Ophélie Jaëger L'albatros 44. Trousseau (2/2).

44. Trousseau (2/2).

— Attends ! claqua Joséphine d’un ton empreint d’urgence.


Car elle le savait, il ne faisait pas que s’éloigner. Il s’échappait. Encore. Et Dorian n’attendit pas. Dorian n’obéit pas. Ses grandes enjambées le poussaient toujours plus loin des petites foulées de Joe.


— Où tu vas ? criait-elle à présent.


Il ne répondit pas. Au lieu de quoi, il attrapait la poignée de la porte d’entrée, et s’exfiltrait de lui-même de son propre appartement. Il l’abandonnait ici ? Ca n’avait aucun sens, putain ! Sa vue lui était devenue si insupportable qu’il ne tolérait même plus son appartement lorsqu’elle s’y trouvait ? Il était déjà sur le palier, appuyant frénétiquement contre le bouton d’appel de l’ascenseur lorsqu’elle déboula à son tour sur le clac de la porte d’entrée se refermant dans son dos.


— Où tu vas ? répéta-t-elle en se positionnant à ses côtés.

— Courir.

— À cette heure ?

— Jet lag.

— Dans cette tenue ?


D’un regard s’étirant sur toute la silhouette masculine, Joséphine releva un jean, des sneakers certes, mais absolument pas prévues pour le running, et un pull fin. Il n’avait même pas pris le temps d’enfiler un manteau, bon sang. Les bras croisés contre son torse, il se contenta d’un haussement d’épaules, sans même un regard dans sa direction. Et c’était peut-être là l’expérience la plus douloureuse, qu’il ne la contemple plus. Plus jamais. Pas même un bref instant.


— D’accord, annonça-t-elle après quelques secondes.

— D’accord ? répéta-t-il en lui offrant, enfin, un bref coup d’œil.


Inconsciemment, elle avait plagié sa position, patientant devant la porte de l’ascenseur les bras croisés contre sa poitrine.


— Je viens avec toi, l’informa-t-elle sans se démonter.


C’était en rouge sur son calendrier. C’était aujourd’hui leurs retrouvailles. Alors non, elle ne le laisserait pas s’échapper de la sorte, la fuir sans mot d’excuse. Le silence, elle ne pouvait rien y faire à plusieurs milliers de kilomètres de distance, mais désormais, Dorian devait lui fournir une explication. Et tant pis si elle devait y lâcher un poumon ou deux à force de le poursuivre en courant dans tout Paris.


— Non !


Un cri du cœur plus qu’un ordre véritable. Cette fois, il la regardait. Dorian la regardait et la voyait vraiment.


— Si.


Il n’aurait pas le dernier mot. Faussement calme, Joséphine imposait toute sa détermination. Elle devait être impressionnante car Dorian prit ses jambes à son cou. Littéralement. Il venait de la contourner pour s’échapper via la cage d’escalier. Joséphine s'arc-bouta par dessus la rampe afin de percevoir la silhouette apparaître sporadiquement entre deux étages. Le danseur engloutissait les étages comme si la mort elle-même se trouvait à ses trousses. Vexant. Et incompréhensible. Ils allaient bien. Ils allaient aussi bien que le permettait la distance et l’absence. Puis, du jour au lendemain, le silence. Et maintenant ça. La fuite, le rejet. Le vide. Un vide immense qui s’étalait dans le ventre de la jeune femme. Un vide dégueulasse qui raviva la nausée.


L’ascenseur tinta son arrivée juste à temps, et Joe s’y engouffra avec l’énergie du désespoir. Certes, Dorian avait pris de l’avance, mais s’il espérait battre la machine au record de vitesse sur huit étages, il se fourrait le doigt dans l'œil. Joséphine éprouva, d’ailleurs, une maigre satisfaction à ce grognement de frustration qu’il lâcha en la découvrant au rez-de-chaussée. Elle poussa le vice jusqu’à lui ouvrir la porte et l’inviter à la précéder vers l’extérieur, d’un geste de bras théâtralisé.


— Après toi, minauda-t-elle faussement.


L’irritation de Dorian, elle, ne paraissait pas feinte. Manifestement rien ne se passait comme il l’avait prévu. Mais qu’avait-il espéré, au juste ? Et surtout, comment pouvait-il encore mésestimer sa détermination ? Elle l’avait poursuivi jusqu’à Brest, bon sang ! Alors ce n’étaient pas des températures négatives et un début de crachin parisien qui allaient la faire reculer.


Par contre, les foulées de Dorian, si, peut-être. Ce n’était pas un footing dans lequel il s’était élancé, c’était un sprint digne de la dernière ligne droite d’un 3000 mètres juste avant l’arrivée. S’il y avait une médaille à la clé, Joséphine ignorait sa nature, sinon celle de la semer.


Elle aurait aussi bien fait de rester ici, sur le pas de la porte cochère puisqu’il finirait par y revenir. Mais elle avait annoncé qu’elle l’accompagnait, et il ne la ferait pas mentir. Putain, elle n’avait plus couru depuis le bac d’EPS ! Épreuve d’endurance. Elle avait eu huit sur vingt. Pathétique. Sa condition physique ne s’était pas améliorée depuis. Loin de là. Au bout de cent mètres, elle dénombrait déjà six points de côté et une douleur dans la cheville. Claudicante, elle suivait, loin derrière, l’athlète au sommet de sa forme dans son jean inadapté. Connard !


Lorsqu’il eut tourné à l’angle, Joséphine cru bien l’avoir perdu et puisa dans ses maigres ressources pour accélérer sa cadence. Contre toute attente, il ne la distança pas. Est-ce qu’il ralentissait ? Probable. Est-ce qu’il l’attendait ? Non, c’était plus certainement sa tenue qui l’handicapait sur le moyen terme. Bientôt, Joséphine fut apte à se maintenir à sa hauteur, ou presque. Sa respiration n’était plus qu’une vaste blague, ses poumons cramaient de l’intérieur et son cœur menaçait de claquer sa démission, mais son entêtement maintenait la mobilité de ses foulées. Cela finirait certainement sous respirateur aux urgences, mais c’était un risque à prendre.


— Tu comptes me parler, à un moment ? ânonna-t-elle en évitant de justesse un passant.

— J’ai rien à dire.


Au moins, il répondait. Rien de très utile, mais il ne lui imposait pas le silence.


— Si ! T’as plein de choses à dire, au contraire. À commencer par pourquoi tu me fais ça ? Qu’est-ce que moi, j’t’ai fais, pour mériter ça ?


Se forcer à parler amputa ses poumons des maigres inspirations disponibles à sa survie, aussi ralentit-elle la cadence à défaut d’avoir la condition physique lui permettant de maintenir une conversation pendant un marathon. Dorian poursuivait. Il creusait la distance sans s’arrêter, sans même prendre la peine de formuler une réponse.


D’un revers de main, Joséphine chercha à chasser la sueur de son visage avant de réaliser qu’il s’agissait de larmes. Elle pleurait. Et si le vent avait été le premier coupable, Dorian fut responsable des sanglots suivants.


Elle s’était immobilisée, le poing enfoncé sous ses côtes dans l’espoir de juguler la pointe douloureuse qui s’y était fichée.


— Y a quelqu’un d’autre, c’est ça ?


Sa question, son accusation couvrit la distance jusqu’à lui. Des passants tournèrent vivement la tête. Et Dorian se statufia.


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4 commentaires

WildFlower

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Il y a 8 mois

Hâte de lire la suite ^^

ambre_revant

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Il y a 8 mois

Et maintenant, j'ai mal au ventre pour elle, pour lui, pour eux, alors il faut pas nous laisser comme ça...
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