'hui. Continuer? Être libre de ce bordel avec tout ce que ça implique une fois qu'on en sort? Je suis nostalgique du temps où j'étais une parfaite anonyme, mais j'ai fait le choix d'entrer dans la lumière. Une lumière sombre et froide, loin de ce que j'imaginais, loin de penser que 18 ans après, je passerai encore des auditions. Je vois ces autres femmes, bien apprêtées. Je n'ai fait aucun effort vestimentaire, pas de maquillage et je n'ai pas pris le temps de me coiffer. Des actes manqués dirait ma psy. Ça en dit long sur ce que je veux vraiment non? J'essaye de jauger celles qui ont le potentiel et celles pour qui c'est couru d'avance. Tout passe par le regard… Cette brune devant moi ne l'a pas. J'ai répété encore et encore mon comportement, appris à pleurer sur commande, faire trembler mon menton, avoir le regard fuyant, triste, joyeux, en les regardant me juger sur ce qu'ils attendent de moi et de penser en même temps Qu'est-ce que je vous emmerde, vous tous, empêtrer dans vos costards, la voix haut perchée, vos manières guindées, les ongles manucurés, les pieds aussi je suppose, avec vos boutons de chemises, vos talonnettes ridicules, vos talons aiguilles et vos quotas, hommes, femmes, gays, noirs et j'en passe. Toujours le même défilé. Que des faux-culs. La porte s'ouvre et mon nom est appelé. J'y suis… C'est mon tour. Donne tout ce que t'as pétasse, mais surtout fous toi du résultat. Le regard pétasse, mon regard!!! J'entre et je salue le jury m'sieurs dames et j'attends d'être invitée à m'asseoir. Je regarde autour de moi. C'est d'une tristesse ici! Je ne vais pas avoir à beaucoup me forcer pour paraître pathétique et triste finalement. Les murs sont gris, dépourvus de décoration. Il n'y a qu'un défibrillateur cardiaque et je me moque intérieur Mais quelle merveilleux endroit de l'avoir placé ici. Je me reprends intérieurement, ça va se voir sur ma tronche sinon. Je continue à observer autour de moi. Un bureau, des chaises. Tiens, il en manque une, celle où je suis censée pouvoir m'asseoir. Pourquoi diable je n'ai pas de chaise? Un oubli? Comme si j'étais en taule, je demande la permission de poser une question. Permission accordée. «Je n'ai pas le droit de m'asseoir?» C'est la femme qui me répond: «Inutile!» Ok, c'est elle qui va mener la danse aujourd'hui. Mais je ne dois pas ignorer les autres même si je les méprise tous. Mon regard putain, mon regard!! Je suis en train de me trahir. Cinq minutes, du moins c'est le temps que j'estime s'être écoulé, sont passées et rien. Rien de rien. Pas de questions, pas de textes à réciter, pas de représentation à donner, pas de performance. Rien. La femme tamponne mon book. Dehors! «Veuillez signer ici s'il vous plaît, c'est terminé.» C'est quoi ce putain de bordel? C'est quoi cette comédie? Ça ne se passe jamais comme ça. Pas que je sache en tout cas. Il s'est passé quoi? C'était pas une audition ça. Non non. Doit y avoir une erreur: Attendre, entrer, sortir et finito. Je viens de me prendre une gifle monstrueuse. Je m'étais préparée à tout sauf à ça. J'emballe mes affaires, je n'ai plus rien à faire ici puisque c'est acté et signé. De toute façon, c'est une mise à la porte. Acte manqué m'a dit ma psy… Je suis prête, j'ai mes affaires, on m'accompagne vers la sortie et la porte se claque derrière moi, comme ça, sans un merde, sans un mot. Et me voilà livrée à moi-même. Cette chose dont je m'étais mise à rêver il y a quelques années déjà mais sans jamais oser y croire. Mon avenir était tout tracé une fois intégrée dans le milieu, pas de retour en arrière possible, fini l'anonymat, bonjour les articles de presse assassins et toujours dans la surenchère, bonjour la vie qu'on m'invente. C'est ça qui est difficile. On est formaté, entouré, on a un rythme de vie millimétré et puis tout s'effondre . Il y a ceux qui n'attendent que cet effondrement qui rime avec liberté et les autres qui seraient prêts à sucer des kilomètres de bites juste pour rester. Je n'ai jamais su où me situer. Sûrement nulle part. Et je suis là, statique, dehors, le soleil en pleine figure et je ne ressens rien. Ni peur, ni soulagement, ni chaleur, mais un énorme sentiment de solitude et de vide. Pourtant j'ai chéri mes rares moments de solitude. C'est ça la vraie solitude alors? Et je finis par craquer, je fonds en larmes. Dix-huit ans de ma vie balayés d'un coup de tampon, un procès d'intention. Je deviens quoi maintenant? Aurélie Blondel