Fyctia
Chap.1(P2) - Krisgarth Academy
Lily
— C’est dommage, souffle mon père.
— Pourquoi, tu voulais qu’on soit ami ?
Il tourne une page de son journal et relève ses yeux ambrés – comme les miens – dans ma direction.
— Cela pourrait être une idée. Rassure-moi, tu comptes essayer de te faire des amis ? Ou tu vas continuer d’afficher cette tête jusqu’à la fin de l’année ?
— Quelle tête ? rétorqué-je, sur la défensive.
— Cette tête-là.
Je lève les yeux au ciel. J’afficherai la tête que je veux, jusqu’au moment où je le voudrais. J’extirpe un livre de mon sac, le temps d’occuper le trajet. Celui-ci passe plutôt rapidement. Depuis la révolution industrielle, le pays s’est recouvert de voies de chemin de fer, ce qui nous permet d’accélérer les distances. Alors qu’au siècle dernier, il fallait plusieurs jours pour se rendre à cheval de Londres à Birmingham, nous pouvons désormais l’effectuer dans la journée. Entre nos discussions, nos lectures respectives et l’encas porté par un employé du train, les heures filent à toute vitesse.
La nuit n’est pas encore tombée lorsque le train s’arrête dans la gare. Sur le quai, nous sommes accueillis par un homme, envoyé par l’académie pour nous conduire jusqu’à l’école. Il nous fait de grands signes, puis vient aussitôt nous saluer.
— Bienvenue à Birmingham. Je suis James, je travaille pour l’académie et je serai votre chauffeur ce soir.
Il porte un chapeau haut-de-forme et un costume trois pièces, terminé par des boutons argentés qui lui donnent un certain standing.
— William Campbell, se présente aussitôt mon père. Et voici ma fille, Elizabeth.
— Lily, corrigé-je.
Personne ne m’appelait jamais Elizabeth à Londres et je compte bien honorer cette tradition ici.
— Enchanté, nous salue-t-il. Le manoir de Krisgarth n’est qu’à quinze minutes de route, mais comme la nuit va bientôt tomber, nous ferions mieux de nous hâter.
Mon père hoche la tête pendant que James nous entraîne vers une calèche. Si les véhicules à moteur se répandent en ville, ce n’est visiblement pas encore le cas dans les campagnes. Nous accrochons nos valises à l’arrière d’un véhicule tracté par deux chevaux et prenons place sur la banquette arrière, pendant que le cochet s’assoit à l’avant. Les chevaux s’élancent au trot et je profite de la fraîcheur de cette fin d’après-midi pour laisser le vent s’engouffrer sur mon visage. J’ai vécu en ville toute ma vie, je ne suis pas habituée à voir autant de verdure.
La route que nous prenons qui serpente entre des champs de blé. Je me promets de revenir visiter Birmingham plus tard. Nous traversons plusieurs villages aux toits de chaume et aux pierres patinées par le temps. Je sens rapidement l’odeur des animaux, peu ragoûtant, mais qui n’ont rien à envier à celle des égouts londoniens. James, qui a visiblement envie d’échanger avec mon père, se lance dans une longue explication sur la région, territoire à la fois industriel et rural.
— Les agriculteurs ont vu d’un mauvais œil l’arrivée des usines, explique-t-il.
Je peux le comprendre. Au loin, nous apercevons des filets de vapeur émanant de la ville. S’ils sont synonymes de modernité, j’imagine que certains ont vu leur apparition comme un risque pour leurs plantations. James raconte que des propriétaires terriens se sont vus proposer des coquettes sommes pour vendre leurs parcelles, dont les industriels avaient besoin pour étendre leurs productions.
— Heureusement, Krisgarth est épargné. Le manoir est entouré de plusieurs hectares de forêt, personne ne vient jamais par là-bas. Du moins, pas des humains lambdas.
Je grimace à l’utilisation de ce terme, bien que je le sache très employé chez les personnes douées de don. Je me demande d’ailleurs si James en possède un. Mon père écoute tout cela d’une oreille attentive, tandis que je continue de fixer le paysage.
— Vous arrivez de Londres, c’est ça ? demande James.
— En effet, confirme mon père. Je suis très heureux d’avoir obtenu ce poste. J’étais même étonné que l’un d’eux soit à pourvoir. Une chaire d’occultiste, c’est tellement rare.
— Le professeur Brixton nous a quitté en juin, explique James.
Je me redresse, soudain plus intéressée. La raison de cette démission demeure obscure, mon père n’a pas réussi à savoir pourquoi il était parti.
— Votre fille va venir rejoindre le rang de nos élèves ? poursuit le cocher.
— Oui. J’espère que son intégration se passera bien.
Moi aussi.
— Quelle est sa spécialité ?
Je me crispe. Pourtant, je reprends aussitôt contenance et débite mon mensonge préparé en avance :
— Le théâtre, j’ai une affinité particulière avec les textes et la voix.
— Formidable, les actor font toujours de très beaux spectacles.
Il donne un petit coup de cravache sur le flanc des chevaux et la calèche s’engouffre vers la gauche, en direction d’une forêt. Au loin, on aperçoit un grand portail en fer forgé s’ouvrant sur une longue avenue bordée d’arbres.
— Savez-vous pourquoi le professeur Brixton est parti ? demande mon père.
James lui jette un regard en coin, l’air embêté. Je sens qu’il hésite à répondre, mais après une seconde à hésiter, il est finalement rattrapé par son désir de parler.
— Je vous le dis, mais cela doit rester entre nous d’accord ?
— Je serai aussi muet qu’une tombe, promet mon père.
James me fixe une seconde et je pose mes doigts sur mes lèvres, mimant une bouche cousue.
— Très bien, c’est à cause de cette histoire avec le jeune Anton Bradley, avoue-t-il.
— L'élève retrouvé mort dans le lac?
— Oui.
3 commentaires
Ada Guilbert
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Il y a 4 mois
Caroline Ki
-
Il y a 4 mois