Fyctia

Avant de vous raconter ce qui s’est passé, il faut que vous compreniez une chose : dans ce monde moderne, fuir, c’est un art. Et je ne parle pas de courir vite ou de savoir se planquer derrière une poubelle. Non. Je parle de fuir sans jamais bouger, de disparaître en plein jour, de devenir un fantôme alors que vous respirez encore.

Moi, Baba Kofi, hacker repenti mais toujours dans la merde, j’aurais dû apprendre ça plus tôt.

Parce qu’à ce moment précis, dans ce cybercafé crasseux du Bronx, pendant que Rosalinda tapait sur son clavier et que moi je cherchais comment retrouver Zik Laurent avant qu’il ne finisse comme Rothschild, mon téléphone a vibré.

Un message anonyme.

"Pars. Maintenant."

Deux mots. Pas de signature. Pas d’explication. Juste un ordre.

Et si j’avais été plus intelligent, plus prudent, plus lucide, j’aurais fait ce que le message disait.

J’aurais décollé immédiatement.

Sauf que moi, je suis comme un môme à qui on dit "ne touche pas à ça". Je touche. Je plonge dedans. Et c’est comme ça que les problèmes commencent.

J’ai montré le message à Rosalinda.

Elle a froncé les sourcils.

— Ça vient d’un numéro masqué ?

J’ai hoché la tête.

— Tu crois que c’est une menace ?

Elle a soufflé du nez.

— Non, c’est pire. C’est un conseil. Et un conseil gratuit, dans notre situation, c’est qu’on est déjà trop dans la merde pour qu’on essaie même de nous faire chanter.

J’ai senti une sueur froide couler dans mon dos.

— C’est qui, à ton avis ?

Elle a tapé un truc sur son clavier, trituré le code source d’un site obscur, et fini par secouer la tête.

— Numéro intraçable. Soit c’est la NSA, soit c’est un type encore plus fort que toi.

J’ai levé les mains en l’air.

— Ça, c’est pas dur. Il y a des ados en Pyongyang qui piratent mieux que moi.

Mais mon estomac, lui, savait déjà.

Ce message, ce n’était pas un hasard.

Quelqu’un, quelque part, m’avait vu creuser trop profond dans l’affaire NoxCoin.

Et maintenant, il essayait de me sauver.

Ou alors, il voulait me faire courir pour mieux me descendre.

C’est là que j’ai repensé à ma vie d’avant, en Martinique.

Un endroit paisible. Soleil, mer, rhum, pêcheurs qui râlent contre le prix du gasoil. Là-bas, le pire crime du jour, c’est quand un touriste blanc ne met pas assez de crème solaire.

Mais moi, j’avais ramené mes emmerdes avec moi.

Parce que même à des milliers de kilomètres, un hacker ne disparaît jamais vraiment.

Et là-bas, dans mon petit appartement, dans ma vie que je croyais discrète, quelqu’un avait peut-être déjà fouillé mon ordinateur, mes comptes, mes contacts.

J’ai regardé Rosalinda.

— On doit bouger.

Elle a soupiré.

— Où ?

J’ai inspiré un grand coup.

— Martinique.

Elle m’a dévisagé comme si je venais de lui annoncer que je voulais traverser l’Atlantique à la nage.

— T’es con ou quoi ?

— Peut-être. Mais c’est le seul endroit où je peux comprendre qui veut ma peau.

Elle a pris une gorgée de café froid, m’a fixé longtemps. Puis elle a rangé son ordi.

— Ok. On y va. Mais si je crève à cause de toi, je te hanterai jusqu’à la fin de tes jours.

En moins de 24h, on était dans un avion pour Fort-de-France.

Un hacker et une journaliste dans un vol low-cost, entre une famille de vacanciers bruyants et un type qui ronflait comme une moto cassée.

J’aurais aimé dire que j’ai dormi, mais impossible.

Trop de questions. Trop de doutes.

Qui m’avait envoyé ce message ? Pourquoi maintenant ? Et surtout, comment savait-il que j’étais en danger avant même que je m’en rende compte ?

Quand on a atterri, j’ai senti l’air chaud et humide me coller à la peau.

Chez moi.

Enfin, chez moi… si quelqu’un n’était pas déjà en train de m’attendre avec une balle dans le chargeur.

J’ai emmené Rosalinda dans un bar discret, au bord de l’eau.

Le genre d’endroit où les touristes ne vont pas, où personne ne pose de questions.

J’ai commandé un planteur, Rosalinda un café.

Puis j’ai sorti mon téléphone, et j’ai fait ce que n’importe quel hacker ferait en pareille situation.

J’ai renvoyé un message au numéro inconnu.

"Qui es-tu ?"

J’ai attendu.

Deux minutes. Trois.

Puis mon écran a clignoté.

"Trop tard."

Deux mots.

Et dans la seconde qui a suivi, j’ai vu un homme en costume noir se lever au fond du bar.

J’ai senti mon estomac se nouer.

— Rosalinda… On a de la compagnie.

Elle a posé sa tasse.

L’homme s’est approché lentement. Tranquille. Sûr de lui.

Puis il s’est assis en face de moi.

Il savait qui j’étais.

Et moi, je n’avais aucune idée de qui il était.

Le type a souri.

— Baba Kofi. Tu ne changes pas. Toujours trop curieux.

J’ai croisé les bras.

— Je te connais ?

— Pas encore. Mais tu aurais dû m’écouter quand je t’ai dit de fuir.

J’ai froncé les sourcils.

— C’était toi ?

Il a hoché la tête.

— Et maintenant, c’est trop tard.

Rosalinda s’est tendue.

— Trop tard pour quoi ?

L’homme a sorti son téléphone, l’a posé sur la table.

Un article s’affichait.

"Un homme retrouvé mort à Fort-de-France. Cause du décès inconnue."

J’ai senti mon sang se glacer.

Parce que sur la photo floue de l’article, je reconnaissais le visage du type qui m’avait appris à hacker.

Mon mentor.

Et maintenant, il était mort.

L’inconnu a repris son téléphone.

Puis il m’a regardé droit dans les yeux.

— C’est la dernière fois que je te préviens, Baba. Sors de cette affaire. Parce que la prochaine victime… ce sera toi.

Puis il s’est levé, a tourné les talons et a disparu dans la nuit.

Je suis resté figé, incapable de bouger.

Rosalinda a soufflé.

— C’est pas bon du tout.

J’ai serré les poings.

— Non. C’est pire.

Parce que maintenant, on ne cherchait plus seulement la vérité.

Maintenant, on jouait contre des fantômes.

Et dans ce jeu, ceux qui perdent ne finissent pas en prison.

Ils disparaissent.