Fyctia

Je reste impassible en terminant de servir mon client en essayant d’ignorer le fait qu’il est accoudé au comptoir juste devant moi. Déterminée à ne pas paraître étrange en le fixant ainsi, je plaque un sourire sur mon visage et m’approche calmement.

— Bonsoir, Monsieur. Qu’est-ce que je peux vous servir ?

— Un Black Velvet, s’il te plaît.

Sa voix est suave, chaude et… très sexy, si je dois être honnête. J’acquiesce sans être capable d’aligner deux mots et me réfugie dans la cuisine. J’y récupère une bouteille de champagne pour réaliser son cocktail en me remémorant ce que Shane m’a appris à ce sujet.

Tandis que je fais couler l’alcool dans son verre, je l’observe du coin de l’œil. De grands cheveux noirs ondulés dont l’une des mèches retombe sur son visage. Deux yeux verts hypnotisants. Je repère sur son bras, dénudé puisqu’il porte un simple tee-shirt, un tatouage. Il s’agit de deux lignes qui semblent faire le tour de son biceps, l’une est très fine, l’autre plus épaisses, parallèles l’une à l’autre.

C’est si étrange. Dans le bon sens du terme. La présence de cet homme éveille quelque chose en moi que je n’ai pas la sensation de maîtriser. C’est comme une envie de me sentir près de lui, d’avoir son regard dirigé vers moi. De devenir le centre de toute son attention. Je n’ai jamais ressenti ça auparavant, pas même avec Adrien. Et c’est exactement pour ça que toutes ces émotions me prennent de court. Je ne sais pas ce qu’elles signifient.

Durant toute la préparation, le violoniste ne cesse de me fixer. Moi qui préfère toujours m’éloigner des regards indiscrets, j’en joue. Le black velvet est une boisson composée à proportion égale de champagne et de bière brune. Très amer et sec, il attise ma curiosité pour ce jeune homme énigmatique. Je verse les ingrédients un à un avec soin tout en sentant ses yeux toujours posé sur moi.

— Voilà votre cocktail, déclaré-je d’une voix douce en lui tendant son verre.

— Merci. Tu diras à Shane de mettre ça sur ma note.

Je hoche la tête.

— Ça fait longtemps que tu travailles là ?

Son accent irlandais prononcé me fait frémir.

— Seulement quelques jours. Vous vous produisez souvent ici, à ce qu’il parait.

Il acquiesce en souriant avant de plonger ses yeux dans les miens.

— En effet, on sera amené à se revoir alors.

Tandis qu’il ingurgite une partie de sa boisson, je peine à dissimuler le rouge qui me monte aux joues. Heureusement que la luminosité assez tamisée m’aide. Bon sang, ça fait une éternité que je n’ai pas flirté ! En fait, tout bien réfléchi, je ne suis même pas certaine d’avoir déjà tenté de séduire un garçon. Adrien est – était – mon premier copain, et c’est lui qui est venu vers moi le premier. Attendez… est-ce ce que je suis en train de faire ? Flirter ?

L’effet que me fait cet inconnu est plus important que ce que je pressentais. L’intensité de son regard me transperce de toute part, me livrant tout entière rien que pour lui. C’est très déstabilisant, mais pas forcément désagréable.

— Vous jouez vraiment très bien en tout cas. Je ne connais que peu la musique irlandaise, mais l’aperçu que j’en ai eu ce soir était tout simplement magnifique ! Le violon est un instrument…

— Fiddle, me coupe-t-il.

Son ton n’est pas sec, mais sa voix est dure. Seul son sourire en coin m’indique qu’il n’est pas en colère, mais tient simplement à pointer quelque chose qui le tient à cœur.

— Fiddle ? répété-je sans comprendre.

— C’est le nom de l’instrument, m’explique-t-il en avalant une nouvelle gorgée de son cocktail.

— Désolé pour la confusion, je ne savais pas. Quelle est la différence avec le violon ?

J’essaie de faire taire l’hésitation dans ma voix. Discuter avec lui m’intéresse sincèrement, alors je ne sais pas pourquoi je suis aussi peu sûre de moi.

— Aucune, en vérité.

Cette fois, je fronce les sourcils, ce qui lui vaut un éclat de rire. Sa pomme d’Adam tressaute lorsqu’il rejette sa tête vers l’arrière avant de m’adresser un sourire radieux.

— En fait, ce sont les mêmes instruments. La seule différence est celle du nom, mais aussi de l’utilisation. Jouer du fiddle ou du violon, c’est jouer du même instrument, mais d’une manière totalement différente, s’exclame-t-il, plein de passion dans la voix.

Il s’apprête à ajouter quelque chose, mais se ravise et baisse les yeux vers son verre.

— Enfin, mieux vaut que je m’arrête là. Je n’ai pas envie de t’embêter avec mes explications.

— Oh non, vous… tu ne m’embêtes pas, le rassuré-je.

Par réflexe, ma main s’est avancée pour se poser sur son avant-bras. C’est un geste machinal que je faisais souvent vis-à-vis d’Adrien. Les vieilles habitudes ont la peau dure. Je m’apprête à retirer ma main mais il fait glisser son bras pour l’attraper avec la sienne. Mon regard quitte alors nos membres pour croiser ses yeux clairs.

J’ai chaud, beaucoup trop chaud. Son toucher me ravive. On dirait que je lui plais mais comment en être certaine ? Je ne crois pas avoir suscité l’intérêt d’un autre garçon qu’Adrien, je n’ai jamais été qu’invisible aux yeux des hommes.

— Je décèle un accent dans ta voix, souffle-t-il avec douceur. Tu n’es pas d’ici ?

— En effet, non, je suis…

— Finn ! s’exclame une voix à quelques mètres.

Immédiatement, je lâche la main de cet inconnu qui se retourne en direction de la voix. Lorsque je dévie mon regard à mon tour, je suis étonnée de découvrir mon frère s’avancer vers mon inconnu.