Le Narrateur Le Diable ne parle que par Wi-Fi Chapitre 2

Chapitre 2

D’abord, il faut que je vous dise que si on vous promet la fortune avec un simple clic, c’est que quelqu’un quelque part est en train de vous plumer plus vite qu’un poulet un jour de fête. Moi, Baba Kofi, hacker repenti, exilé sous le soleil de la Martinique, je sais une chose et une seule : la technologie, c’est un couteau à double tranchant, et je tiens toujours le mauvais côté de la lame.


L’argent facile, je n’y crois pas. Les systèmes infaillibles, je n’y crois pas. Et les cryptomonnaies, ces machins numériques qu’on veut nous faire avaler comme le nouvel or noir, je m’en méfie plus qu’un ivrogne ne se méfie d’une bouteille à moitié vide.


Mais voilà, la curiosité, c’est comme la faim : elle vous prend au ventre et vous oblige à fouiller même dans les endroits les plus dangereux.


Et c’est comme ça qu’un soir, entre deux bouteilles de rhum et trois lignes de code, je suis tombé sur NoxCoin.



D’ordinaire, quand un mec me parle d’une “opportunité unique d’investissement”, je raccroche direct ou je bloque l’IP. C’est une règle de survie. Mais cette nuit-là, c’est moi qui suis tombé dessus, tout seul comme un grand, en grattant un serveur que je n’aurais jamais dû toucher.


Un fichier en accès libre, comme une invitation. Et dans ce fichier, une seule ligne qui m’a mis la puce à l’oreille :


“NoxCoin est le futur. Suivez la lumière.”


Déjà, un projet qui commence par une phrase d’illuminé, c’est mauvais signe. Trop de mysticisme pour une monnaie. Mais moi, j’aime comprendre comment ces escrocs modernes manipulent les naïfs.


Alors j’ai creusé.



NoxCoin, c’était censé être LA nouvelle monnaie décentralisée. Sauf qu’en examinant le code source, j’ai vite compris : il y avait plus de trous dans leur système qu’un filet de pêche vieux de dix ans.


Leur fameux algorithme censé garantir la “transparence” faisait des allers-retours suspects vers un serveur inconnu quelque part entre la Russie et les Bahamas. En clair, les transactions étaient truquées dès le départ.


Et le plus beau dans tout ça ? Le système de “vote” sur la blockchain.


Normalement, une cryptomonnaie repose sur la confiance et un réseau décentralisé où chaque utilisateur valide les transactions. Mais là, les décisions étaient influencées par… des likes.


Oui, des putains de likes.


Les transactions pouvaient être approuvées ou rejetées en fonction du nombre de likes qu’elles recevaient. Comme un post Instagram. Comme une vidéo TikTok.


Et c’est là que j’ai compris la dinguerie : quelqu’un, quelque part, contrôlait tout en manipulant ces votes.



J’ai voulu tester. J’ai créé un faux compte, j’ai balancé une petite transaction-test en simulant un transfert de 100 NoxCoins entre deux adresses. Puis j’ai cliqué sur “J’aime”.


En moins de cinq secondes, mon écran a clignoté et la transaction est passée.


J’ai refait la même chose, sans liker cette fois-ci. La transaction est restée bloquée.


En d’autres termes, les riches qui pouvaient générer des milliers de likes contrôlaient le système.


Et pire encore : il n’y avait aucune trace de l’identité des gros portefeuilles derrière ces likes. Tout était soigneusement masqué par un enchevêtrement de serveurs et de faux profils.


Un véritable casino numérique, où les chances n’existaient pas et où seuls quelques initiés pouvaient gagner.


Et moi, j’étais en train de foutre les pieds là-dedans.



Quand on fouille trop dans une affaire sale, on sent toujours ce moment précis où l’air change. Ce moment où l’on comprend qu’on vient d’attirer l’attention d’un très, très mauvais type.


Ça s’est produit quand j’ai voulu creuser plus loin.


J’ai tenté de suivre le chemin des plus gros portefeuilles. J’ai remonté leurs transactions. Et je suis tombé sur un nom que je connaissais déjà.


Samuel Desjardins.


Le même type dont j’avais déjà entendu parler dans une vieille affaire louche.


Le même Samuel Desjardins qui venait d’être annoncé mort dans un accident de voiture.


J’ai senti un frisson courir dans mon dos.


J’avais mis les pieds dans un piège.



J’ai voulu fermer mon ordi. Oublier tout ça. Reprendre ma vie pépère sous le soleil martiniquais, boire du rhum et bidouiller des sites pour des clients inoffensifs.


Mais mon écran a clignoté.


Un message anonyme est apparu.


“Tu sais trop de choses, Baba Kofi. Ferme ce fichier et oublie NoxCoin.”


J’ai senti mon cœur s’emballer.


J’ai tapé une réponse.


“Qui es-tu ?”


Pas de réponse.


J’ai voulu vérifier mon adresse IP, voir d’où venait ce message. Mais avant que je puisse faire quoi que ce soit, mon système s’est déconnecté de force.


Quelqu’un venait d’éteindre mon ordinateur à distance.



Je me suis levé d’un bond, j’ai regardé par la fenêtre.


La nuit était tombée sur Fort-de-France, mais j’avais cette sensation familière. Celle que je connaissais trop bien, celle que j’avais ressentie autrefois, quand j’étais encore hacktiviste et que je faisais trembler des entreprises pour la bonne cause.


J’étais surveillé.


Et dans mon métier, ça voulait dire une chose : j’étais déjà en danger.


J’ai pris mon téléphone, appelé mon seul contact qui pouvait peut-être m’aider : Rosalinda Garza, une journaliste mexicaine que j’avais croisée une fois à un colloque sur la censure numérique.


Elle a décroché à la deuxième sonnerie.


— Dis-moi que tu n’es pas en train de fouiller dans NoxCoin, Baba.


J’ai fermé les yeux.


Elle savait.


Et si elle savait, ça voulait dire qu’elle aussi était déjà dedans jusqu’au cou.



— Écoute, Baba, on doit se voir. Et vite.


Elle parlait vite, haletante. Elle avait peur.


Moi, je commençais à paniquer aussi.


— Quelqu’un m’a envoyé un message. Ils savent que je fouille.


Silence.


Puis elle a lâché une phrase qui m’a fait comprendre que l’affaire était encore plus grave que ce que je pensais.


— Samuel Desjardins est mort hier.


J’ai senti mon estomac se tordre.


Le mec dont le nom apparaissait dans les transactions suspectes de NoxCoin, celui dont j’essayais justement de retracer les mouvements, venait d’être effacé de la surface de la Terre.


J’ai compris que j’étais dans la merde.


— On se rejoint où ? ai-je demandé, le cœur battant.


— New York. Vendredi soir. J’ai une source qui peut nous en dire plus.


J’ai raccroché, j’ai jeté un œil à mon vieil ordi qui clignotait, comme s’il agonisait.


Puis j’ai regardé ma valise.


Moi qui pensais vivre une retraite tranquille en Martinique, me voilà embarqué dans une histoire qui allait sûrement me coûter la peau.


Et si j’avais su ce qui m’attendait à New York, je me serais cassé une jambe exprès pour ne pas monter dans cet avion.

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