Fyctia
5.1 - Celui qui a une théorie
Deux jours se sont écoulés depuis ce fameux soir où j’ai rencontré le meilleur ami de mon frère. Rien que d’y repenser, j’ai encore les joues qui chauffent. Je déraille complètement. Flirter avec un inconnu – qui s’avère être le meilleur ami de Corentin, pour couronner le tout – est insensé.
Seule à ma table dans la grande bibliothèque universitaire, je plaque mes mains sur mes tempes en fermant les yeux. Depuis qu’Adrien a rompu, j’ai l’impression qu’une partie du monde s’est arrêté de tourner. En conséquence, je marche dans le vide, sans savoir où je vais.
La vérité, c’est que si je m’étais retrouvée seule avec Finn, je n’aurais jamais pu avoir de rapprochements physiques avec lui. Premièrement, ma pudeur aurait largement freiné mes ardeurs. Deuxièmement, je suis une sentimentale. Mon cœur appartient toujours à Adrien et aller plus loin avec un autre homme, ça aurait été comme le tromper. Quand j’y pense, ça paraît dingue, puisqu’il m’a largué sans prendre de gants, mais je n’y peux rien. C’est trop tôt, je ressens encore le besoin de lui être fidèle.
J’échange quelques messages avec mes amies de la fac, restées en France, qui me posent mille questions sur mon arrivée à Galway.
Est-ce que les Irlandais sont aussi mignons que ce qu’on dit ?
Ça doit être cool de retrouver ton frère ? C’est joli l’Irlande ?
Tu nous enverras des cartes postales ?
Ces trois SMS proviennent respectivement de Zoé, d’Audrey, et de Coralie. Nous nous sommes rencontrés en arrivant à l’université, il y a deux ans. D’aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais eu d’amis dont j’étais véritablement proche. Le genre d’amis avec lesquels tu fais des soirées pyjamas, que tu vois régulièrement en dehors des cours. Avec les filles, c’est un peu différent.
J’ai toujours l’impression de ne pas parvenir à créer un lien profond avec elles, mais j’essaie. Parce qu’elles me rendent la tâche bien plus facile que toutes les personnes que j’ai pu rencontrer auparavant.
Mon réflexe est ensuite de consulter ma conversation avec Adrien pour… Non ! Je retire ma main de l’appareil et fixe un point droit devant moi.
— Arrête de penser à lui, me chuchoté-je pour moi-même.
J’inspire profondément. La tentation est forte, mais je me souviens des mots de Corentin. Si je veux lui parler, mieux vaut que je lui envoie un message. Autrement, ça ne sert à rien d’attendre.
Alors, je cède. Une fois le message envoyé, je laisse mon téléphone de côté et me reconcentre sur mes cours. Jusqu’ici, ça se passe bien. Puisque tout est en anglais, j’ai un peu de mal à suivre, bien sûr, mais c’est aussi une question d’habitude. Je me replonge dans la psychologie du développement en faisant au mieux pour faire abstraction de tout le reste.
Au bout d’une vingtaine de minutes, une vibration sourde retentit sur la table. Je sursaute presque et me jette pratiquement sur le portable. L’écran sous les yeux, je ne retiens pas un soupir de déception. Pas de nouvelles d’Adrien. À la place, j’ai reçu un message d’un numéro inconnu.
Salut, c’est Finn. Ton frère n’a plus de batterie et m’a chargé de te dire qu’il ne pourra pas venir te chercher à la fac pour t’emmener au bar. Besoin d’un taxi ?
Son message est rapidement suivi d’un GIF à l’effigie d’un petit taxi jaune comme on en trouve à New York. L’image a le don de me tirer un sourire. Je réfléchis quelques secondes avant de répondre que ce ne sera pas nécessaire. De mémoire, le Dunbrody n’est pas très loin d’ici et il faut que je me familiarise avec les lignes de bus. Je décline donc gentiment sa proposition.
Il m’a aussi dit de te dire qu’après notre prestation au pub, on ira faire un tour à la fête foraine, ça te dit de venir avec nous ?
Dans la vie, je suis plutôt du genre à redemander trois fois si je ne joue pas les intrus. J’aime sortir, mais je suis très rarement celle qui prend des initiatives. Cette invitation tombe à point nommé. Après réflexion, j’accepte en lui répondant avec un GIF du chat du Cheshire.
Tu sais que ce chat est ultra flippant ?
Je m’offusque et lui réponds aussitôt.
Bien sûr que non, enfin. Il est très énigmatique, c’est tout.
Oh, aurais-je offensé une fan d’Alice au Pays des merveilles ?
Seule dans le silence de la bibliothèque, je retiens un rire. J’ignore pourquoi, mais j’imagine Finn en train de sourire. Le même sourire en coin qu’il m’a offert au comptoir il y a quelques jours.
Je n’irais pas jusqu’à dire “fan”. Seulement, ce conte me tient beaucoup à cœur.
Depuis que je suis enfant, c’est mon conte préféré. Ma mère me le lisait souvent pour m’endormir, car je le lui réclamais presque à chaque fois. J’ai dû regarder le film Disney une bonne centaine de fois et la seule chose qui m’a empêché de faire la même chose avec la version de Tim Burton, c’était le prix des entrées au cinéma. Problème qui a été résolu dès que l’on m’a offert le DVD à Noël.
Nos goûts en disent plus sur nous que nos mots.
D’humeur joueuse, je lui adresse une réponse.
C’est de toi ou ça vient de Google ?
Nouveau message de sa part.
Je te laisse deviner. À ce soir, Maëlle.
Je verrouille mon téléphone en gloussant comme une adolescente. Cette petite discussion aura au moins le mérite de m’avoir changé les idées. Adrien n’a toujours pas donné de nouvelles, qui plus est.
Il faut que je me remette au travail pour éviter de penser à lui. Trop de larmes ont déjà inondé mon oreiller chaque nuit depuis mon arrivée. C’est plus facile de se laisser aller à sa peine quand personne n’en est témoin. Le fait est que je m’étais préparé à ne pas le voir durant six mois, ce qui rend peut-être cette séparation moins compliquée.
Pourtant, paradoxalement, j’ai encore du mal à croire à notre rupture puisque nous étions déjà censés être séparés par la distance. La seule différence, c’est qu’il ne sera pas présent à mon retour en France pour me prendre dans ses bras.
Lorsque je passe la porte du bar le soir venu, je suis satisfaite du travail que j’ai réalisé à la bibliothèque. Me rendre là-bas pour travailler n’est pas une habitude que j’avais en France. Le sentiment d’être assise au beau milieu d’une pièce immense où le silence règne n’est pas ce qui me plaît le plus. Simplement, j’ai sauté sur l’occasion aujourd’hui afin de mettre toutes les chances de réussite de mon côté. Puisque je suis ici, autant expérimenter de nouvelles choses.
Pour la première fois, j’étudie dans un pays étranger. Changer de contexte a opéré une sorte de déclic dans mon esprit. En France, je ressentais comme un blocage. Une peur de me lancer quand j’étais persuadée d’échouer. Ce mur que j’imaginais me barrer le chemin, je ne le vois plus ici. C’est une étrange sensation de se sentir soudain capable de réaliser ce que je souhaite sans être freinée par mes propres limites.
Pour autant, je n’ai aucune foutue idée de comment apprendre à nager au beau milieu d’un océan.
4 commentaires
Camille Barra
-
Il y a 2 ans
AnnaShaw
-
Il y a 2 ans
ccrosyln
-
Il y a 2 ans