Fyctia
Grandir dans le mystère
Plusieurs personnes peuvent se plaindre d’avoir vécu une enfance difficile pour une multitude de raisons toutes aussi valables les unes que les autres : malnutrition, violence familiale, abus, abandon.
Pour Gus, ce n’est rien de tout ça. Même s’il n’a pas connu ses parents et que sa condition l’oblige à s’isoler du monde extérieur, il juge que sa vie est loin d’être désagréable. Après tout, il n’a qu’à demander et cela lui sera donné sans aucune question posée ou restriction appliquée.
Par moment, il a l’impression que ce sont tous ces gens qui transitent autour de lui qui vivent une vie difficile. Il a compris depuis longtemps déjà que toutes ces personnes sont obligées d’être ici et qu’elles préfèreraient être ailleurs. Impossible pour lui de leur en vouloir puisqu’il a tout de suite remarqué à quel point il est “différent”.
Pour commencer, son corps imposant de deux mètres vingt-cinq avec ses quelques cent vingt kilogrammes d’os massifs et de muscles en impressionne plus d’un. Toutefois, ce sont ses difformités qui effraient tout le monde. D’abord, ses jambes trop longues avec leur articulation inversée, puis ensuite ses pieds qui ressemblent plus à des sabots, révulsent les regards. Le pire reste cependant son visage aplati avec son large nez qui fait penser à un mufle et qui surplombe une bouche remplie de dents anormalement pointues et tranchantes.
Un monstre.
Voilà comment les gens le qualifient en secret quand ils pensent qu’il ne peut les entendre. Pourtant, le jeune homme, qui reste bel et bien un humain de par sa naissance, est totalement pacifique.
Bien que maudit par son physique disgracieux, Gus possède une intelligence qui dépasse nettement celle de toutes les personnes qu’il a rencontrées jusqu’à ce jour. Malgré son jeune âge, à dix-huit ans il peut lire, écrire et parler plus d’une dizaine de langues et il connaît l’histoire de presque tous les grands pays du monde.
Passionné, il explore tous les sujets qui lui tombent sous la main : mathématiques, physiques, chimie, biologie. Étrangement, rien ne lui échappe et son cerveau semble toujours prêt à en apprendre plus sur ce monde auquel on lui refuse pourtant l’accès.
Un génie.
Ce qualificatif est celui que ses précepteurs lui donnent quand ils s’émerveillent de le voir apprendre aussi rapidement à peu près n’importe quoi. Malheureusement pour lui, ce qualificatif élogieux a un revers dangereux qui le surplombe telle l’épée de Damoclès : l’humain craint les génies.
Déjà son physique rebute ceux qui l’approchent, puis son intellect effraie ceux qui sauraient passer outre son aspect. Le voilà ainsi condamné à vivre emprisonné dans cet endroit clos et sans fenêtres afin de préserver le monde extérieur de son existence.
Plusieurs fois, il a senti grandir en lui cette sensation de brûlure qui ne demande qu’à trouver un échappatoire pour sortir de lui. Il se voit alors comme un volcan sur le point d’entrer en éruption, mais dont le roc de la montagne contient la lave qui ne demande qu’à sortir et brûler tout sur son passage.
La colère.
C’est le nom que la science a donné à ce sentiment de feu intérieur qui se doit d’être contenu pour vivre une vie en société. Pourtant, telle la montagne qui finit souvent par se fissurer pour laisser couler son flot destructeur, l’esprit humain, et ce même pour celui d’un génie, ne parvient pas toujours à contrôler cette émotion négative.
Encore moins quand sa compagne, la peur, se mêle de la partie.
Pour Gus, l’éruption arrive sans crier gare lorsque des hommes mauvais arrivent avec fracas pour troubler son univers d’isolement.
Cela commence par la lourde porte d’entrée de la demeure qui vole en éclats lorsqu’un bélier l’enfonce avec violence. La voie ainsi libérée, de nombreuses figures sombres pénètrent les lieux sans un mot et envahissent chacune des pièces de la demeure en faisant pleuvoir la mort avec leurs armes automatiques.
Assis dans son immense fauteuil conçu à sa taille, la jeune bête n’a même pas le temps de se lever qu’elle se retrouve encerclée par un groupe de ces mercenaires sans âme qui la fixent de leurs yeux remplis de dégoût et de haine à son endroit. Ces derniers profitent d’ailleurs de leur supériorité pour narguer leur proie dans une langue différente des occupants de cette demeure.
— Voilà donc l’ignoble monstre que nous devons extraire de cet endroit ! lance un premier soldat.
— C’est incroyable combien il peut être laid ! ajoute un second.
— Et si on le tuait pour purifier la Terre de sa présence ? ose prononcer un troisième.
Bien qu’il comprenne chacun des mots disgracieux prononcés à son endroit, Gus reste silencieux et observe ses agresseurs avec attention. Le premier coup vient toutefois par derrière : la crosse d’une arme percute violemment son genoux et le plie dans le sens contraire de l’articulation. Le craquement sinistre est entendu de tous, mais c’est le hurlement puissant et lugubre qui s’ensuit qui leur fait grincer les dents.
L’explosion de colère qui se libère alors de la bête les prend totalement par surprise. Malgré son genou brisé, celle-ci se propulse vers l’avant de sa jambe valide et ses bras puissants balaient le groupe de brutes qui l’entourent. Utilisant ses ongles longs comme autant de griffes acérées, Gus atteint au moins quatre individus à la gorge.
Pour la première fois de sa vie, il voit le sang se répandre, mais les émotions qui contrôlent son corps en cet instant précis n’en ont que faire. Sautillant sur sa jambe valide, il poursuit encore deux autres assaillants qui ont reculé suite à sa première réplique et il les saisit par le collet de leur veste.
Il les tire si fort qu’il peut entendre les os de leur dos se briser.
Insensible aux horreurs qu’il vient de commettre, il se retourne vers sa prochaine victime lorsqu’une douleur fulgurante lui traverse soudainement le corps. Derrière lui, un homme tient toujours le couteau qu’il vient de lui planter dans l’omoplate. Furieux, le monstre tourne brusquement la tête et ferme son imposante mâchoire sur le cou de son adversaire.
Incapable d’hurler sa douleur, ce dernier meurt avant-même de toucher le sol, laissant sa lame plantée dans le corps de la bête qui vient de l’abattre. Transie par la douleur, cette dernière tente d’atteindre l’objet de sa souffrance, mais plusieurs piqûres viennent rapidement mettre fin à ses efforts.
Atteint de plusieurs fléchettes tranquillisantes, Gus sent bientôt sa conscience le quitter alors que les mercenaires encore vivants s’approchent de lui en n’hésitant pas à cracher littéralement leur dégoût sur lui.
Le goût ferreux dans sa bouche est la dernière chose à laquelle il pense lorsque le rideau noir tombe.
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Simon Aroca
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le passionné
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Bastienneee
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