Fyctia
46. Plan B (4/4).
Oui, ça avait plus de sens que sa propre théorie. Mais alors ? Elle s’était angoissée pour rien ? Elle s’était cachée en vain ? Elle avait menti, trompé, redoublé d’inventivités inutilement ? Son choix avait toujours été respecté. Joséphine avait tellement eu l’habitude qu’on remette en question chacune de ses décisions qu’elle était allée jusqu’à entendre les réprimandes fantômes durant ses insomnies. Il est trop bien pour toi. Ou, c’est un joueur, ça se voit, il te fera du mal. Et autre tu vas encore t’emporter, tomber amoureuse, alors qu’il ne s’intéresse pas plus que ça. Mais la mise en garde qu’elle avait le plus écoutée était sans nulle doute lorsque son cerveau lui soufflait, vous travaillez ensemble, tu vas tout faire foirer, comme d’habitude. Des voix, ses voix qu’elle avait laissées prendre le dessus sur l’évidence : tout le monde savait. Parce que c’était l’évidence. Et si c’était l’évidence, alors c’était pas un si mauvais choix que ça, pas vrai ?
— Je suis désolée, souffla-t-elle en relevant le nez vers lui, mais pas les yeux.
Elle n’avait pas besoin d’en dire plus, Dorian savait de quoi elle s’excusait. Il eut la délicatesse de ne pas insister. Il déposa ses lèvres contre les siennes, et tout fut pardonné.
— Et maintenant, il se passe quoi ? demanda-t-il tout en la maintenant captive de ses bras.
— Clairement, chercher une petite clef dans son immense cabinet des curiosités va lui prendre un moment, donc je propose que…
— Non, je ne te parle de ce soir, la coupa-t-il. Ce soir on remonte à la mansarde, j’ai bien compris, mais après ce soir, après-demain et les jours suivants…?
— Je sais pas, on improvise ?
Que lui demandait-il au juste ? Un plan sur cinq ans ?
— Donc, on ne change rien ?
Changer quoi ? Si Joséphine n’était pas sans remarquer ce besoin qu’il avait d’être rassuré, elle ne voyait pas quel changement lui offrir susceptible d’apaiser ses démons. A moins, que…
— Nope, répondit-elle finalement. On continue comme ça. Alors, bien sûr, un jour, on se rendra compte que je suis tellement chez toi que je ne suis plus retournée à la mansarde depuis des mois. Naturellement, je rendrais les clefs, mais attention, uniquement par altruisme, pour la céder à quelqu’un qui en aura plus besoin que moi.
— Évidemment, acquiesça-t-il très sérieusement.
— Et je participerai aux charges aussi, de ton appartement, je veux dire.
— Et je compte dessus.
Dorian resserra son étreinte, et Joséphine su qu’elle avait visé juste.
— Autre chose ? s’enquit-il avec avidité.
Ok, il avait besoin de plus de projection ? Pas de problème. L’imagination, l’inspiration, Joe en avait fait son métier. Mentalement, elle remonta ses manches, fit craquer ses cervicales puis chacune de ses phalanges.
— Le chien, annonça-t-elle après réflexion.
— Quel chien ?
— Le chien que tu as évoqué.
— J’ai évoqué un chien, moi ?
— Le 31 décembre chez Franprix.
La mémoire de Joséphine était très particulière. D’une précision suisse pour ce genre de conneries, et particulièrement défaillante pour tout le reste. Elle devait paraître très sûre d’elle en cet instant, car Dorian ne chercha pas à contredire ses données.
— Quoiqu’il en soit… reprit-elle.
— Tu veux un chien, conclut-il à sa place.
— Pas un très gros, juste un petit qui ira très bien dans l’appartement qu’on partagera lorsque…
— …lorsqu’un artiste SDF dans le besoin méritera ta mansarde, oui, j’ai compris.
— T’es d’accord ?
Oh comme ce silence fut long très long, tandis qu’il semblait soupeser le pour, le contre, et probablement le peut-être. Contre toute attente, lorsqu’il descella les lèvres, ce ne fut pas pour lui fournir une réponse, mais pour lui offrir une nouvelle question.
— C'est ta manière de me dire je t’aime ?
— Affirmatif…
Était-ce suffisant ? Pour l’instant peut-être, mais elle ne s’en sortirait pas éternellement avec quelques pirouettes canines.
— Autre chose ? chercha-t-il à s’informer à nouveau comme affamé de ces perspectives d’avenir qu’elle lui livrait sans le moindre effort.
Joséphine entrouvrit les lèvres, mais ce ne fut pas sa voix qui ricocha dans tout l’appartement. Depuis les tréfonds d’un couloir, celle dont ils avaient oublié jusqu’à l’existence malgré le fait qu’ils se trouvent encore chez elle, fit entendre son avis sur la question.
— Des bébés ! tonna l’invisible mais toujours si intrusive grand-mère.
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