Fyctia
Chapitre 2 2/3
La jeune femme me dévisage, perplexe, la tête légèrement incliné de côté.
— J’espère qu’on pourra devenir amis, me lance-t-elle dans un sourire.
— Eh ! Je suis là moi aussi ! s’exclame le jeune homme devant moi.
Je pivote rapidement la tête et lève les yeux au ciel. Est-ce qu’il serait… jaloux ? Pour si peu ?
— Dites, vous vous appelez comment ? poursuit-il, comme pour changer de sujet.
— Je m’appelle…, commence ma camarade de table avant de s’interrompre brusquement, le regard voilé.
J’écarquille les yeux en ouvrant la bouche.
— Je… Je ne sais pas, murmuré-je.
Nous nous dévisageons tour à tour, nos visages pâles et nos yeux grands ouverts doivent sans doute trahir une pointe de panique. Comment peut-on oublier son propre nom ? Un silence lourd s’installe, pesant comme une chape de plomb.
— Cette école ne me dit rien qui…, commence le jeune homme.
De lourds bruits de pas nous prennent de court et instinctivement, nous tournons la tête pour voir les nouveaux arrivants. Il n’y a aucun doute possible : ce sont les professeurs. Leurs yeux, rivés sur nous, ont tout l'air de lire au plus profond de nous et dégagent une vague de froid qui contraste avec l’éclat de la pièce. L’un d’eux porte un intrigant haut de forme et se détache de la foule. Pour la plupart, leurs tenues sont aussi disparates que leurs regards : robes austères, cottes de mailles scintillantes, hauts-de-chausses élégants… Le mélange est aussi fascinant qu’inquiétant.
L’air devient pesant, saturé d’une étrange tension tandis que le silence enveloppe la salle. Un homme ferme la marche et caresse pensivement un bouc grisonnant. De petites lunettes reposent sur son nez et un chapeau melon posé de travers surplombe sa tête d’une bien curieuse manière. Je suppose qu'il s'agit du directeur et je ressens aussitôt une vague de respect envers lui.
— Impressionnant…, murmuré-je, bouche bée, incapable de détourner le regard.
Le corps enseignant prend place à la table d’honneur, celle qui avait capté mon attention plus tôt. L’homme au bouc s’assied au centre de cette curieuse assemblée.
Un domestique se précipite dans leur direction pour les servir. Tout d’abord, il remplit la coupe de l’aîné, avant de s’occuper des différents convives qui l'entourent. Notre section est ensuite prise en charge par d’autres employés du château, notamment l’homme à la moustache de Richelieu. Alors que je jette un coup d’œil à mon propre verre, je réalise que le vin a été coupé à l’eau. Un mélange qui me rassure autant qu’il m’irrite, éveillant en moi un étrange sentiment d’injustice.
Mon attention retourne vers les professeurs et je fronce les sourcils.
— Chères étudiantes, chers étudiants, soyez les bienvenus pour cette nouvelle année à l’Académie des Livres ! s’exclame le vieil homme en levant son verre d’un geste théâtral. Je ne vais pas m’attarder davantage pour le moment, car le discours officiel aura lieu ce soir lors de la cérémonie d’ouverture. Cependant, je suis ravi d’accueillir encore cette année des visages aussi charmants. Bien sûr, comme certains le savent déjà, c’est l’intelligence et le savoir qui priment à mes yeux.
Au fond de moi, je suis certain que le directeur se sent d'humeur joueuse. Il incline la tête en direction de sa gauche puis de sa droite pour saluer ses confrères.
— Comme vous avez déjà pu le comprendre, je suis le directeur de cet honorable établissement, Phileas Fogg, le brave homme du Tour du monde en 80 jours du défunt Jules Verne.
Je me mords la langue et retiens mon souffle. J'ai beau avoir lu ce nom dans ma lettre d'admission, il n'empêche que je suis toujours aussi surpris et interloqué du fait qu'il soit possible de porter le nom d'un personnage fictif. D'un côté, je trouve cela fascinant, de l'autre, inquiétant.
— Très prochainement, vous découvrirez vos nouveaux noms.
Je ravale ma salive de travers. Ai-je bien entendu ? Je vais devoir moi aussi perdre ce que je suis pour endosser l'identité d'un personnage inventé de la main d'un auteur mort il y a une éternité ? Cette idée est loin de me ravir.
— Soyez patients, mes chers élèves. Telle est l’une des devises de l’Académie des Livres. Bien, maintenant, bon appétit !
Sur ces mots, le doyen agite son verre et invite tout le monde à trinquer. Je suis arrivé ici ce matin à peine et nous n’avons pas encore commencé les cours… Pourtant, mes sens sont déjà en éveil. Les paroles de l’aîné suscitent une curiosité croissante, et les questions fusent parmi les premières années, tandis que les étudiants plus âgés semblent, eux, parfaitement détendus.
Après avoir trinqué avec mes voisins, je porte mon verre à mes lèvres. Le liquide est étrangement agréable : sucré, mais pas trop. Une douceur inattendue.
— Allons, De Guise, ménagez-vous ! s’exclame une voix à une table de la mienne.
— Roméo, Roméo, est-ce le grand romantique qui me donne un tel avertissement ? répond son camarade de droite d'une voix tout aussi forte.
Je reconnais aisément le jeune homme pour l’avoir croisé un peu plus tôt aux côtés de la femme semblable au soleil.
Ma main repose mon verre sur la table et j’esquisse une moue, songeur. De Guise et Roméo… grand romantique… de nouveaux noms… Vais-je… À quoi est-ce que je vais avoir droit ?
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Bianka Msria
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