Fyctia
Chapitre 6
Des voix me tirent du sommeil. Je n’en saisis pas la teneur. Tout est embrouillé.
Mes paupières closes peinent à filtrer la lumière. C’est ensuite aux sons de se faire plus présents, plus clairs.
— Vous êtes obligés de faire ça maintenant ?
Alex… Il a l’air agacé.
— Le médecin a donné son accord, rétorque une voix rauque.
— Il vient de perdre sa femme et sa gosse, tu crois vraiment qu’il a besoin de ça, Muller ?
— Et toi, t’as oublié que t’étais flic ?
Un silence pesant règne dans la pièce.
J’entrouvre les yeux, pas certain de ce que je vais découvrir. Face à moi se trouve mon ami. Il affronte du regard un officier de police d’une quarantaine d’années, l’air revanchard. Ses yeux noirs scrutent Alex. J’y décèle de la défiance.
Je me redresse dans un effort surhumain. La tête me tourne, j’ai la nausée.
— Vas-y doucement, m’encourage mon meilleur ami en venant à mon chevet. Les médecins ont dû te donner un tranquillisant. T’as eu une nuit agitée.
Mon rêve… Je me souviens m’être réveillé, terrifié, dans un état proche de l’hystérie, puis plus rien. Le trou noir.
Je chasse ce songe d’un mouvement rageur. C’est le moment que choisit l’agent pour s’approcher de mon lit.
— Officiers Muller et Fournier, police judiciaire. Toutes nos condoléances, monsieur Moretti.
Il s’adresse à moi sur un ton compatissant, soit l’extrême opposé que celui qu’il a employé avec mon ami.
À mes côtés, Alex se crispe. Ses mâchoires se contractent.
Ils se connaissent, c’est évident. Peut-être même qu’ils bossent ensemble. Je ne saisis pas ce qui se joue entre eux, et à vrai dire je m’en fous. Mon esprit ne parvient à se fixer que sur un seul fait : je vais devoir leur raconter ce que j’ai vu.
— Nous voudrions vous poser quelques questions. Vous vous en sentez capable ?
— Rien ne presse, Chris, me rassure mon frère de cœur, tendu comme un arc.
Lui et moi savons que c’est faux. Ils doivent savoir, mener l’enquête et retrouver le salopard qui a fait ça.
Je m’extrais de mon lit, puis me met debout face aux policiers, comme je l’aurais fait avec mes supérieurs. Je suppose que certaines choses ne changent jamais. Peu importe la force avec laquelle on les renie, elles nous rattrapent toujours.
— Tu peux rester assis, insiste-t-il en tendant le bras pour me soutenir, à croire que je suis un lapin de trois semaines.
Du coin de l’œil, je perçois le regard lourd de sens qu’échange les policiers.
— Ça va, Alex !
Mon cœur cogne dans ma poitrine, indifférent au revers que je viens de lui infliger. J’ai besoin d’en finir, et toutes ses sollicitudes ne m’aident pas.
— Je vais devoir vous demander de sortir, monsieur Lambert, nous interrompt le blond, le dénommé Muller.
Alex fulmine. Je ne crois pas l’avoir déjà vu si en colère. Je lui adresse un signe de tête que j’espère rassurant, puis il finit par s’en aller en fermant la porte derrière lui.
— Nous devons faire un prélèvement ADN et prendre vos empruntes, monsieur Moretti.
— Pour quoi faire ?
La tension s’installe dans mes épaules. Le second homme, Fournier, s’active déjà. Il sort le nécessaire de sa mallette, puis enfile des gants, prêt à passer à l’action.
— Pour écarter vos empruntes de celles que nous trouverons chez vous.
J’acquiesce - pas fichu de faire mieux - et laisse le technicien faire son job. Je m’écroule sur le lit quand il sort son kit FTA, puis ouvre la bouche tandis qu’il me prélève de la salive avec ce qui s’apparente à un long coton-tige.
Mon esprit s’échappe. Il se perd dans les méandres de mes pensées les plus sombres. Il fuit, comme il en a pris l’habitude au fil des mois.
— Monsieur Moretti ?
Je secoue la tête en prenant conscience de la réalité. Fournier remballe son matos et Muller m’observe, son carnet à la main.
— Vous pouvez répéter ?
— À quelle heure avez-vous découvert les corps ?
J’inspire bruyamment et passe une main sur mon visage.
— Je suis rentré vers 7h du matin. J’ai d’abord trouvé Sofia. Elle était dans notre chambre, j’ai cru qu’elle dormait…
— Vous avez déplacé le corps ?
Encore ce mot. J’ai envie de hurler que ce n’était pas un corps pour moi, mais ma femme. La mère de ma fille. L’amour de ma vie.
Des images d’elle, de notre vie ensemble, se superposent dans mon esprit. J’ai souri en la regardant dormir… Elle n’était déjà plus là.
— Elle était couchée sur le côté, couverte par le drap, comme d’habitude, soufflé-je avec difficulté. Je l’ai secouée pour la réveiller. C’est là que…
Je revois son visage s’écraser sur le matelas. Son regard éteint. J’éprouve à nouveau la douleur, vive, qui s’est emparée de moi. Elle m’a consumé en un instant, avant que la terreur ne la remplace.
— … que j’ai compris.
— Qu’avez-vous fait ensuite ?
Je lance un regard à la porte derrière laquelle se trouve Alex. J’y cherche la force qu’il me manque. Je ne lui ai pas dit ce qui s’est passé. Au moins, je lui aurai épargné cette vision d’horreur.
— J’ai couru dans la chambre d’Emma. Elle était dans son lit. J’ai cru l’entendre respirer…
— C’est là que vous avez appelé les secours ? Pourquoi ne pas les avoir attendus ?
— J’ai cru que ma fille était en train de mourir dans mes bras ! m’emporté-je. Je pouvais pas attendre, fallait que j’agisse.
— Avez-vous constaté un détail inhabituel ce matin là ?
Je secoue la tête.
— Si, sa porte… elle était fermée. Elle a peur du noir, on la laisse toujours ouverte. Sofia ne l’aurait jamais fait.
Nouvel échange de regard. Est-ce que c’est lui qui a fait ça, le tueur ?
— Rien d’autre ? Chaque détail est important.
— Non… Je sais pas… La fenêtre de ma chambre était ouverte, mais ça a rien d’anormal, si ?
Je suis paumé. En quoi me souvenir d’une putain de fenêtre les aidera ? Ils feraient mieux de rechercher le taré qui les a tuées. Qu’ils fassent leur boulot, merde !
— Nous n’avons pour le moment trouvé aucune trace d’effraction. Quelqu’un a un double de vos clés ?
Je secoue à nouveau la tête. Les souvenirs sont flous. Je me rappelle être rentré, avoir titubé sur les marches du perron, ouvert la porte. Est-ce que j’ai sorti mes clés ? Je ne me souviens pas l’avoir fait.
— Monsieur Moretti…
— J’arrive pas à me rappeler si la porte était fermée. J’avais bu, avoué-je dans un soupir.
J’ai beau me triturer, rien ne vient.
— Où étiez-vous cette nuit là ?
Je lève aussitôt la tête vers Muller. Il m’observe, son stylo suspendu au-dessus de son carnet.
— J’ai passé la soirée avec Alex « Au Luc », c’est un bar du centre-ville. Il est parti et moi je suis resté.
Il acquiesce avant de gribouiller ma réponse.
— Dernière question, d’où provient le sang sur votre vêtement ?
Je baisse les yeux. Mon bermuda…
— Une bagarre d’ivrogne, sûrement.
— Sûrement ?
Ses sourcils sont froncés. Mon cœur rate un battement.
— Oui… je me souviens pas de tout.
Je bégaye comme un gosse passé au crible par des parents soupçonneux.
— Merci du temps que vous nous avez accordé. Si vous vous souvenez de quoi que ce soit, n’hésitez pas, lâche l’officier avant d’adresser un signe de tête à son collègue.
Je les regarde sortir, certain de très vite les revoir.
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Mareva Lawren
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