Fyctia
Un nouvel horizon
— « Terminées zones multi-pavillonnaires ! Adieu caniveaux urbains, sordides entresols, casiers à lapins modulaires. Au diable maudites extensions de béton sur la mer ! Notre chère Ville nouvelle est devant nous et se dresse fièrement dans le ciel car elle peux s’enorgueillir d’être aussi belle que généreuse… »
Ivanka Škodeolova faillit s’étrangler sur les derniers mots. Elle s’éclaircit la voix avec une petite gorgée d’eau de vie avant de reprendre.
— « Nous sommes réunis sur la terrasse du mille et unième étage pour contempler le travail accompli, reprit-elle en balayant l’horizon avec la désinvolture d’une chanteuse de pop. A cette altitude, le ciel se colore d’un bleu profond et intense qui semble faire disparaitre toutes les vicissitudes de celle qu’on appelait autrefois Suburbia, la ville tentaculaire… »
Les yeux de la speakerine firent une boucle à 360°.
— Bla bla et bla bla bla, mais qui a pu m’écrire un discours aussi pompeux, s’exclama Ivanka
en reprenant une rasade d’eau de vie.
— C’est moi, intervint le vieil homme dans son dos.
Ivanka frémit un instant. Elle empoigna la bouteille pour éviter de rire.
— Ivanka ! gronda le vieil homme.
— Oncle Kazimír ! rétorqua la jeune femme sur le même ton, il me faut au moins ça, je l’ai bien mérité.
Issue de la très haute aristocratie Sorabe, la famille Škodeol était le promoteur majoritaire du projet de restructuration.
Ivanka, architecte en chef, avait conçu la toiture-terrasse spécialement pour la famille. Elle avait dû plancher jours et nuits pour satisfaire toutes les prescriptions de ses cousins, de ses oncles et de ses tantes. En particulier celles de son sextuple grand-oncle Kazimír, doyen de la famille, qui tenait à superviser chaque détail du projet. A la moindre occasion, il répétait avec une volonté indéfectible : « nous bâtissons pour l’éternité ».
— Ivanka ! gronda le vieil homme en la voyant se servir un autre verre.
Ivanka ne prit pas la peine de répondre. Elle avait bien mérité de souffler un peu. Le grand bal qui devait célébrer la fin des travaux allait se tenir dans deux jours. Et la brillante architecte avait mené ce projet titanesque avec un professionnalisme hors pair.
— Oncle Kazimír, tu as vu ? se transporta-t-elle, Tu as vu le travail qu’on a fait ? Tout ça, c’est nous. C’est nous qui l’avons bâti. La ville était une puanteur, elle est devenue un sanctuaire. Tout est absolument parfait.
Sur ce point, toutes les critiques étaient unanimes. Il s’agissait d’un véritable bijou en matière d’architecture aérospatiale.
Ivanka s’adossa contre l’acrotère de la fontaine, elle étala ses jambes et étira ses orteils aussi largement que possible. Elle avait décidé de souffler ce soir et nul ne lui ferait changer de plan. En cet instant précis, elle se sentait l’égal des dieux et avait bien l’intention de trinquer avec les anges.
Tout à coup, l'alarme de son télémètre sonna.
— Encore cette petite garce !
Ivanka lança son télémètre sur le mur dans une rage fiévreuse. Celui-ci cogna avant de rebondir comme une balle en caoutchouc jusqu’aux pieds de Kazimír.
— Voyons, tempéra le doyen, une architecte qui maltraite un télémètre de la sorte, ça fait mauvais genre.
— Pardon Oncle Kazimír mais je n'en peux plus. Il y a cette fouille-merde du bureau de contrôle qui revient à la charge au sujet du bilan énergétique.
— Comment ça ? questionna Kazimír avec intérêt. Je croyais ce point déjà résolu ?
— Plus facile à dire qu’à faire. Je ne comprends rien moi à cette note. Cette mégère a relevé des discordances entre le bilan énergétique global et le détail de la toiture terrasse.
— Je t’avais dit de t’adresser aux cousins ! gronde son oncle.
— Je l’ai fait figure toi... Mais.
— Mais quoi ?
— Tu sais comment sont Oleg et Ivan.
— Non je ne sais pas.
— Mais si tu sais.
— Bon, s’impatiente Kazimír, je m’en charge.
Ivanka souffla. Ça méritait bien une nouvelle rasade de cette délicieuse eau-de-vie à la framboise.
— Je vais les contacter. Il faut règler cette histoire au plus vite, le bal approche et nous avons besoin de toutes les validations avant le lancement de l’ICO.
L’initial coin offering (ICO littéralement :« offre de pièce initiale ») concernait l’introduction sur les marchés financiers de la crypto-monnaie aérodeols qui servirait à toutes les transactions aérobilières de la ville nouvelle.
Ivanka n'ajouta pas un mot, elle se sentait à nouveau aussi légère et heureuse qu’une libellule en plein orgasme.
— Ivanka ! lança son oncle avant de mettre les voiles.
— Oui Oncle Kazimír, merci Oncle Kazimír, proféra-t-elle avec une fausse révérence.
— Je veux que tu invites cette Lady Carlita au bal d’inauguration.
— Oh non, jamais de la vie, je ne peux pas voir cette troufionne en peinture.
— Assez.
— Je ne veux pas qu’elle mette un doigt de pied sur ma terrasse !
— Calme-toi s'il te plaît. Il n'y sans doute rien de très consistant chez cette Lady Carlita. Je connais les gens de son espèce. Le plus probable est qu’elle cherche tout simplement à se faire mousser.
— Oh merci Oncle Sigmund. Bien sûr ! Dans ce monde, il n'y a que des courtisans. Je parie même que cette chichiteuse en pince pour moi.
— Très bien, soupire le vieil homme, je veux donc que tu l’invites et que tu lui fasses les yeux doux.
« Bla bla bla… » songea Ivanka.
— Il n’y a pas d’inquiétude à avoir, j’ai toute confiance dans les calculs d’Oleg Škodeol. Présente-toi sous ton meilleur jour avec Lady Carlita, je voudrais éviter que cette bureaucrate nous fasse perdre un temps précieux.
« Bla bla bla bla… » Continua-t-elle visiblement un peu éméchée.
— Est-ce que c’est entendu ? lança Kazimír dans un regard glaçant.
Ivanka ne l’avait jamais vu de cette manière. Elle avait passé des nuits blanches à plancher en compagnie de son sextuple grand-oncle. Celui-ci ne semblait jamais fatigué et même dans les pires moments de crise, il n’avait jamais un mot ou une attitude qui suggérait qu’il fut dépassé par les évènements.
Sans attendre de réponse, le vieil homme prit congé.
Ivanka n’avait pas le choix. Elle allait convier Carlita au bal d’inauguration. Mais elle ne savait pas encore à quel point elle allait se montrer cordiale avec la bêcheuse du bureau de contrôle.
Elle reprit son télémètre et, après un moment de réflexion, elle esquissa un sourire de malice.
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