Borodine Le Condamné Ce qu’on disait du meurtre

Ce qu’on disait du meurtre

Il avait tiré sur son ami, on ne savait pourquoi, du moins c'est ce que titraient les journaux. Pendant qu'on publiait Les Conquérants de Malraux, en cette année 1928, on tuait, déjà, avant l'heure, à coup de phrases assassines, cet homme qu'à l'asile, on n'avait jamais nommé Ferdinand. Il était blême, froid dans le taxi qui le ramenait comme dans la voiture de police qui l'emmena au commissariat. Il n'avait rien dit, pas même un mot pour le pardon de son âme, pas même un mot de repentance. La réalité était plus froide encore que le cadavre de Léon, mais personne ne le savait dans ce lieu précis ou presque, sauf Ferdinand. Quand les enquêteurs l'interrogèrent, il répéta toujours la même histoire. Il avait tué son ami de deux coups de revolver, parce qu'il s'était disputé au sujet de l'asile. Motif : l'aménagement d'une salle de billard dans ce dernier. Motif dérisoire, sans espoir pour la condition humaine, comédie dévastatrice de l'absurdité d'une situation commune aux criminels. Si les enquêteurs avaient su, qui était Ferdinand en vérité. S'ils l'avaient interrogé plus en profondeur sur son histoire, auraient-ils compris ? Peut-être ou peut-être pas. Qu'est-ce que cela pouvait désormais importer à Ferdinand ? Rien, puisqu'il était déjà mort. On l'avait déjà condamné. La police l'avait condamné. Les journalistes l'avaient condamné. Les politiques, pas plus courageux. Le peuple, navrant de bêtise. Le tribunal, implacable. Et voilà, l'enchaînement était terminé. Tout était terminé pour Ferdinand, sa vie, ses histoires d'un soir, romantiques, d'amours, train-train quotidien morne en fin de course. L'espoir est mort et plus rien ne le redémarrera. Plus personne ne prendra sa défense, même ceux qui savaient, qui connaissaient toute l'histoire. Ceux-là se taisaient. Demain, ils le pleureraient sûrement. Mais demain, n'était pas, demain se faisait trop loin, pour qu'on puisse l'imaginer. On s'imaginait la scène du cadavre qu'on porte à la Seine et qu'on noie dans l'eau. Il avait assuré qu'il n'avait pas eu de complices, d'ailleurs la police n'avait pas cherché. Pas besoin de reconstitution, on avait le coupable, le coupable idéal, un médecin d'aliénés. Avait-il encore toute sa tête ? Est-ce lui qui soignait les malades ou les malades qui le soignaient ? Peut-être était-ce un pervers compulsif ? On ne sait pas. Il voulait peut-être faire les gros titres, ça l'excitait de perforer un homme de balles. Absurdes, ces hypocrites, absurdes étaient ceux qui les formulaient. Le crime était plus profond encore. Il fallait creuser et personne ne le faisait, pas même au service de la PJ. Bardamu était coupable, c'est tout. Il l'avait tué ce bon vieux Robinson. Il l'avait tué comme un chien. Une hypothèse ubuesque disait que Robinson aurait été juif et Bardamu antisémite et « pourquoi pas » répondit l'éditorialiste du Petit Journal à cette proposition. Et « pourquoi pas » répondait tous en cœur la profession, après tout, on ne le connaissait pas ce Bardamu. Il avait peut-être même des penchants sodomites, qui s'est si ce n'était pas un crime passionnel ? Au fond, les hypothèses fusaient dans tous les sens, des journaux de gauche aux journaux de droite. Les certitudes érigées étaient veines quand on savait la vérité. Où étaient passés les gens de la fête foraine ? Marie et Madelon. Personne ne le savait, personne ne savait rien, parce que ce « il », tout au long de ce récit, c'était moi.

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