France_L Le Cri de la Chauve-Souris -12-

-12-

Je hurlai, le corps secoué de frisson. Mes paupières restèrent closes. Quelque chose m'emprisonnait, m'empêchait de fuir. Je me débattais avec hargne. Je ne voulais pas mourir. Pas maintenant. Un cri aigu déchira l'atmosphère oppressante. Il me fallut un moment pour comprendre qu'il s'agissait du mien.


Empêtrée dans les draps, je tombai. Je rampai, hystérique. Je voulais partir loin d'ici. Loin de ma future mort. Mon palpitant tambourinait dans ma poitrine jusqu'à overdose. Je revoyais les images froides de sa mise à mort. Je ressentais les tiraillements de son âme quand elle s’extirpait de son corps. Ses dernières émotions qui s'enchevêtraient aux miennes. Et la mort...


Chaude. Rayonnante. Belle à se damner.


Mon souffle se précipita lorsque je rencontrai une planche de bois. Recroquevillée contre, je me balançai au rythme d'une musique imaginaire. Les cheveux devant le visage, je ne vis pas les doigts attraper mon poignet. Mon corps se cambra de lui-même, refusa qu'on l'approche. Je griffai, mordai, tentai de me soustraire à ce toucher. Je hurlai de plus belle.


— Jadys, calme-toi ! Ce n’est que moi… Anadée.


Comme un phare au milieu d'une tempête, sa voix me guida dans mes ténèbres. Je m'immobilisai, tétanisée. Qui était-elle ? Que me voulait-elle ? Travaillait-elle pour les mânes ? Était-elle à la solde des phénix ? Mes sourcils se froncèrent. Les phénix ? Qui étaient-ils ? Les connaissais-je ? Oui... non... je crois... peut-être... je ne savais plus. Mon esprit ressemblait à un énorme puzzle que je n'arrivai plus à l'assembler. Le rêve se déroulait toujours devant ma rétine. La chute rassurante, l'océan d'ébène, la distorsion du brouillard noir, Mania, les mots, le portail. Et son trépas. Tout se bousculait dans mon crâne. Se mélangeait à mes souvenirs.


Étais-je Mania ou Jadys ? Ou peut-être les deux ? Je ne savais plus. Mes mains agrippèrent mes cheveux pour les tirer. Les yeux dans le vide, je recommençai à osciller avant de me recroquevillai lorsqu'on tenta de m'agripper une nouvelle fois.


— Ma femme, souffla-t-on contre ma joue, regarde-moi, s'il te plaît. Je te ramènerai jusqu'à moi.


Je ne la connaissais pas... plus.... Son timbre clair m'enveloppait pourtant dans un cocon moelleux. Mon âme la reconnaissait. Venait-elle du présent ou du passé ? Pour me protéger ou me détruire ? Ses interrogations m'enfonçaient toujours plus loin dans l'abîme de ma détresse.


Son nez froid traça un chemin sur ma pommette. Je frissonnai. Quelqu'un me l'avait déjà fait. Ma peau se remémorait. Mais quand ? Où ? Qui ?


— Tu es Jadys Morel. La fille de Stéphanie et Christian Morel. Ton petit frère s'appelle Aslan. Ta mère vous a nommé comme ça car elle adore Narnia. Tu as également un oncle, Baran. Il est complètement gaga de toi et des vieilles insultes.


Ces mots réveillèrent une culpabilité que je ne comprenais pas. Pourquoi ? D'où venait-il ? Était-elle une Alcine pour avoir du pouvoir sur mes émotions ? Où peut-être était-elle une gardienne ? Chaque Pythonisse en avait une. Comment savais-je toutes informations ? Elles surgissaient dans mon esprit où moment où j'en avais besoin. Je me tournai vers elle. Son minois noir me rappelait quelqu'un, mais qui ? Sa bouche pulpeuse emprisonna mon regard. Elle se mit en mouvement :


— Tu vas avoir dix-huit ans dans une mois et demi. Je suis ta meilleure amie et... tes parents ont disparu la semaine dernière. Te revoilà chez ton oncle, au milieu d'abrutis qui ne savent pas te protéger.


La fin de sa phrase respirait l'irritation. Que s'était-il passé ? Ne les aimait-elle pas ? Je tendis les doigts pour effleurer sa tempe. La colère ne lui collait pas au teint. La joie lui allait beaucoup mieux ! Comment le savais-je ? La réponse affleura sur ma langue avant de disparaître. Je haussai les épaules et laissai glisser.


Mes yeux la parcoururent. La volupté de son visage me fascinait. Ses pupilles noirâtre avaient la composition d'un ciel nocturne. La finesse de ses traits la fragilisait, mais sa force se trouvait dans son nez droit, dans ses lèvres pulpeuses. Ses longues boucles charbonneuses seyaient magnifiquement bien. Il y avait quelque chose d'étrange chez elle. Quelque chose qui me calmait et m'aidait à remettre de l'ordre dans mes idées. À me souvenir de qui j'étais.


La tempête à l'intérieur de mon crâne s'apaisait. Était-elle réellement ma gardienne ? Celle qui veillait à ma sécurité ? Qui veillerait à ce que le rituel ait bien lieu ? Qui provoquerait ma mort ? Je secouai la tête. Tout était flou. Qui pensait ? Mania ou Jadys ?


— Ma femme, j'ai besoin de toi. Rentre pour moi...


Je penchai la tête sur le côté. Son air apitoyé me renvoyait l'image d'un chiot abandonné. Mes pensées s'arrêtèrent. D'où venait cette expression ? Je l'avais déjà employée. Sur qui ? Mon crâne bourdonna lorsque je forçai sur mes souvenirs.


Un tapage au lointain me fit sursauter. Je me plaquai entre la planche de bois et le mur. Ma respiration s'emballa, l'oxygène se coinça dans mes poumons. Étaient-ce les mânes ? Venaient-ils me tuer ? Mon regard chercha les issues de sortie. Mise à part les deux portes et la fenêtre, j'étais prise au piège. Prise d'un instinct de survie, je me précipitai vers la vitre et l'ouvris, bousculant la jeune femme assise à mes côtés. Mais j'étais bien trop haut pour sauter. Le battant derrière s'entrebâilla. Terrifiée, je me faufilai dans une pièce attenante et refermai sur une ombre.


— Ce n'est que moi, ma femme.


Je la repoussai. J'ignorai toujours si elle était une alliée ou une ennemie.


— Les gens dehors sont nos amis. Ils ne vont pas te faire de mal. Est-ce que tu comprends ?


Je ne l'écoutai pas et cherchai du regard un endroit où me cacher. Je me crispai lorsqu'un couinement résonna. Je pivotai, incertaine de la marche à suivre. Face à moi, trois individus me fixaient. Je reculai, me pris une cuvette. Je me retranchai dedans et tirai le rideau. Si je ne les voyais pas, ils s'en iraient. Des chuchotements s'élevèrent dans la pièce. Je fermais les paupières. Je finirai bien par me souvenir. Qui étais-je ? Quelqu'un tira sur le voilage, brisant ma maigre barrière. Je tournai la tête. Elle se pencha à mon oreille et je sursautai sous ses mots. La lumière se fit dans mon esprit, les flots agités redevinrent lisses, mes pensées éparpillées se réordonnèrent.


À peine levée, je me jetai dans les bras de ma meilleure amie et éclatai en sanglots. Elle m'apaisa d'une caresse dans le dos et m'emmena jusqu'au lit. Les jambes sous la couette, un plaid sur le dos, j'en profitai pour trier les données : le rêve, les paroles de Mania, les informations qui arrivaient au compte goutte, la fatalité de mon destin.


Anadée discutait avec Verdun et Chaïm pendant que Barthia redescendait préparer du thé vert.


— Que lui as-tu dit ?


— Secret de gardienne, répliqua-t-elle avec un clin d’œil.


Je ne prêtai pas attention à la phrase d'Adée tandis que je lançai la mienne :


— Je suis vouée à mourir.

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