Fyctia
Échappatoire
Je m’efforce d’appliquer le moins de force possible sur ma prise, mais la demi-portion se tord de douleur et va même jusqu’à poser le genou sur le sol, le visage inondé de larmes.
— Je vous en supplie, je vous jure que les responsables ne nous ont rien dit sur l’aire de jeu. Ils nous ont seulement remis des armes en disant que nous devions vous abattre et que celui qui y arriverait deviendrait riche… Je ne sais rien de plus !
Inconscient de ma force en cet instant où l'adrénaline enflamme la moindre fibre musculaire de mon corps, je continue de serrer pendant que j’analyse ce qu’il vient de me dire.
Le hurlement de ma victime couvre rapidement l’écho du craquement de l’un de ses doigts qui se brise comme une brindille entre les miens. Malgré tout, je ne relâche pas ma prise et le soulève sans égard à la douleur que cela doit lui causer.
— Pourquoi ce cycle est-il différent des précédents ? continuai-je, insensible à ses cris. Jamais ils ne vous ont remis d’armes réellement capable de venir à bout de moi et aujourd’hui j’entends un coup de feu, puis je tombe sur des armes certainement empoisonnées au cyanure. Alors si tu ne veux pas que je t’entaille avec l’un de ces couteaux à l’instant, je te conseille de trouver d’autres réponses dans ton inconscient !
Un instant, j’avoue que je songe à aller récupérer un couteau ou la batte pour appuyer ma menace une fois de plus, mais le danger que représente un poison tel que le cyanure me fait changer d’idée. La mousse blanche à la commissure de leurs lèvres suffit à me convaincre. De toute façon, la mauviette est tellement traumatisée que je n’ai pas besoin d'autres outils pour lui faire craindre le pire.
Malheureusement pour moi, je crois qu’il dit la vérité et qu’il ne sait rien de plus. Mieux vaut abréger ses souffrances avant qu’il attire tout le reste des participants dans cette salle en continuant de geindre comme un animal blessé. Décidé à lui briser la nuque sans autre considération, je me penche pour le saisir quand je remarque un éclat soudain dans son regard. Animé d’une soudaine fougue, il se relève d’un bond et soutient à nouveau mon regard féroce.
— Le gars avec le revolver ! commence-t-il d’une voix anormalement enjouée pour un homme condamné à mourir. Lui saura sûrement vous dire ce qui se trame ici, je l’ai vu parler avec plusieurs des organisateurs avant de rejoindre notre groupe.
— Et pourquoi devrais-je te croire ? Tu me dis peut-être ça juste pour sauver ta misérable vie et me planter un de ces couteaux dans le dos dès que je me retournerai…
— Je n’hésiterais pas à le faire en effet, mais j’ai l’impression que c’est alors lui qui me tuera. Ce coup de feu que vous venez d’entendre, il n’a visiblement pas été tiré sur vous, donc il veut sortir grand vainqueur de cet Enfer et n’hésite pas à éliminer tous ceux qu’il croise…
— Donc, en gros, tu dis que tu ne vas pas essayer de me tuer, et ce juste pour éviter d’être tué en retour par un profiteur égoïste mieux armé que toi. C’est bien ça ?
— Oui. C’est donnant - donnant il me semble.
— Ah oui ? Et je gagne quoi moi puisque tu dois me tuer pour remporter le gros lot ?
C’est fou comme l’espoir peut nous faire revivre. Malgré ses doigts brisés et sa peur de mourir, voilà que l’homme reprend de l’assurance et ignore sa douleur pendant que son esprit cogite à trouver une échappatoire à une mort certaine.
— Si je te dis que j’ai peut-être une idée pour nous faire sortir tous les deux d’ici, tu sauras me faire confiance ? lance-t-il finalement après d’interminables secondes de silence.
— Même si je le voulais, tu oublies que nous sommes sous surveillance constante. Tout ce que tu dis ou fait est capté, enregistré et analysé par ces monstres milliardaires qui suivent le jeu. Ces ordures m’ont tout expliqué lors d’une de mes “sorties” pour mieux torturer mon esprit !
— Cette fois c’est différent. J’ai cru entendre que les systèmes ont été désactivés. L’un de ces crétins bourrés de fric a dû dépenser sans compter pour te voir mort et arrêter le jeu une fois pour toute.
— Et il ne veut pas que les organisateurs apprennent pour la présence des armes… ajouté-je en commençant à lier les éléments entre eux. Me voilà donc à devoir décider entre te tuer sur le champ pour ne pas me faire poignarder dans le dos ou te laisser vivre en acceptant de te faire confiance… Tu me suggères quoi, l’ami ?
Conscient de l’humour noir derrière ma question, j’étudie avec soin la réaction de l’homme qui vient soudainement de s’immobiliser devant moi. À ma grande surprise, il prend vraiment le temps d’analyser sa situation, comme s’il pesait réellement le pour et le contre d’avoir la chance de survivre aux prochaines secondes. Lorsqu’il pose les yeux sur moi, je note la résignation dans son regard.
— Je suis une merde qui mérite de mourir. Il y a quelques minutes, je t’aurais tué sans aucune hésitation pour mettre la main sur le blé… Toutefois, je vois bien que tu n’as rien du monstre que l’on nous a présenté. Si tu me laisses la vie sauve, je te jure d’être loyal envers toi et de te présenter mon idée pour que nous sortions de ce labyrinthe infernal.
Son discours terminé, l’homme relève la tête et expose son cou à ma colère. Il y a une minute, je lui aurais brisé la nuque d’un revers de la main, mais là j’hésite. Même infime, s’il existe une chance pour moi de sortir d’ici et de retrouver les monstres qui ont détruit mon existence, cela vaut la peine de la saisir.
Je ne lui réponds pas tout de suite, mais mon recul semble soulager la tension dans le corps de l’homme. Pendant que je me penche pour ramasser avec précaution les deux lames empoisonnées et les fourrer dans une besace, il tient fermement sa main blessée contre lui, certainement pour soulager la douleur.
— Tu as un nom ? lancé-je machinalement même si l’idée n’est sûrement pas de me faire un ami.
— Albert.
— Moi c’est Gus, mais tu peux m’appeler Minotaure comme tout le monde…
— Désolé, mais je trouve que Gus c’est ridicule. Tant que nous sommes ici, mieux vaut que ton nom fasse trembler tes adversaires. Sans t’insulter, Minotaure ça te colle mieux à la peau je crois.
— Comme tu veux. Donne-moi ta main.
Inquiet, il me remet néanmoins sa main blessée en me jetant un regard nerveux. Ce n’est que lorsque je déchire une partie de la veste d’un de ses camarades qu’il commence à comprendre ce que je compte faire.
— Non ! Inutile de t’occuper de ça… commence-t-il en voulant reculer.
— Je vais compter jusqu’à trois et toi tu vas serrer les dents, compris ? dis-je d’une voix calme en ignorant sa remarque. Un… Deux…
Pop !
Le son des os qui se replace dans son doigt n’est rien comparativement au cri qui retentit probablement dans tout le labyrinthe. Si mes ennemis ne me craignaient pas déjà, voilà de quoi les motiver !
Pourtant, c'est bien le premier geste altruiste que j'ai eu l'occasion de poser depuis une éternité.
8 commentaires
Horliana
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Il y a 3 ans
cedemro
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Il y a 3 ans
Livia Tournois
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Il y a 3 ans
Gottesmann Pascal
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Il y a 3 ans
VirgileD
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Il y a 3 ans
cedemro
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Il y a 3 ans
Sabrina A. Jia
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Il y a 3 ans