Fyctia
Une Vénus est née
Je me rappelle un cours de 4ᵉ en science, où notre professeur nous avait donné à tous un miroir pour examiner les parties de notre visage “asymétrique”. Les filles sur ma gauche admiraient le moindre fragment de leur peau, les garçons s’adonnaient à un concours de grimaces et il y avait moi, Vénus, la petite bouboule de la classe. Mes mains étaient moites, mon cœur était aussi rapide qu’Usain BOLT au 100m, je priais pour qu’un idiot déclenche l’alarme incendie. Mais au lieu de ça, j’ai eu le droit aux yeux imposants de mon enseignant, le regard qui veut tout dire. D’une main tremblante, j’ai levé le miroir, j’ai ensuite fermé mes yeux, et quand je les ai réouverts, ils se sont fixés sur ce cou disgracieux, et un flot de larmes ont suivi.
Aujourd’hui, j’ai 32 ans, et toujours autant de mal à me regarder devant un miroir. C’est simple, on s’évite mutuellement.
Une nouvelle journée aussi simple que les précédentes commence : je me prépare, je bois mon café avec Iris, la meilleure des meilleures amies, c’est un peu ma mascarpone, sans elle pas de tiramisu.
— Salut baby !
Elle rentre dans la cuisine toute pimpante.
— Tu as passé une bonne nuit ?
— Oh oui, tu n'as pas idée !
— Pitié, pas de détails !
— Oh, tu n'es pas drôle ! Aller, je file, je vais être en retard, à ce soir, love you !
— Je t’aime aussi !
À mon tour de partir, je travaille dans une galerie d’art, je gère les artistes et les expos. En temps normal, je venterai le cadre idyllique de ce petit coin de la Rochelle, le port, l’air maritime, les touristes enjoués… Mais ce n’est pas le cas, je passe mes journées dans cette galerie, ne vous méprenez pas, je suis contente, mon travail me plaît, mais je pense que je ne me sens pas à ma place tout simplement.
— Je pense qu’il faudrait ajouter un peu plus de couleur à cette fresque
— Je suis d’accord, on est sur le thème marin, un dégradé de bleu ?
— Parfait, choix judicieux Vénus
Voilà, ça, c'est une réussite, un patron content, une œuvre prête à être envoyer et des détails de la prochaine expo finalisés. Une journée de travail qui touche à sa fin. Comme je le disais, une journée ordinaire.
Sur la route du retour, je m’arrête à contempler les boutiques. L'une d’entre elles me fait de l’œil. Une boutique de lingerie, des sous-vêtements de toutes les couleurs, des jarretelles, de la dentelle, un tanga rouge flamboyant… Tout cela disposés sur de jolies mannequins. Rien qu'en regardant, c'est une taille 36, basique. Mes yeux dézooment sur mon corps qui apparait à travers la vitrine, dépassant largement la taille de guêpe de ce modèle. Je le sais que ce n'est pas fait pour moi, c'est une habitude, mais je ne peux m'empêcher d'avoir mal. Mon cœur se resserre et ma gorge se noue, je reprends ma route. Arrivée en bas de l’appartement, je vérifie mon courrier. J'ai l’impression d’être sponsorisée par des tas de publicités cosmétiques. En rentrant, je passe par LA routine, je pose mes affaires, enlève mon soutien-gorge, on est d’accord, le moment le plus agréable de la journée, j’enfile un pyjama et là, se termine une bonne journée. Plus tard, je prépare deux salades pour Iris et moi, encore un cliché à démontrer de filles grosses, je ne mange pas que des hamburgers dégoulinants, mais ça, aller le faire entendre aux autres !
—Je suis rentrée ! Iris, mon petit rayon de soleil dans ce monde pluvieux.
— Hm, ça a l’air bon ! Netflix night ?
— Exactement ! Iris ne manque pas l’occasion pour voler un morceau de tomate.
— Eh ! Pas touche !
— Délicieux ! Ah ah, je t’attends sur le canapé.
Maintenant que les salades sont prêtes, je rejoins Iris.
— Tiens.
— Merci, tu es parfaite, ma Vénus.
— Ne dit pas de bêtises, bon, aller, on met quoi ?
— Hm, "My secret Romance" ?
— Oh non, trop long, "Avant toi" ?
— C’est mort, je chiale tout le temps devant !
Et c’est avec une parfaite alchimie que nous crions à l’unisson :
— "Holidate" !
Je lance le film et… sonnerie de message.
— Fais chier…
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Ma chère mère me rappelle que je suis obligée d’être torturée à la regarder se pavaner dans des dizaines de robes
— C'est pour quand ?
— Demain…
— Ah. Tu ne seras pas seule tu sais, les hyènes on les affrontent ensemble !
— Merci, heureusement que tu es là.
— Et pour toujours.
Iris est là, elle a toujours été là.
Je pose ma tête sur son épaule, une de ses mains me cajole et me voilà plongée dans une immensité de douleur, ma gorge se resserre, mon estomac se noue et mon cœur lui… se remplit de tristesse. Bien des années que j'essaie de ne plus scarifier mon esprit pour elle. En regardant mes mains tremblantes, mes cicatrices se rouvrent peu à peu, laissant la culpabilité, l'angoisse et le mépris sortir de leur cage pour être ce monstre qui m'enlace et m'étrangle.
8 commentaires
Camille 🌻
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Il y a 21 jours
Elena Hoyer
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Il y a 21 jours
Sharleen V.
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Il y a 24 jours
Elena Hoyer
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Il y a 24 jours
Samantha Beltrami
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Il y a 24 jours
Elena Hoyer
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Il y a 24 jours