Fyctia
Chapitre 10.1 Alix
L’arrivée à Versailles se produit à la nuit tombée. Dans l’obscurité, je ne profite pas vraiment de la vue. Il me semble apercevoir les sublimes jardins dont la beauté est vantée jusque dans les coins les plus reculés de France. Quelques nuages masquent le clair de lune, m’offrant une vision sporadique.
Le carrosse s’arrête enfin. Je soupire presque de soulagement, tandis que Vincent arque légèrement le sourcil. Je me rappelle sa réflexion sur la patience et me promets de mieux dissimuler mes états d’âme, la prochaine fois.
Il ouvre la portière et je sors derrière lui. Je plisse les yeux, identifiant une arrière-cour, ainsi qu’une vieille porte en bois, récemment renforcée. Je devine qu’il ne s’agit pas de l’entrée principale du château, ou le roi pourrait tout aussi bien revoir le surnom qui lui a été confié. Personne désigné par le mot « élégant » n’oserait se montrer devant une façade qui manque autant de prestige. Enfin, de ce que j’ai retenu de mes livres, en tout cas.
Nous entrons alors dans le château, arpentant des couloirs qui ne correspondent pas aux descriptions inscrites dans ma mémoire. Sols, cloisons et plafonds sont entièrement gris et nus. Malgré un refus de ma part car je ne suis pas impotent, Vincent porte mes bagages. Il a dû recevoir des consignes claires.
— Toute la bâtisse est-elle ainsi faite ?
Ma voix résonne contre les murs et son écho se répercute plusieurs fois au loin. Information notée : ne pas crier ici.
— Cette partie du château a été construite il y a une dizaine d’années, juste après l’arrivée au pouvoir de Sa Majesté, Louis XXI. Les serviteurs et gens de moindres importances sont priés d’entrer par ici, réservant le passage principal aux grands. Un accès a été aménagé pour conduire directement aux cuisines, à l’intendance et aux quartiers des petites mains.
Nous arrivons justement à un embranchement où le simple revêtement de sol, qui change abruptement, tape à l’œil. En face, les murs nus et la dalle de béton se poursuivent. À droite, un motif marbré où le noir et le blanc cassé s’entremêlent à l’infini. Des torches brûlent de manière régulière, offrant un éclairage rassurant.
Vincent s’engage en direction du faste. Un dédale de couloirs nous attendent et je m’interroge : qui est donc responsable de remplacer les torches, chaque fois qu’elles cessent de brûler ? Cela doit représenter une charge de travail titanesque.
— Monsieur le vicomte vous a fait préparer une chambre dans ses appartements. J’y placerai vos bagages et vous pourrez prendre le temps de vous installer.
Mes maigres affaires remplissent un simple sac de cuir que mon père tient du sien. Le temps l’a sacrément usé, mais il reste de bonne facture et sa taille convenait à mon voyage. Je n’ai sélectionné que mes meilleures affaires, peu désireux de m’afficher comme le paysan qui débarque à la cour. Toutefois, même mes plus beaux habits ne sont pas à la hauteur des plus médiocres portés par les courtisans du roi. Cela me cause une petite inquiétude et j’espère que le vicomte a prévu de me vêtir en conséquence du rôle que j’occuperai à ses côtés.
Mes pensées s’évanouissent à mesure que mes yeux s’émerveillent. Partout autour de moi, des meubles imposants, des cadres époustouflants, des parures et tentures flamboyantes, des tapis à couper le souffle. Une douleur finit par s’inviter dans ma nuque, à force de tourner la tête en tout sens pour m’abreuver de la beauté du lieu.
— C’est encore plus incroyable que dans mes livres, murmuré-je.
Vincent n’a pas l’air de m’avoir entendu, ou si le contraire s’avère, il ne relève pas. Nous arrivons finalement devant une immense double-porte sur laquelle repose une peinture représentant un groupe d’hommes et de femmes légèrement vêtus, tous allongés les uns sur les autres. Les bras, les jambes, les têtes : tout est mélangé pour former une unité intrigante.
Si je n’avais pas été accompagné de son valet, j’aurais reconnu l’entrée des quartiers du vicomte de Vendôme sans l’aide de personne. Cette décoration à elle seule illustre parfaitement les bruits qui courent à son sujet.
Vincent sort une clef de la doublure de sa livrée, déverrouille la porte, puis m’invite à entrer. Je découvre alors un vestibule fastueusement décoré. Il me débarrasse de mon manteau avec un dégoût qu’il peine à dissimuler et disparaît quelques instants. Je crains de ne jamais revoir ce vêtement.
À son retour, il m’accompagne dans la pièce suivante, habillée sur le même modèle que la précédente. Des moulures au plafond, des boiseries aux reliures dorées, des tableaux absolument incroyables. Au centre, dressée sur un somptueux tapis, siège une longue table rectangulaire dont le couvert est déjà en place. Rien qu’un des verres que j’aperçois doit coûter plus cher que la propriété entière de mes parents.
Il n’y a pas à dire, le vicomte ne manque pas de goût, ce qui explique sûrement sa position auprès du roi. Chaque peinture sur laquelle se pose mon regard de novice paraît s’adresser à moi. Il me semble même en entendre la mélodie de certains, tant ils sont réalisés avec un souci du détail que peu de personnes peuvent se vanter de détenir. J’aimerais avoir un tel talent.
Une ombre vient toutefois ternir mon enthousiasme : malgré les multiples surfaces réfléchissantes que j’ai croisées, je n’ai pas aperçu mon reflet une seule fois.
— Bienvenue à Versailles, monsieur Faucheux, déclare solennellement Vincent. En tant que valet de monsieur le vicomte, je suis à son service personnel et par conséquent, au vôtre. N’hésitez pas à me solliciter en cas de besoin. Laissez-moi vous conduire à votre espace nocturne.
Je lui emboîte le pas vers le fond de la pièce, menant à un couloir présentant plusieurs portes. Celle tout au fond possédant une armature supplémentaire dont les extrémités semblent réalisées en or fondu, je devine qu’il s’agit de celle du maître des lieux.
Vincent s’arrête juste à côté et ouvre sur une chambre de trois fois la superficie de la mienne, à Pont-Château.
— Diantre !
Aucun autre mot n’est en mesure de franchir le seuil de mes lèvres. Un lit à baldaquin trône au centre de la pièce. D’épais rideaux en velours pourpre sont rabattus sur les côtés et noués par une cordelette blanche aux détails ébènes. Sur ma gauche, une immense armoire qui suffirait à contenir tous les vêtements que ma famille a jamais possédé.
Plus loin encore, une commode composée d’une dizaine de tiroirs et enfin, au pied du lit, je remarque un coffre plat qui doit occasionnellement servir d’assise, car des coussins reposent dessus.
— Si vous avez des questions, je suis tout ouïe. Le cas contraire, plusieurs affaires décidées par monsieur le vicomte m’attendent. Je serai de retour demain matin pour le petit-déjeuner. Des domestiques viendront le servir aux alentours de huit heures. Quant au dîner, vous le trouverez sous cloche dans la pièce principale.
Assommé par toutes les informations qui s’accaparent mes sens, je me concentre sur Vincent et demande :
— Où se trouve le vicomte ? Je pensais m’entretenir avec lui dès mon arrivée.
Un sourire en coin vient fragiliser le masque d’impassibilité du valet.
— Il me semble déraisonnable de s’attendre à une entrevue ce soir. Monsieur le vicomte est très souvent pris par différents événements en société.
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Nascana
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Sarah.Hamilton
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Kentin Perrichot
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Andrée Martin
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Kentin Perrichot
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Kentin Perrichot
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Nash
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