Fyctia

Je me suis rhabillée en vitesse, attachée mes cheveux qui gouttent encore dans ma nuque avant de me planquer dans ma chambre. Echarpe autour du cou, téléphone en poche, j’écoute les allers et venues de Harry dans le couloir.

Je tends l’oreille, il est au téléphone et les seuls réponses qu’ils donnent ne sont que des grognements de mécontentement. Après de longues minutes, quand mes cuisses commencent à me brûler à force d’être accroupi, Harry raccroche et descend au rez-de-chaussée d’un pas précipité.

J’enclenche aussi lentement que possible la poignée de ma porte, et me glisse dans le couloir. J’avance à pas de loup, le bruit de mes pas avalé par la moquette. La porte principale claque et je reçois un message dans la foulée.

Harry : Je suis sorti, ne m’attends pas je rentrerai tard. J’ai hâte de te retrouver.

Aussitôt, je me dirige vers une fenêtre qui donne sur l’allée principale et aperçoit mon ami s’en aller vers les écuries. Est-ce qu’il va récupérer la chemise tâchée d’Aloyse pour la cacher ? Et si c’était une pièce du puzzle ? Sans réfléchir, je sors à mon tour.

Le froid est saisissant et mes membres se figent quand le vent d’Ecosse se glisse sous mes vêtements. Un frisson interminable m’empêche d’avancer lorsque des gouttes glacées tombent de mes cheveux roulent le long ma colonne vertébrale. La nuit s’est imposée sur la région, le ciel est dégagé et la lumière de la lune éclaire l’étendu d’herbe devant moi.

Au loin, le faisceau de lumière de la lampe de poche de Harry éclaire une partie des écuries. A découvert et sans possibilité de me cacher derrière un arbre ou un buisson, je suis ses traces, gardant quelques mètres de sécurité. La mélodie nocturne de la mer absorbe le son de ma respiration haletante et de mes pas imprécis.

Je me fige quand j’aperçois mon ami arriver devant la porte de la bâtisse et se tourner légèrement vers l’arrière. D’un geste brusque, je m’accroupis sur le sol, les genoux et mains à terre, s’enfonçant dans la boue. Il est interrompu par son téléphone et décroche tout en pénétrant dans le lieu. Je me relève, restant courbée pour éviter de me faire prendre et quand la porte se referme, je cours pour longer les murs.

— Oui, j’arrive vers 23 heures pour l’échange, retrouve-moi au Waverley bar

Précipitamment, je sors mon téléphone de ma poche, manque de le faire tomber, le rattrape de justesse, les mains tremblantes et recherche le nom de cet endroit. Et si c’était Aloyse qui lui donnait rendez-vous là-bas ? Pour récupérer leurs dernières affaires respectives ? Dont la chemise blanche qui trainait dans le coffre ?

Je jette un œil à la malle en question, elle n’est qu’à quelques mètres, je m’en approche, tente de l’ouvrir mais le couvercle grince. Je le relâche aussitôt, alors que la porte s’ouvre de nouveau. Je marche à reculons, tâte les murs pour éviter de tomber et me cache comme je peux dans un recoin. Harry a toujours son téléphone à l’oreille, il le bloque à l’aide de son épaule et tout en s’accroupissant devant le coffre, pour se saisir du vêtement.

Il marque une pause, son interlocuteur semble déblatérer sans relâche à l’autre bout du fil. Je n’aperçois pas le visage de Harry, il a enfilé un bonnet noir et une tenue de la même teinte. Comme s’il désirait passer inaperçu. Je l’observe, froisser le tissu et pousser un gémissement de douleur. Ce geste me brise le cœur.

Et étrangement pas pour les bonnes raisons, j’aurai préféré ressentir de la peine en constatant qu’Aloyse lui manque, mais c’est un sentiment de jalousie incontrôlable qui me saisit. Et s’il l’aimait encore ? S’il allait tenter de recoller les morceaux ce soir ? L’idée me dérange, en si peu de temps, ma vision de ce couple a basculé et je ne veux pas qu’ils se remettent ensemble. Je veux simplement retrouver Aloyse.

Mon ami se relève, raccroche à nouveau et se dirige cette fois-ci vers sa voiture. Il jette le tissu sur le siège passager et démarre aussitôt. Les phares du véhicule éclairent le bas de la vallée. Je pourrais me contenter de ça, attendre qu’il revienne et accuser le coup. Je regarde l’heure sur mon téléphone, il est bientôt vingt-deux heures trente. J’hésite à appeler de nouveau Raven, qui m’ordonnerait de surveiller ça de près.

Mes yeux font la navette entre le manoir et l’application de taxi que j’ai trouvé pour me rendre à Edimbourg. Qu’à cela tienne, je vais aussi me rendre dans ce bar. J’ai besoin de comprendre. Tout semble confus dans mon esprit et mes émotions n’arrangent en rien mon enquête. Disparue ? Séparés ?

Dix minutes plus tard, je suis assise dans le taxi et observe le décor de la ville en pleine nuit. Nous n’avons pas encore pu visiter ce coin avec Harry. Les devantures des différents bars atypiques sont faites de pierres, les vieilles tables en bois, accompagnées de leur tabourets débordent sur les trottoirs. Les fumeurs sont debout contre les murs, leurs pintes de bière en main. Un air festif différent de celui de Miami se dégage de la rue.

La foule fourmille, les jeunes passent de bar en bar. La musique s’échappe à l’extérieur, la cornemuse fait écho dans la voiture. Certains ont joué le jeu et ont enfilé la tenue traditionnelle. Pendant un instant, j’apprécie la typicité du lieu et me laisse bercer par les sons alentours. Lorsque le chauffeur m’interrompt et m’annonce la note.

Je dépose un billet sans demander la monnaie et m’extirpe de là. Je me sens submergée, la joie et l’envie de m’éclater jaillissent en moi. Je reconnais l’odeur de l’alcool, les conversations animées à certaines tables. Au-dessus de la porte principale peinte en rouge, je lis le nom du bar dans lequel doit se trouver Harry. Et peut-être Aloyse ?

Je m’y engouffre, la musique écossaise rythmant la vie du bar. Les serveurs derrière leur fût, tapent du pied et déconnent avec leurs clients. Les fidèles sont assis sur des tabourets au bar, l’odeur du cigare se mêle à celle de transpiration. Le lieu a baigné dans son jus, c’est assez sombre, des escaliers bancales en bois mènent à l’étage, des tableaux maladroitement accrochés représentants des silhouettes sans visage. Des citations incompréhensibles sont inscrites en dessous.

Des chaises et autres outils étranges de l’époque pendent au plafond. Mon regard ne sait plus où se poser tant ce décor difforme me donne le tournis. Je cherche Harry, je me fais bousculer et manque de prendre de la bière sur ma converse. Il y a trop de monde, les gens font la queue pour se servir avant la fin de l’happy hour.

Je tente de me glisser hors de la foule, quand mon épaule rencontre celle d’un autre. Je m’excuse en rougissant, je viens de lui faire perdre la moitié de sa boisson.

— Je suis désolée, je vais vous en prendre une autre ! m’excusé-je en relevant les yeux.

J’aperçois deux iris marrons foncées me regarder, des cheveux noirs ébène et un tatouage indescriptible caché par une chemise bleue marine qui remonte dans sa nuque. La ressemblance avec Nick me laisse sans voix.