Tanguy Le Grand fracas Un chapitre, une rupture

Un chapitre, une rupture

Ce n’était ni plus ni moins qu’un mythe qui s’effondrait devant mes yeux, le mythe de la meuf trop fraiche que j’aurais pu serrer dans ma buanderie alors que des potes soutenaient une énorme poutre. Et ouais c’était con, pourtant je m’en doutais un peu, l’enfant qui pleure dans mon fort intérieur me disait « De toute façon elle s’en fichait de toi, on le sait depuis son mutisme pendant le trajet en vélo. ». Ça m’avait bien arrangé de ne rien tenter, de tirer des conclusions tout seul. J’aurais pu la chopper, puis lui dire un truc du style « On va porter ça, on retourne ici dans vingt minutes et tu pourras pas faire autrement que dormir là. » tout en lui caressant la joue. Oui mais il y avait Louise. Prétexte ? Peut-être. Prétexte pour ne pas prendre un coup à la confiance, pour ne pas en perdre ; ai-je donc vraiment pêché par excès ? Impitoyable dialectique que celle du masculin sacré et de l’émasculé secret !



11 Septembre 2013, le jour noir


C’est en cours d’anglais que je reçus son sms, entre 8h25 et 10h20. Je rage de ne pas avoir mon portable de l’époque sous la main, toutefois c’est mieux ainsi. Ces mots étaient durs, mal choisis, ils étaient ceux d’une rupture. Ceux d’une fin d’histoire courte, une mauvaise chute, au goût écoeurant d’un oeuf cru. Alors elle ne voulait pas me le dire en face, c’était pesé emballé envoyé, à peine du sur-mesure. Cependant indirect ; elle avait besoin de temps pour réfléchir, c’est la technique soft n°3, et j’ai trop la haine pour faire la liste. En creusant, j’appris de Louise que le problème ne venait pas de moi, mais d’elle. Bon. Rassuré, je passai rapidement à autre chose.


12 Septembre 2013


Et si le problème venait quand même de moi ? C’est avec cette question que commença ma journée. Il fallait me rendre à l’évidence, j’étais très malheureux, seul dans mon lit. Ça commençait à bien faire, et je n’allais sûrement pas laisser filer ma douce et odorante Louise. Diane, une amie d’Ariane dont j’ai oublié de parler dans ce récit, qui joua pourtant son petit rôle dans toute cette affaire, présente le jour où j’ai rencontré Louise ainsi qu’à chaque fois que je l’ai revu (elle dormait aussi chez Ariane) et que je connaissais de l’année d’avant, que j’affectionnais assez et qui eut la gentillesse de plaider ma cause auprès de Louise — qui une fois me le dit : « Tu sais, Ariane et Diane me disent souvent que tu es un mec bien. » — suivant ainsi de loin tout cela, Diane me demanda des nouvelles. « Bah c’est fini, ça me rend fou. » lui répondis-je, direct. J’en étais pas fou du tout, seulement je trouvais que ça sonnait bien, et je pouvais bien être un peu emphatique puisque je venais tout de même de me faire larguer par sms.


Je me sentais puissamment frustré car je croyais que mon besoin de stabilité serait enfin comblé, par une fille équilibrée qui ne buvait pas et ne fumait pas. Alors que je m’étais senti capable d’être fidèle pendant longtemps, je fis n’importe quoi, et dilapidai en une semaine un mois de vertu durement gagné. Ça n’a certes rien d’impressionnant, ce mois me parait toujours une éternité, durant laquelle je crus que ma vie répondait à des critères différents. J’y crois toujours un peu, et je retire l’objection sur mon excès de confiance. Pendant ce mois-là je n’ai pratiquement pensé qu’à Louise, j’en ai clairement fait une obsession. Il est aujourd’hui évident que cette dernière a pris peur devant un malade qui paraissait trop sûr de lui pour être honnête. Étais-je naïf ou malhonnête, elle ne se décida sans doute pas. Elle souhaitait cependant me garder comme ami, d’après un de ces sms. Compassion suicidaire ou copié-collé non relu ? Si je voulais la voir, il me suffisait de l’appeler, avait-elle écrit.


17 Septembre 2013


Évidemment, je ne pus résister à l’envie de l’appeler. Son portable sonna quatre fois, hors de question de lui laisser un message. Elle me rappela une paire d’heures plus tard, et je lui dis que je n’avais pas fait exprès, d’une manière assez sèche et courtoise, sournoise. Elle me proposa tout de même un rendez-vous, et je lui répondis que je n’en ressentais pas véritablement l’envie. Elle me salua et j’ai raccroché. Il faut savoir que je lui avais témoigné mon envie d’être patient, que je voulais bien attendre qu’elle fasse le deuil de son Alexandre, qu’elle avait pourtant largué plus d’un an auparavant. Elle n’en avait que faire, et, insulte suprême, cherchait à me transformer en son ami. Je vis cela comme une tentative de dressage, d’humiliation. Je n’avais nullement besoin d’amie et encore moins de fantasme. Je regrette maintenant d’avoir moi-même proposé cela lors d’une rupture.



12 Octobre 2013


Je la revis dans un café. Non plus pour ses beaux yeux — je m’étais depuis attaché à des plus noirs et plus sauvages — mais pour voir la réaction qu’elle aurait quand je lui annoncerai que je l’avais allègrement remplacé. Si rétrospectivement je me suis un peu décrédibilisé, la rencontre ne fut pas dénuée de charmes. Tout s’est passé comme si nous nous connaissions depuis deux ans. Elle resta très peu de temps aux toilettes et je remarquai en m’y rendant qu’elles étaient mixtes et sans glace, sans doute une astuce du patron. C’est inhabituel, je ne me rappelle pas de ce que je lui ai dit, de ma ligne de dialogue. Je lui fis juste comprendre, comme toute personne fraîchement larguée et orgueilleuse, que ça roulait pour moi. « Fraichement largué et orgueilleux » devait-il même être inscrit sur mon front, cela a dû l’amuser. Il y eut bien sûr des moments gênants — pas autant que quand ma petite soeur a dit à notre grand père que son lapin (alors mourant) était une réincarnation de mamie — et sous ses airs feutrés, notre rencontre cachait une petite bataille. Dans un moment d’égarement, je me suis hasardé à réclamer la garde des enfants, je n’étais décidément pas drôle, « du moins pas quand tu le veux ». Elle m’apprit qu’un grand brun à Dauphine lui faisait la cour, seulement elle ne se sentait pas de répondre à ses avances par respect pour une très bonne pote qui était à fond sur lui depuis plus d’un an. Pour certains, le deuil d’Alexandre ne constituait pas une raison suffisante. Je reçus cette nouvelle avec le sourire, captivé par son manque de cohérence. C’est qu’elle paraissait vivre un véritable dilemme, j’en étais franchement désolé ! Peut-être jouait-elle le même jeu que moi, je l’avais blessé dans son orgueil en l’ayant vite remplacé, elle ne se laisserait pas attaquer sans rien faire ! Cela, je ne l’ai suspecté que plus tard, quand je l’ai quitté pour voir quelqu’un d’autre, à peine lui ai-je fait la bise. Je ne savais pas que c’était l’avant dernière fois que je la verrais. On arrêta définitivement tout contact.

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