France_L Le Cri de la Chauve-Souris -3-

-3-

La portière valdingua et je dégobillai au pied de la carrosserie. Barthia, grouillot de mon oncle, se hâta vers moi. Elle m'attrapa les cheveux et me caressa le dos. Son odeur fruité et sa voix chantante m'apaisèrent. Le parfum de patchouli calma les élancements de ma gorge.


— Tout va bien, miss Jadys ! Tout va bien, répétait-elle inlassablement.


Je fermai les yeux et finis par m’extirper de la voiture, évitant soigneusement mon vomi. Barthia arracha mes bagages à Chaïm qui passa à ce moment et me fit signe de la suivre. Nous rentrâmes dans la bâtisse qui tombait en lambeaux. Des sceaux jonchaient le sol irrégulier et les tapis avaient été retirés. C’était la première fois que je venais à cette époque de l’année. Le manoir dégageait une toute autre atmosphère quand il était vide. Un peu comme une âme à la dérive. Mon cœur se fit nostalgie, il se souvenait encore les farces de mon frère, les discussions de mes parents et les feux de cheminé de Baran, le frère de maman.


Nous avalâmes les deux escaliers qui menaient à ma chambre. Face à celle de mes parents et à côté de mon petit-frère. Barthia déposa la valise au pied de mon lit et m’observa reprendre possession de ce lieu. Elle me prit la main et m'entraîna dans une étreinte chaude, rassurante. Une étreinte maternelle. Dieu, j’en avais besoin !


— Tu as le droit de pleurer, chuchota-t-elle, par respect pour le silence religieux qui s’installait. Personne ne va te juger.


— Je sais. C'est juste que... j'en ai marre de verser des larmes pour eux.


Mes dents claquèrent dans son cou. La vieille femme me repoussa tendrement, chassa une mèche derrière mon oreille et m'embrassa le front. Gelée, je me massai les bras. L’averse frappait le toit à intervalle régulier et les flops des gouttes dans les bassins me firent frissonner.


— Je comprends, hocha-t-elle la tête. Va te laver, ma puce, je t’apporte un bol de soupe !


Elle tourna les talons. J’essorai mes pointes et enlevai sur mon pull trempé, avant de l’intercepter :


— Merci, madame, croassai-je.


Barthia s’arrêta juste avant de passer la porte. Elle virevolta, vexée et agita son doigt devant son nez.


— Turlututu, pas de madame ici ! Tu le sais très bien !


Un rictus m’échappa quand elle partit. J'avais oublié à quel point elle pouvait être rayonnante. Une note de piano retentit. Je tâtai mes poches à la recherche de mon portable. Si je ne répondais dans la minute, Adé enverrait la police pour être certaine de ma survie. Son côté surprotecteur avait tendance à m’énerver. Je me sentais piégée par son manque de confiance envers mes capacités.

  • Bien arrivée ?
  • Tout juste !
  • Super ! ✌ On se 📞 demain ?
  • Et comment !

Je ricanai. Sa manie de parler en smiley avait failli me rendre chèvre un jour. Attrapant une serviette, j’entrai dans la salle de bain attenante. La douche me détendit assez pour que les éléments de la journée revinrent au galop. En particulier ceux de cet après-midi. Je me sèchai les cheveux quand l’image d'une silhouette efflanquée se trémoussa dans la glace embuée.


— Je suis désolée, couinai-je. Je n’ai pas pu te sauver.


Incapable de soutenir son regard illusoire, j’effaçai la fantasmagorie à regret. Le mien fuyait. Trop de choses me pesait sur l’estomac pour m’ajouter un énième tort. J’enfilai mon pyjama et la chimère réapparut dans les flaques. Ses prunelles vides semblèrent me sermonner. Je détournai les yeux, de colère cette fois.


— Laisse-moi tranquille !


Un tintement résonna de l’autre côté de la porte et un timbre soucieux balaya ma peur.


— Miss Jadys ? Tout va bien ?


Je sortis de la salle de bain et me jetai dans ses bras. Barthia me réceptionna avec l’agilité d’un félin. Je m’enivrai de sa douceur, de sa force tranquille. Je m’écartai, m’agenouillai devant la valise et en sortis la peluche de mon frère. Un lange gris troué. Je me statufiai avant de l’attraper et de le portait à mon nez. Il portait encore l’odeur de son shampoing : carambar-caramel.


L’arôme m’arracha un sanglot. Alsan avait toujours été un vrai goinfre. Ma mémoire me joua un tour : il apparut, installé sur un plaid, devant l’âtre fumante, la bouche remplie de sucrerie. Son regard de hamster fusa dans mon âme. Une main pressa mon épaule. J’essuyai mes larmes, me relevai et me glissai sous la couette.


— Ils me manquent.


— Je sais, ma puce. Je le sais, déplora-t-elle, la mains dans mes cheveux.


Barthia me pria de lui laisser une petite place et s’assit à mes côtés. Elle déposa un plateau devant nous, composé d'un bol rempli à raz-bord. Elle me fit un clin d’œil et amena le potage devant moi. Concentrée sur la mixture orangeâtre, je sursautai quand les volets claquèrent. La cacophonie perça la carapace chimérique qui m’entourait, annonciatrice d'une étrange tragédie. Un frisson transi me parcourut lorsque la vieille femme se leva. Les mains sur la poignée de la fenêtre, elle désigna le repas du menton par-dessus son épaule :


— Mange ! Tu me diras ce que tu penses de ma soupe de sorcière.


Je pouffai devant le nom de cette recette incongrue. Barthia croisa les bras sur son opulente poitrine, avant d’éclater de rire. Elle me rejoignit et me poussa l’épaule. Mes yeux tournèrent dans sa direction, dans l’attente de connaître la raison de ce regard espiègle.


— Ne te moque pas de moi, jeune fille !


— Je n'oserai pas.


Nous nous regardâmes et son sourire allégea quelque peu ma peine.


— Allez, avale et va te coucher. Tu as bien besoin de dormir, miss Jadys, tu as une tête cadavérique.


— Comme si je ne le savais pas, baragouinai-je, les doigts autour de la porcelaine. Merci de me remonter le moral, Barthia.


Elle ricana à son tour, m'embrassa le front avant de sortir.


— Laisse tes couverts sur le plateau, je le débarrasserai demain après ton réveil.


Je hochai la tête et m'enfonçai sous la couette, en quête de chaleur. Mon corps continuait de trembler de froid. Je n'arrivai pas à me réchauffer. Je reposai le bol sur le plateau. Étrangement, je n'avais pas faim. Revenir ici sans ma famille me mettait un coup au moral. Je me demandais d'ailleurs où était Baran. Pour lui, toutes les occasions étaient bonnes pour passer du temps en ma compagnie.


Ma tête reposa contre les oreillers et je serrai le lange contre mon cœur. Le silence me brisa l'âme, je me tournai dans l'immense lit, vers la porte. D'un instant à l'autre, Alsan devrait l'ouvrir pour se réfugier contre moi. La tête de sanglier dans sa chambre le faisait toujours frémir.


Mais il ne vint pas.


Tel un zombi, je traversai le couloir et ouvris la porte. Le matelas s'enfonça quand je me jetai dessus. L'absence du bazar habituel me sauta à la gorge. Mes poumons se ratatinèrent sous la violence de ce sentiment. Je me recroquevillai, les larmes sur les joues. Le tête dans l'oreiller, le doudou contre mon nez, j’avais l’impression d’être entourée par le parfum de ma famille : la gourmandise d'Alsan, les notes océaniques de maman et celui, plus boisé, de papa. Emmaillotée dans leurs bras, je m'endormis d'un sommeil sans rêve.

Tu as aimé ce chapitre ?

6 commentaires

Amandine Mistyque

-

Il y a 5 ans

Excellent ! Vraiment ! Les persos âgés sont vraiment bien construits !

France_L

-

Il y a 5 ans

Merciiii, Mistyque et le dernier n'est pas encore apparu, mais j'espère que tu l'aimeras bien :D

Sand Canavaggia

-

Il y a 5 ans

Je termine ma lecture sur ce chapitre qui détonne encore… Barthia apaisante l'attrape, son odeur la rassure, elle "arrache" les bagages, c'est un mot fort mais il doit avoir un sens pour la suite… Jadys reprend ses repères et voit la chambre des siens..une étreinte de Barthia et là un autre personnage arrive par texto Adé... Visiblement elle est connectée à autre, la glace, la forme. Dans ses pensées Baran est là, un nouveau personnage là encore. Son petit frère Alsan et ses parents l'accompagne d'un doudou dans le pays sans rêves. Tu as une foule de personnages et une histoire assez dense, en bref de qui rebondir dans la suite sur les événements troublants qui se sont accumulés. Une suite prometteuse est là. Bonne suite de ton écrit, merci pour le partage qui m'emplit la tête.

France_L

-

Il y a 5 ans

Coucou Sand, j'espère qu'elle n'est pas trop dense pour le moment et que tu ne te perds pas trop entre les différents personnages, ça m'embêterait :/

Sam Laurent

-

Il y a 5 ans

J'adore ! On s'identifie pleinement à l'héroïne ;)

France_L

-

Il y a 5 ans

C'est ce que j'ai réussi mon pari :) merci pour ta lecture
Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.