Œdice Kaouenn La Voix d'Élise Chapitre 7 : J-13 (1/3)

Chapitre 7 : J-13 (1/3)

Une. Deux. Trois…

Les secondes défilaient sur sa nouvelle horloge. La fine aiguille entamait son dernier tour avant que ses sœurs ne rejoignent le douze en haut du cadran.

Vingt-deux. Vingt-trois. Vingt-quatre…

Simple, ronde, blanche. La seule fantaisie qu’elle s’était autorisée en choisissant l’objet avait été ce lapin gris, au centre.

Quarante-sept. Quarante-huit. Quarante-neuf…

Elle la montrerait à Garance, le lendemain. L’animal, même dessiné, l’occuperait quelques secondes, voire quelques minutes. Sa fille aimait beaucoup les lapins.

Minuit.

Son portable vibra. Elle n’alluma pas l’écran, ne baissa pas les yeux sur l’appareil. Elle savait déjà ce qui l’attendait :

Rejoind moi

13

Élise

Plus que treize jours. Moins de deux semaines.

Avant quoi ?

Ne pas savoir rendait parfois l’attente plus difficile. Les messages s’interrompraient-ils ? Quelqu’un se présenterait-il à sa porte, muni d’un couteau ou d’une arme à feu ? Serait-elle enlevée, torturée, tuée ?

La trotteuse se lançait déjà dans un cinquième tour. Sa mâchoire se décrocha, lui rappelant sa fatigue. Elle se traîna jusqu’au lit et s’enfouit sous sa couette. Yeux ouverts dans la pénombre, elle tenta de convaincre son esprit que lui aussi devait se reposer. En vain.

Treize jours.

Elle s’obligea à fermer les paupières.

Treize jours.

À respirer calmement, profondément…

Treize…

Une vibration, longue. Elle rouvrit les yeux. Une deuxième. Un appel. Sa main chercha son portable. Minuit. Urgence. Garance ? Numéro inconnu.

Son cœur s’arrêta. Répondre ? Ignorer ? Répondre… Son doigt tremblant appuya sur le téléphone vert.

— Qu’est-ce que vous me voulez ? demanda-t-elle, la gorge serrée.

Sa voix s’était brisée entre deux mots. Elle tenta de répéter, mais l’air refusa de pénétrer dans ses poumons.

Silence. Cliquetis. Bourdonnement.

Un rire déchira son tympan. Elle lâcha le portable. Il chuta sur ses couvertures. Malgré la distance, le bruit l’atteignait toujours. Un éclat de voix claire, aiguë… Enfantin…

Élise ?

Élise…

Elle voulut reprendre l’appareil, le porter à sa bouche, la supplier d’arrêter. Ses doigts glissèrent sur la coque, se refermèrent dans le vide. Elle serra le poing, se laissa tomber sur son lit. Le rire l’agressait encore.

Enfin, il s’interrompit. L’appel cessa. La lumière de l’écran baigna la pièce d’une faible lueur pendant quelques secondes, puis elle s’éteignit. Mathilde garda les yeux rivés au plafond, toute envie de sommeil oubliée.


Malgré le signal de fermeture des portes, le ronflement des moteurs qui mettaient la rame en branle et les rires bruyants des touristes assis de l’autre côté de l’allée, les cris de Raphaël parvenaient sans mal aux oreilles de Mathilde. À son grand regret. Peut-être n’aurait-elle pas dû l’appeler. Un simple SMS aurait suffi.

Tu avais promis !

— J’ai un imprévu, se justifia-t-elle.

Elle éloigna légèrement le combiné de sa tête.

Un imprévu ? Plus important que ta fille ? Elle se faisait une joie que tu viennes la chercher à l’école pour manger avec elle ! Tu sais à quel point ces moments sont précieux pour elle !

— Vas-y à ma place, elle sera contente.

Je travaille, Mathilde ! Et Garance attend sa mère, ce midi, pas son père !

— Je ne peux pas, aujourd’hui. Mais une prochaine fois…

Elle se lança dans un concours de regards noirs avec la femme qui la dévisageait, face à elle. La désapprobation qu’elle y lisait ne pouvait signifier qu’une chose : les cris de Raphaël portaient bien.

— Quelle prochaine fois ? Je te connais, soit tu te trouveras une nouvelle excuse, soit tu feras semblant d’avoir oublié !

— Mais non…

L’homme n’écouta pas sa réponse. Quand il reprit, des trémolos agitaient sa voix :

Tu sais ce qui me fait le plus mal ? Quand Garance me demande si son papa et sa maman l’aiment sans oser me regarder dans les yeux… J’ai parfois l’impression qu’elle ne me croit pas lorsque je lui dis que oui.

Mathilde porta son attention sur la bague qu’arborait sa voisine, devant à droite. Un mince anneau d’or serti de deux diamants.

Deux longues minutes de silence s’installèrent. Lorsque les portes du RER se refermèrent à nouveau, Raphaël laissa échapper un profond soupir.

Tu ne peux vraiment pas venir aujourd’hui ?

— Non.

D’accord… Je vais voir si… Non, ça va être compliqué…

Nouveau soupir. Mathilde attendit.

Bon, je te laisse… Mets quand même ce temps à profit pour réfléchir à un cadeau d’anniversaire pour Garance. Petit rappel que c’est dans moins d’un mois !

— Je sais.

Elle n’avait pas besoin de rappel. Leur fille aurait huit ans dans trois semaines.

Une boule se forma dans sa gorge. Elle déglutit pour tenter de l’en déloger.

Bon « imprévu », alors.

Elle n’eut pas le temps de le remercier que la tonalité lui apprenait qu’il avait raccroché. La jeune femme ignora l’alerte de dix SMS non lus et rangea son téléphone dans sa sacoche ouverte. Avec un peu de chance, quelqu’un le lui volerait… Elle rejeta rapidement ce souhait silencieux : racheter un nouveau portable s’annoncerait chronophage et ne résoudrait en rien le harcèlement.

Après une courte correspondance sur la ligne une, Mathilde émergea de terre sous un ciel chargé, prêt à déverser des trombes d’eau sur sa tête déjà peu épargnée par la fatigue. Entre sa nuit de travail et celle qui avait suivi, elle n’avait eu aucun répit.

Elle remonta les Champs Élysées entre les groupes de touristes flânant sur le trottoir, appareils photo à la main, et ne s’arrêta qu’à de rares occasions pour vérifier le trajet sur son téléphone. Après encore quelques minutes de marche, elle atteignit enfin la destination indiquée par le SMS : un petit café aux devantures en bois massif brillant. Son nom s’affichait en lettres d’or au-dessus de la porte : Les Jardins d’Eden.

Mathilde pénétra dans une pièce étroite, mais cosy, au doux parfum de forêt et de thé chaud. Quelques tables accueillaient trois touristes, absorbés par leur étude d’un plan de la ville. La jeune femme ne s’attarda pas. Elle longea le bar en saluant le serveur d’un murmure et poursuivit son chemin jusqu’au second battant, au fond de la salle.

Si la partie vitrée du panneau en bois lui promettait un espace lumineux de l’autre côté, la petite cour dans laquelle elle déboucha la plongea aussitôt dans une ambiance de calme et de sérénité. Le patio, protégé des éléments par un toit transparent quelques mètres plus haut, proposait aux visiteurs cinq tables en rotin, entourées de fauteuils assortis. Des plantes grimpantes isolaient le lieu de la rugosité du mur en pierres brutes, le coupant de l’environnement urbain qui les engloutissait sur plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde. Un second bar, sculpté de vignes, accueillait trois clients. Mathilde reconnut la femme assise sur une chaise à gauche et se dirigea vers elle.

Yolanda se retourna au moment où la porte claquait. Elle sourit avec bienveillance à la nouvelle venue.

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1 commentaire

Anne SERRAY

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Il y a 2 ans

Pourquoi je ne la sens pas cette Yolanda ?
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