Fyctia
Chapitre 35
— Vous devriez être capable de marcher sans étourdissements aucuns, dit calmement le docteur. Et gambader sans aucun problème dès demain. Peut-être même dans une heure ou deux. Si vous concédez quelques analyses supplémentaires pour vérifier que tout va bien, vous pourrez rentrer chez vous ensuite, dans quelques heures tout au plus. Mais vous n’y êtes pas obligatoirement forcée. Je vous le conseille néanmoins.
Il ajoute :
— Dans tous les cas, évitez de vous battre à l’avenir. Selon la zone qui est touchée par les coups, cela peut être plus grave. L’un de mes patients, récemment, a eu la paupière fendue.
— Oui… ça m’a servi de leçon je crois…
Il s’éloigne et sort de la pièce. J’en profite pour demander à Laetitia :
— Qui est-ce qui m’a sortie du parking ? Je me souviens avoir perdu connaissance à l’intérieur… et puis, plus rien...
— C’est Ethan, il t’a portée hors du parking et transportée à deux rues de là. Pour te mettre en sécurité. Il m’a appelée, pour que je vienne te chercher. Mais après il est parti avant l’arrivée de la police.
— Tu m’as amenée à l’hôpital après ?
— Oui Ethan avait peur qu’on lui pose trop de questions s’il nous accompagnait à l’hôpital. Alors il m’a demandé de le tenir au courant de ton état.
— Tu as été super, merci, dit-je en lui prenant affectueusement la main.
— Non mais tu rigoles c’est normal, j’étais sur place en trois minutes tu plaisantes.
— Et ma mère ? Elle va venir ici me chercher, du coup ?
— Elle arrive.
— Ouille.
— Tu n’es pas restée dans les pommes si longtemps que ça. Tu t’es juste pris trois gnons voilà…
— Moui, ça aurait pu être pire c’est vrai…
— Oui, sérieusement ne recommence pas. Sérieux, là.
— Oui, je sais.
Elle laisse échapper un rire nerveux. Elle se doute maintenant clairement qu’Ethan est un criminel.
— Quand même, franchement…
— Quoi ?
— Oh rien rien. Je m’abstiendrai de te taquiner.
— Mon état va très bien, tu peux y aller.
— Quand tu auras désenflé, oui oui.
— Argh, non, j’avais presque oublié… t’es chiante j’ose même pas te demander une glace pour voir comment je suis moche.
— Non t’es belle, tu donnes juste l’impression de t’être disputée un peu chaudement…
— C’est super rassurant ça. Au moins là ça attirera l’attention sur moi…
— Mais nooooooon. Je blague tu n’es pas si enflée que ça, ça va. Là je te dis, une semaine tu as plus rien.
— Mmmmh…
— Ben oui. Par contre avant de faire un pari avec toi que tu guérisses en une semaine j’attendrai que tu me promettes de plus faire la téméraire ou des conneries comme ça, parce que sinon ça tient pas hein.
— Oh, allez, tu me connais.
— Oui ben justement. T’es ma meilleure amie.
J’échange avec elle un sourire, et on joint nos mains. Durant de longues secondes.
* * * * *
Chez moi, dans la matinée.
J’ai d’abord été catastrophée de voir la trace d’un cocard sur mon visage, puis j’ai constaté que ça pouvait être réduit et dissimulé en grande partie avec du maquillage. C’est déjà ça. Mais maintenant il faut que j’attende que ça disparaisse complètement.
Je n’ai pas vraiment eu envie d’aller à la police, car ça causerait du tort à Ethan. Oui, Laetitia me dit que je ne devrais pas le ménager, mais j’ai des sentiments pour lui, bien trop forts pour pouvoir les étouffer, et je sais qu’il en a pour moi, même s’il n’est pas du genre à l’avouer si facilement.
Le soleil est déjà levé depuis un moment quand je vais m’installer sur le canapé du salon, enveloppée dans ma robe de chambre beige.
Je m’emmitoufle toujours ainsi quand je suis en convalescence, même si je n’ai pas spécialement froid.
Je zappe distraitement en regardant la télé, et je garde mon téléphone à la main. Pianoteuse compulsive par moments.
Je change de chaîne et tombe sur le journal télévisé. Le bandeau bleu qui passe en bas de l’image et à l’intérieur duquel défile un texte attire mon attention : mais moins que les images. Le journaliste fait une description à haute voix de ce qui s’est déroulé à Nice il y a quelques jours. Exactement là où, précisément, je me trouvais… je manque m’étouffer avec mon jus d’orange.
— … une courte rixe qui, en faisant un mort et plusieurs blessés graves en état critique, nous rappelle l’urgence d’intervenir dans le secteur pour empêcher un nouveau drame de se produire. Le détective Adrian Stone, qui avait mené des actions dans la ville en coordination avec la B.A.C., Brigade Anti-Criminalité, a été reçu par le ministre de l’Intérieur, hier en fin de soirée. Il…
Mon sang se glace quand je vois et reconnais les images du parking souterrain. Ce fameux parking… j’étais sur place putain. J’ai assisté à une partie de la rixe. Je n’arrive même plus à écouter le son du journal télévisé tellement le choc est fort.
Le mec que j’ai vu à terre… putain… il était mort en fait. J’ai été témoin d’un meurtre…
Je ne sais pas pourquoi la police ne m’a pas encore interrogée. Ne m’a-t-on pas vue ? Il y a des caméras de sécurité dans les parkings souterrains, non ? Ou peut-être pas… j’en sais rien… peut-être ces criminels les ont désactivées ou quoi…
En proie au stress, je saisis nerveusement mon téléphone et appelle Laetitia. Ça sonne. Ça sonne encore. Allez, réponds Laeti’…
Finalement, après de longues secondes, elle décroche. Je panique :
— Hé tu as vu à la télé, ils parlent de ce qu’il s’est passé ! Putain… là où j’étais ! Y’a eu un mort !
— Hein ?
— Oui là où j’étais ! Là où il y avait le parking !
— Attends je suis pas devant la télé là, je vais allumer… c’est quelle chaîne ?
Je regarde l’écran du téléviseur avec angoisse. J’écoute ce qui se dit.
Putain… c’est chaud…
Je reste les lèvres pincées. J’ai l’estomac noué.
* * * * *
Avant les cours de Cinéma. 7h54.
Un petit vent d’octobre souffle sur la ville. Le soleil, quoiqu’un peu dissimulé par les nuages, éclaire encore très bien les lieux.
Je suis rapidement accueillie par mes amies quand j’arrive devant l’établissement. Elles viennent me témoigner tout leur soutien :
— Ça te fait encore mal ? s’inquiète Mégane en voyant la trace des coups qu’il me reste sur la joue.
— Non ça va, j’ai des bleus mais la marque va disparaître. J’en ai aussi deux ou trois sur le corps, mais bon ça va.
Elle se mord la lèvre de compassion et suggère :
— Tu aurais peut-être dû mettre encore plus de maquillage, ça se voit encore.
— Non je veux qu’Ethan le voie, c’est un peu sa faute après tout, si j’ai ça.
Laetitia ne paraît pas convaincue :
— Pas tellement en fait, c’est toi qui as décidé d’aller dans le parking. Je sais bien que t’es hyper-sensible et que tu réagis aux situations stressantes ou révoltantes, mais quand même faut que tu fasses attention.
Deux mecs qu’on connaît passent derrière moi, puis nous reconnaissant viennent nous saluer.
— Hey qu’est-ce que tu t’es fait ? lâche l’un d’eux après m’avoir fait la bise.
— Rien je me suis fait mal. Tu sais si Ethan est arrivé encore ?
— How, je ne vais pas aller chercher le pit-bull pour me faire mordre.
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