Fyctia
Chapitre 2 : Le fantôme
12 novembre 2022, Rennes.
— Je lève mon verre à Clara !
— En quel honneur Erica ? s’étonne cette dernière.
— Parce que c’est bientôt la fin de ton contrat et je te souhaite de te casser de ce taf pourri, reprend sa collègue.
— Il est vrai que ces derniers temps, c’est de plus en plus difficile de mettre un pied hors du lit...
Attablés à la terrasse chauffée d’un bar, une odeur de vin chaud flottant dans l’air, Clara et ses trois collègues débriefent de leur journée. La nuit est déjà tombée et les passants continuent l’effervescent manège des achats de Noël.
Bien qu’ils ne soient pas extrêmement proches, Erica, Sam et Mélina sont pour elle ce qui se rapprochent le plus du mot « ami ». Elle se confie rarement à eux, mais leurs regards attentifs la pousse à continuer.
— J'ai… l'impression de stagner, de faire du surplace. J'ai fait des études pour être chargée de collection et regardez où j'en suis. J'arpente les galeries de ce musée tel un fantôme depuis presque un an. Je déteste ce boulot, je déteste ces gens qui viennent me voir juste pour me demander où sont les toilettes et la sortie, alors que je connais l'histoire de ces œuvres par cœur ! Mais pour eux, je ne suis invisible.
— Je te comprends, j'en peux plus d'ce trou à rats, souffle Erica, se confiant à son tour. Et dire que je devais rester là qu'un été… trois ans plus tard, j'ai pas bougé. C'est pathétique. Mais vous savez, ce qu'on vit là, ça porte un nom. J'ai lu ça sur Internet.
— Le spleen du surveillant ? ironise Sam.
— Non, le spleen ça a un côté sexy et torturé. Nous, ce serait plutôt la neurasthénie du rat de bibliothèque. Bref, ce que je …
— Arrête, je trouve ça sexy moi les rats de bibliothèques ! Un homme qui lit, y a rien de plus séduisant ! proteste Clara.
— Bref ! conclut Erica d’un ton faussement agacée. Ca s'appelle le bore-out apparemment. On s'ennuie au travail, on a l'impression d'être inutile et les gens ne comprennent pas. Pour eux, on a de la chance, on est presque payé à rien foutre ! Alors oui, certaines personnes peuvent être épanouies à ce poste. Mais ce n'est clairement pas ton cas Clara. C'est un vrai putain de cercle vicieux et ça peut aller loin, assène Erica.
Clara reste songeuse. Sa collègue a raison. Elle mérite tellement plus qu'un mieux que rien…
Depuis son plus jeune âge, on lui a toujours répété que l'école était très importante et que son futur professionnel se jouerait en fonction de ses diplômes et du nombre d'années d'études. Force est de constater que non, cela ne change rien. Son avenir est aussi flou que le mirage d'une oasis en plein désert. Elle a vingt-quatre ans, pas de mec, un boulot sous-payé et vit chez sa grand-mère.
Malgré cela, il y a plusieurs semaines, elle avait pris son courage à deux mains pour candidater à un poste de médiatrice culturelle qui se libérait dans son musée. Ce n'était pas le graal, mais ça lui permettrait de faire un boulot plus enrichissant et de gagner en expérience. Depuis, elle n’avait eu aucune nouvelle de la DRH.
Par superstition, elle n'en avait parlé à personne, pas même à Henriette. Enfin, si. Elle s'était confiée à Henri Cat, certaine qu'il ne vendrait pas la mèche. Il l'avait regardée avec des yeux ennuyés et un air blasé.
Plusieurs minutes s’écoulent avant que Sam ne brise le silence :
— Bon allez, on va pas se laisser abattre ! Parlons d’autre chose avant que ce putain de bore-out ait raison de nous.
— Exactement ! D’ailleurs, on n’a quelque chose pour toi Clara, enchaîne Mélina en lui tendant un petit paquet.
Clara grimace lorsqu’elle aperçoit le papier cadeau rouge vif agrémenté de rennes aux nez rouges. Ses collègues éclatent de rire et se jettent un coup d'œil complice. Sa détestation de Noël n'est un secret pour personne la connaissant un tant soit peu.
D’un geste rageur, elle déchire le papier et en sort un livre de poche intitulé "Je te ferai aimer Noël". Non, ils n'ont pas osé...pense-t-elle amusée. Les romances à base de guimauve, de sapin et de coup de foudre sont bien pires que toutes ces choses que Clara déteste à Noël.
Ces livres à l'eau-de-rose remplissent les rayons de ces librairies préférées dès le mois d’octobre. Les films mielleux de Noël passent encore, car elle n'est pas obligés de les regarder - bien que Linh lui ait forcé la main pour voir Love Actually il y a quelques années - mais Clara ne peut pas se passer de livres, surtout de fantasy. C'est son péché mignon, sa passion et aussi ce qui lui coûte la moitié de ses économies chaque mois. Les étagères de sa chambre croulent littéralement sous les bouquins.
— Et vous prétendez être de bons collègues ? En m'offrant ça ? balance-t-elle d'un ton faussement vexé en désignant d'un geste la couverture du livre où s'étalait des sapins, des flocons et des sucres d’orges rouges.
— Estime-toi heureuse, renchérit Erica, Sam voulait t'acheter un pull moche de Noël et te forcer à le porter pour ton dernier jour !
Elle les remercient tous chaleureusement, touchée par cette attention inattendue. Puis, les sujets s’enchaînent, les rires fusent et les consommations s’accumulent sur la petite table.
— Et toi Clara, un petit mec en vue ? demande Mélina après que chacun ait eu droit à un interrogatoire sur son statut amoureux.
Clara pouffe et manque de recracher sa bière par le nez.
— C’est le néant, répond-elle simplement. Depuis bien longtemps en vérité. Je n’ai eu qu’une relation plus ou moins sérieuse et ça remonte à la fin du lycée, avoue-t-elle.
— Rien depuis ? Même pas un petit crush ? tente Erica.
Oh que si. Un crush tellement fort que Clara n’avait pas été loin de tomber amoureuse. Aussitôt, elle s’égare et ses pensées la mènent à Gabriel, ce garçon qui lui avait fait tourner la tête à l’université et dont elle avait eu du mal à se détacher.
Son regard se fait vague et se pose sur les autres fêtards autour d’elle. Soudain, un frisson la parcourt. Son cœur manque un battement. Le jeune homme de dos, à deux tables d’eux. C’est… c’est impossible. Ces cheveux bruns coupés courts, cette façon de se tenir. Clara donnerait tout pour qu’il se retourne, là, tout de suite. En avoir le cœur net.
Cela fait quatre ans qu’elle ne l’a plus vu. Pourtant, cette silhouette lui est bien trop familière. Elle meurt d’envie de se lever et de passer devant sa table, juste pour être sûre… Mais ses pieds sont cloués au sol et tout son corps se tend comme une corde de guitare. Subitement, le jeune homme se retourne pour saluer quelqu’un dans la rue. Et le nœud dans son estomac s’envole. Ce n’est pas lui.
— Oh oh Clara ! Tu fais flipper là ! crie Erica en la secouant par le bras. On dirait que tu as une attaque !
— Tu le connais ? demande Sam en désignant discrètement le jeune homme du menton.
Clara hoche négativement la tête.
— J’ai cru voir un fantôme du passé.
Alors, prenant une grande inspiration, elle se met à raconter dans les grandes lignes sa rencontre avec Gabriel. Comme si c’était hier.
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Aline Puricelli
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Il y a 9 jours
Emilie Hamler
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Soäl
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Emilie Hamler
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petites.plumes
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Natia Kowalski
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Emilie Hamler
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Mapetiteplume
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Angel Guyot
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Emilie Hamler
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