Ophélie Jaëger L'albatros 14. Ice Tea (1/2).

14. Ice Tea (1/2).

La bouche pâteuse, Joséphine perçut en premier la luminosité qui teintait de rouge ses paupières closes. Le cerveau ankylosé, l’esprit enlisé dans la ouate des songes, elle avait toutes les peines du monde à émerger. Quelle heure était-il ? Non, mieux, quel jour était-il ? Peu importait, il était forcément trop tôt. Décidée à refouler ce réveil et rattraper Morphée qui galopait au loin, elle remua légèrement, chercha une position plus confortable et enfonça son nez plus profondément contre la chaleur de ce qu’elle pensait être son oreiller. Un linge de lit qui ne sentait pas comme d’ordinaire. L’odeur habituelle de lessive avait été remplacée par un parfum masculin. Narines frénétiques, Joe réalisa brusquement.


Piquée au vif, elle bondit sur son siège et s’écarta promptement. Tout lui revint. Le texto de Maxence, sa proposition qu’elle avait acceptée, la nuit rendue blanche par l’hésitation, le train direction Brest à 7h35 ce matin, et le sommeil dans lequel elle avait sombré sitôt qu’elle s’était retrouvée seule. A quel moment de cette équation à plusieurs inconnues avait-elle échoué contre l’épaule du danseur ?


D’une pointe d’index contre sa joue, elle s’assura qu’il dormait. Pourquoi ? Aucune idée, elle avait juste besoin de pouvoir en attester. Un bref ronflement de contrariété acheva de la convaincre. Dorian dormait profondément. Ainsi, il y avait encore une petite chance qu’il n’ait rien remarqué de l’option oreiller dont elle venait l’affubler. Manquerait plus que ça, tiens ! Pour qu’il puisse lui rebattre les oreilles avec ça durant tout le séjour ? Cela dit, avare de paroles, il ne descellait que rarement les lèvres, et toujours pour lui offrir une attaque en règle ou nier son existence. Un rêve éveillé, cet homme. Et elle venait d’accepter de passer les quatre prochains jours en son unique compagnie. Quelle fabuleuse idée. Evidemment, Jules en était à son vingt-cinquième texto de la journée, et il n’était même pas dix heures.

  • Jules : T’es où ? Pourquoi tu réponds pas ?
  • Jules : Réponds !
  • Jules : T’es allée le rejoindre, c’est ça ?
  • Jojo : Relax, Shakespeare ! Je suis plus Joe Goldberg que Juliette Capulet.

Joséphine fut interrompue par le passage du chariot de collations. Sa bouche sèche se rappela à son bon souvenir à la vue des canettes perlées de condensation. Un paiement sans contact par-dessus le danseur inerte, et elle devint l’heureuse propriétaire de deux petites bouteilles d’Ice Tea et d’un cookie XXL. Et la deuxième bouteille ne fut pas de trop après qu’elle eut ingurgité ledit cookie qui l’assécha plus efficacement que le meilleur cérémonial de momification.


Le souci avec cette boisson, c’est que bien vite un besoin urgent de se rendre aux toilettes se fit ressentir. Et l’autre Belle au TGV dormant qui lui bloquait toujours le passage. Comptait-il se réveiller un jour, ou bien son coma allait-il perdurer jusqu’à l’arrivée en gare de Brest ?

Et d’ailleurs, pourquoi Brest ? Maxence ne lui avait rien dit à ce sujet, juste que Dorian s’y rendait pour quelques jours comme à son habitude. Joséphine savait le danseur originaire de Bretagne, aussi imagina-t-elle qu’il puisse rendre visite à ses parents, sa famille. Sauf qu’il logerait à l’hôtel, elle le savait car Maxence lui avait communiqué toutes les informations relatives au séjour. Aussi Joe avait vite éliminé cette hypothèse, d’autant que s’imposer dans une réunion de famille aurait été la stratégie la plus moisie du monde. Certes, elle aurait eu alors le loisir d’interroger ses proches et d’amorcer enfin un véritable travail de préparation, mais quelque chose lui disait que Dorian aurait alors enterré ses secrets en même temps que son corps à elle. Non, Maxence était définitivement plus intelligent que cela.


Les minutes défilèrent au rythme lancinant de cette boisson qui se déversait au goutte à goutte dans la vessie de Joséphine. Une larme de plus et elle ne répondrait plus de l’intégrité physique de sa culotte. Tressautant sur son siège, Joe jetait de plus en plus nombreux coups d’œil au danseur comateux. Parfois il bougeait légèrement, et Joséphine, dans l’expectative, retenait sa respiration. Une apnée qui se transformait en soupir dès lors qu’il émettait ce léger ronflement qu’elle détestait dorénavant. Elle avait bien cherché à faire du bruit, en claquant l’écran de son ordinateur, ou encore en froissant et défroissant l’emballage vide du cookie disparu. Rien. Aucune réaction, si ce n’était des chuchotis réprobateurs de ses voisins de wagon.


N'y tenant plus, Joe décida d’emprunter le même chemin qu’à l’aller, et après avoir refermé sa tablette, entreprit d’enjamber Dormeur. Accrochée à l’appui-tête du siège de devant, la jeune femme se lança dans des contorsions dignes de l’exorciste, pour ne surtout pas toucher Grincheux. Comme en plein casse, elle était la voleuse voltigeuse, et Simplet les rayons lasers. Un seul faux pas, et l’alarme stridente se déclencherait. Elle avait presque un pied de l’autre côté, lorsque…


— Wiiiiihu, wiiiihuuu, wiiiihuuu, entonna-t-elle en même temps que deux yeux parfaitement éveillés se braquaient sur elle.


Les sept nains la foudroyaient du regard. Et aucun d’eux n’était Joyeux.


— Quand vous aurez fini de me prendre pour un foutu mur d’escalade, vous m’expliquerez ce que vous fabriquez ?


Ses ongles s’enfonçaient dans l’appui-tête pour ne surtout pas perdre cette dernière prise avant la chute. Sur la pointe d’un pied qui hurlait sa peine, les muscles jusqu’alors jamais sollicités tremblotant, Joséphine n’était plus qu’à une expiration de la chute. Une chute qui ne serait mortelle que pour sa fierté, si elle devait s’achever en à dada sur mon bidet.


— J’ai bu de l’Ice Tea, s’entendit-elle lui répondre dans un souffle crispé.

— Et ? éructa-t-il.


Cet homme ne connaissait donc rien du superpouvoir de la théine ?


— Il faut que j’aille aux toilettes, précisa-t-elle avant d’ajouter face à son absence totale de réaction : vous dormiez, j’étais supposée faire quoi ? Me faire pipi dessus ?


S’il s’apprêtait à répondre, il fut vite interrompu par le claquement de langue réprobateur d’une sexagénaire tirée à quatre épingles, qui les fusillait du regard depuis l’allée qu’elle remontait.


— Vous ne pouvez pas attendre d’être à l’hôtel pour ça ? grinça-t-elle en lorgnant les deux corps enchevêtrés.

— J’ai vraiment très envie, madame, lui répondit naïvement Joséphine dans un froncement de sourcils.


Ce fut le soupir de Dorian, plus que l’air scandalisé de la dame, qui fit dire à Joséphine qu’elle avait encore manqué une occasion de se taire.


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44 commentaires

Eleanor Peterson

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Il y a un an

Alors la vieille s’imagine des choses et Joséphine veut juste aller aux wc. 🤣.

Gottesmann Pascal

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Il y a un an

Pourquoi c'est si compliqué ? C'est naturel d'aller faire pipi dans le train. Tout le monde le fait ou presque.

Ophélie Jaëger

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Il y a un an

Et Joséphine aimerait bien pouvoir le faire plus facilement, s'il n'y avait pas cet obstacle récalcitrant haha !
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