Fyctia

Chapitre 2 : Romaric

Le téléphone a vibré plusieurs fois sur la table de nuit, propageant sa musique inaudible jusque sur l'oreiller. Le réveil est difficile. Je me suis couché tardivement hier soir, profitant de l'air adouci pour une marche nocturne dans la vie parisienne. J'avais envie de savourer chaque instant avec Lise, et ce weekend en amoureux était écourté par l'arrivée de ma sœur. Nous avons pris les chemins de traverse pour nous retrouver seuls ce soir là. nous sommes rentrés avant le lever du soleil, sans un bruit, avons enlevé les chaussures dans l'entrée, et nous nous sommes faufilés à travers le salon, à pas de velours, jusque dans la chambre.

Le soleil est désormais bien présent pour un mois de janvier, les rayons froids transpercent les rideaux occultants, pour venir danser sur les draps blancs.

Le téléphone sonne une seconde fois. Je me redresse tant bien que mal et l'attrape d'une main. Maman. Pas envie de répondre là, je risque d'être désagréable. Elle me fait jouer les baby-sitters sans m'en parler et appelle ensuite, la gueule enfarinée, pour prendre des nouvelles.

Désormais réveillé et déjà agacé, je me lève, enfile un boxer en coton peigné et un pull puis je m'arrête dans l'encadrement de la porte qui donne sur le salon. Je jette un œil à droite, sur le canapé. Jo dort encore, enfouie sous la couverture moelleuse en polaire grise. Je reste là, à observer Lise, côté cuisine, qui s'active à faire un café dans la vieille machine à piston que j'avais acheté lorsque j'étais étudiant, sans réveiller Jo qui dort à côté. Lise est déjà habillée, elle a enfilé son jean, ramené ses cheveux paille ébouriffés sur le dessus de son crâne. Elle m'aperçoit et m'adresse un sourire lumineux.

Lise est ma bouffée d'oxygène. Nous nous sommes rencontrés il y a quelques mois, par des amis communs. Pourtant, nous, nous n'avons rien en commun. Ma vie a pris de l'éclat le jour où nos âmes se sont croisées. Aujourd'hui encore, c'est un mystère pour moi. Je ne comprends pas ce qu'elle me trouve. Je suis un garçon banal, ni beau ni laid, qui a une vie tout ce qu'il y a de plus classique : métro, boulot, dodo, et le pire, c'est que cela me convient bien. J'aime que les choses soient à leur place, établies, et ce rythme répétitif m'est confortable. Depuis que j'ai pris mon indépendance, je me construis cette vie qui me correspond, sans rendre de compte à personne. Mais finalement, je me comporte comme un vieillard, alors que je n'ai même pas trente ans…

Lise me sors de mes divagations, en posant sa main tiède sur ma hanche. Elle me tend un café, levant le menton en direction de la chambre, sans un mot. Elle fait son possible pour laisser Jo dormir. C'était de drôles de présentations, finalement, hier soir. Je n'étais pas du tout à l'aise que Lise rencontre Jo, qui déboule, comme cela, à l'improviste. Je n'ai pas pu l'y préparer, ni même parler de ma famille à Lise. C'est gênant. Ce n'est pas tant pour cacher Lise à ma famille que l'inverse. Je ne tiens pas particulièrement à alourdir notre relation naissante avec mes histoires de famille, pas toujours simples à gérer. Mais Lise n'a rien dit. Elle a accueilli les choses comme elles venaient, sans retenue, sans questions, avec une bienveillance dont elle a le secret.

Johanna se réveille rapidement finalement, elle semble avoir le sommeil léger. Elle s'assoit sur le clic clac, frotte son visage entier lentement mais fermement avec ses mains, plusieurs fois puis nous adresse un regard, avant même que nous ayons atteint la chambre. C'est l'odeur gourmande et enveloppante du café qui l'a réveillée. Elle se lève et attrape celui que lui tend Lise. Nous nous installons tous les trois autour du bar qui sépare l'espace cuisine du salon.

Quelques minutes de conversation avant que mon téléphone ne sonne une troisième fois.

— Salut Paul, ça roule ?

— Salut Romy, dis voir, je t'appelle vite fait là, je suis en chemin pour un match de foot… Tu réponds pas à ta mère ?!

Je ne réponds pas. Paul, mon ami d'enfance, me connaît bien, et je sais bien que j'ai tort sur ce coup-là.

— Ecoute, j'appelle pas pour te faire la morale, mais ta mère m'a appelé ce matin, y'a un truc qui va pas, elle a l'air inquiète. Rappelle là s'il te plaît, elle m'a fait de la peine.

— Ok, je l'appelle, désolé qu'elle t'ait mêlé à tout cela… On se voit mercredi, comme prévu ?

Je raccroche et compose dans la foulée le numéro de ma mère, en échappant un soupir qui en dit long.

— Allô, maman ? Ça va ? J'ai pas pu répondre tout à l'heure, je dormais.

Elle me coupe :

— Romaric ! Tu as des nouvelles de ta sœur ? La maman de Caroline m'a appelée ce matin. Caroline n'est pas rentrée. Et elle avait dit à sa mère qu'elle voyait Jo. Mais Jo n'est pas rentrée non plus…

Je commence à comprendre l'entourloupe et regarde Jo. Elle ne parle plus avec Lise, elle écoute attentivement la conversation, mine de rien. Elle se lève et s'enfuit dans la salle de bain. Je commence à bouillir intérieurement. Je sens mes mâchoires se crisper. Je n'aime pas les entourloupes. Les relations avec mes parents sont déjà suffisamment compliquées !

— Maman, je t'arrête tout de suite, ne t'inquiète pas, Jo est là. Je croyais que tu étais au courant. Elle est venue me voir hier soir et elle a dormi à la maison. Par contre, Caro n'est pas avec elle. Ecoute, te bile pas. Je vais discuter avec elle et je te rappelle.

J'ai raccroché. Je regarde intensément Lise, qui me prend la main. J'ai couvert Jo, parce que c'est ma petite protégée dans cette famille, mais il va falloir qu'elle soit honnête avec moi désormais...