Fyctia
Chapitre 22-2
— Je vous interdis d’utiliser ces noms, grondé-je. Vous n’êtes qu’un brigand. Qui pensez-vous être pour vous montrer aussi irrévérencieux vis-à-vis d’un chevalier et d’un prince ?
Il ne salira pas leur souvenir.
La rage s’empare de ma raison. Je fonce sur le pirate. Il a à peine le temps de se retourner que nous nous retrouvons au sol. Le poids de mon armure l’écrase. Je l’immobilise en appuyant mon gantelet sur son cou. Il m’observe sans chercher à se défendre. Cet homme est suicidaire ! Sa chevelure noir de jais auréole son visage. Le fil de ses lèvres s’allonge en un sourire amusé.
— Je ne suis qu’un « brigand » ? me raille-t-il.
Il éclate de rire. Il lève un bras et vient poser sa main sur son regard.
— Quel imbécile…
Je me redresse au désespoir. Existe-t-il une chose que cet homme prenne au sérieux ? Même de sa propre vie il ne paraît pas s’en préoccuper. Je m’agenouille sur lui à la recherche de mon souffle.
Il prend appui sur ses avant-bras.
— Tu as raison, nous n’avons pas été présentés.
Je n’ai plus la force de me défendre. Je relève la tête pour absorber plus d’air encore. Peu importe qu’il ne me croie pas, je m’en fiche. Il ne m’empêchera pas de m’enfuir.
Dieux qu’il est difficile de retrouver son souffle sous cet heaume !
— Tu n’es pas obligée de me croire mais te savoir en vie me soulage, déclare-t-il soudain.
Que raconte-t-il encore ? Je baisse le casque vers lui.
— Vous avez raison, je ne vous crois pas.
— J’ai quand même une question pour toi.
— Je vous écoute.
Son front se plisse. Une lueur étrange scintille dans ses prunelles. Le reflet des lampions joue avec le verre de ses yeux.
— M’autorises-tu à t’appeler ma sœur ?
Quelle est donc cette farce ?
— Est-ce une manière de rabaisser ma force ? Je vous rappelle que j’ai l’ascendant sur vous, mercenaire !
Mon ton se voudrait agressif mais je ne parviens pas à dissimuler les tremblements de ma voix. Je prends soudain conscience de ma position. Mais comment ai-je pu me retrouver à quatre pattes sur cet homme ?
— Plutôt une façon amusée de demander à l’héritière du trône de Thussynie ce qu’elle fiche enfermée dans une armure zéphyrienne à chevaucher l’amant de son frère…
Il y a dans cette phrase beaucoup trop d’informations pour mon seul petit cœur et pour ma seule raison. Je bondis sur mes jambes et recule.
— Je suis désolée, je… Vous faites erreur, balbutié-je sans y croire moi-même.
Je ne comprends pas ce qui a pu me trahir.
Il se relève à son tour et me tends le bras.
— Synn.
Je recule d’un pas. Que compte-t-il faire à présent ?
Il plonge ses mains dans les poches de son manteau.
— Lewyn m’a tellement parlé de toi que j’ai l’impression de te connaître.
Il prend une profonde inspiration. Ses épaules se crispent.
— Mais j’imagine que l’inverse n’est pas vrai… ajoute-t-il d’une voix cassée.
Son regard s’abîme dans les détails du sol.
J’éprouve une violente et soudaine envie de baisser les armes. Cela frôle l’inconscience, je le sais mais… Ces mois à errer, enfermée dans ma solitude de fer, à imiter grossièrement le sexe opposé, à ravaler mes larmes et prétendre que ma peine n’est pas si grande… Je n’ai pas la moindre raison de faire confiance à cet homme.
— Vous connaissiez Lewyn ?
Il me détaille comme s’il réalisait soudain une évidence.
— Tu as survécu… murmure-t-il. Tu as survécu sans avoir la moindre idée du bordel… Et Kunlun qui veut… Merde…
Le pirate s’approche de moi. Je ne recule pas cette fois. Il me saisit par les épaules.
— Ce n’est sûrement pas la manière la plus douce de te l’apprendre et je doute que ton frère voudrait ça mais les circonstances ne sont pas avec nous.
Il se frotte le visage avec nervosité.
— Vous étiez l’amant de mon frère, dis-je.
Il acquiesce d’un mouvement de la tête. Les rumeurs étaient donc vraies… Lewyn partageait la couche d’autres hommes. En tout cas d’un autre. Un du camp ennemi...
— Depuis quand ?
C’est étrange comme la réalité se révèle bien moins contre-nature que la rumeur.
— Je l’avais pas revu depuis la guerre…
Ses paupières se ferment et deux sillons apparaissent entre ses sourcils.
— Lewyn était avec moi la nuit où… Tu as perdu ta famille. Il est en vie.
Des larmes invisibles roulent sur mes joues. Il faut croire que les dieux ne sont pas si cruels… Je renifle.
— Vous l’aimiez ?
Il se fige un instant. Son regard gagne en profondeur. Il tourne la tête dans un mouvement pudique inattendu.
— À m’en rendre fou, souffle-t-il.
Mais qui a décidé qu’un tel lien n’était pas concevable ?
— Où est-il à présent ? Où est mon frère ?
Il soulève ses épaules.
— Il doit expier quelque part sa culpabilité de ne pas avoir été là pour toi…
J’ai peur. Je crains que cette lumière inattendue dans ma vie ne soit qu’un leurre. Et pourtant, j’ai tellement envie d’y croire.
Il tend à nouveau sa main.
— Synn… Sans titre et sans noblesse, au service de l’Empereur et le cœur pris par un imbécile…
Qui est aussi un ennemi.
Je déglutis.
— Aerin de Thussynie… Princesse d’un royaume disparu et… chevalier errant chasseur d’aberrations… Récemment enrôlée dans une compagnie de mercenaires aux motivations obscures… Terrorisée… Et tentant désespérément de m’enfuir.
Il baisse la tête en écoutant le bref résumé de mon histoire puis il relève les yeux et plisse le front. Ses traits se sont adoucis. Il me répond par un sourire rempli de tristesse. Non, vraiment, la confiance soudaine que je donne à cet homme est insensée et pourtant…
— Et à présent que vous connaissez mon secret, que comptez-vous faire de moi ? ajouté-je.
Il soulève ses épaules et secoue la tête.
— J’aurais pu t’aider à t’enfuir si le temps n’avait pas joué contre nous…
Son regard s’échappe par-dessus mon épaule, en direction de la ruelle.
— Ah vous êtes là ! tonne une voix d’ogre derrière moi.
Je me retourne. Synn s’avance à mon niveau.
— Je suis là, maintenant, chuchote-t-il.
Il me dépasse et part à la rencontre de son compagnon.
— Tu as déjà fini ? lui lance-t-il avec nonchalance. Je savais que tu étais rapide mais à ce point…
La montagne n’a comme seule réponse qu’un grognement d’outre-tombe. Le pirate éclate de rire. Il appuie son avant-bras sur son épaule et lui flanque une pichenette sur la joue.
— Je te taquine, voyons !
— Pourquoi t’es heureux, toi ? s’étonne Auroch.
— Broyer du noir me fatigue…
17 commentaires
LiliJane
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Il y a un an
Zebuline
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Il y a un an
Jakae chappinj
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Il y a un an