VirginieG La Source et La Flamme Funérailles 3

Funérailles 3

« Draco dormiens numquam titillandus ».

Ne réveillez pas un dragon qui dort... Cette phrase, la devise de Poudlard, me traverse la tête alors que je suis dans la cuisine à remplir une énième cafetière, à faire la recharge des pots de lait et de sucre que Yolande s'empresse de porter dans le séjour où nous avons installé de grandes tables.


La maison grouille de monde, je n'ai pas un moment pour m'asseoir, même si les tâches se sont partagées assez facilement. Nous faisons le service pour d'anciens collègues de papa, de maman, pour des gens de l'équipe paroissiale, du club de photo, venus pour entourer Roland et oubliant complètement que, du haut de nos 50 et 46 ans, François et moi sommes bel et bien des orphelins. Or-phe-lins ! Bordel ! Je n'en peux plus, je prends une bière dans le frigo et je sors dans le jardin. Sofiane est en train de fumer.


— File-moi une clope, Sof.

— Dis, tu n'aurais pas arrêté il y a 10 ans, toi, ou j'ai loupé des épisodes ?

— Si, mais là j'ai envie, file m'en une et ne fais pas de remarque...

— Houlà, je vois une choupette qui en a gros sur la patate. Tu veux que j'aille chercher ton mec ? Histoire de le tirer des griffes d'Angélique, elle le colle comme un vieux chewing-gum ...

— Toujours à vouloir bouffer dans mon assiette, celle-là...

— C'est que tu as très bon goût pour choisir tes mâles reproducteurs. Ceci dit, je dois avouer que c'est frustrant que la petite soit une copie conforme de Sam, alors que mes fils sont des Dubray pur jus.

— Gnagnagna...

— Regarde-moi, Bab's.


Il prend mon menton à une main, fixe mon visage, plonge ses yeux dans les miens...


— Tu es épuisée. Je vais chercher Sam...


Il m'embrasse sur le front. Alors que je le remercie, je lève les yeux vers la fenêtre. Angélique nous regarde et m'adresse un « bravo » que je ne comprends pas. Juste, elle fait mine d'applaudir et son rouge à lèvre vermillon me permet de voir ce qu'elle articule... Bravo ? Bravo à quoi ?

Je soupire. Sofiane a raison, je suis épuisée. Le long trajet, les démarches administratives, les interminables heures au funérarium, les rituels, les visions, les nuits brèves et agitées qui se sont greffées sur les découvertes... Je suis à genoux. À genoux et on me demande encore de faire bonne figure et de m'occuper de gens qui, en fait, devraient m'aider et m'entourer, moi... Je glisse le long du muret, je m'assois par terre, la tête entre les genoux, les genoux entre les bras et je laisse les larmes couler, couler, couler, toute la tristesse, toute la fatigue, toute la colère s'évacuer à travers elles. Je m'effondre, parce que c'est trop.


Sur ma tête, une main. Une caresse légère dans mes cheveux. Sam s'accroupit pour se mettre à ma hauteur – je sais bien que c'est lui. Je le regarde, je souris, un tout petit sourire, et me remets à sangloter. Lui aussi s'adosse alors au muret, m'entoure de ses bras, m'attire vers lui... Présent, et silencieux, m'enveloppant juste de sa chaleur. Mais je sens qu'à nouveau on nous observe.


— Chuuuut, reste là, Lizzie. Tu t'en fous des autres, tu t'en fous des regards. Prends ce temps pour toi. On va bientôt retourner au crématorium pour la dispersion des cendres, après ce sera fini. Les intrus partiront. On sera tranquilles entre nous.

— Entre nous, ça veut dire la famille...

— Oui, et ?

— Ben... Je vois le cirque de ma cousine, comme elle te tourne autour. Et... C'est le genre de femme avec qui tu serais sorti, avant.

— Oui, et ?

— Je crève de jalousie. Je la vois toute pomponnée et tout sourire, à faire du charme à tout le monde et moi je suis là avec ma gueule de déterrée à mettre du beurre dans des ramequins et à servir les gens. Je ressemble à rien.


Un nouveau sanglot me monte dans la gorge. J'enfouis ma tête dans le creux de l'épaule de Sam. Il prend mon visage entre ses mains, m'oblige à le regarder.


— Elisabeth... La femme à qui j'ai fait l'amour ce matin était belle, sans une once de maquillage, les cheveux mouillés, avec les cernes des jours de fatigue et des nuits de cauchemars. Belle de plaisir et belle de tout ce qui la compose. Pas apprêtée. C'est très différent. Il m'a fallu du temps pour comprendre ce genre de choses. Mais maintenant je le sais.


Des bruits de pas dans l'escalier qui mène au jardin. François, Arthur et Romaine, tous les trois. Ils me sourient. De grands sourires, les yeux brillants.


— Babou, tu viens de rater quelque chose. Quelque chose de magnifique !

— De magnifique ?


Encore des pas dans les escaliers. Yolande cette fois.


— Ah oui, splendide ! J'ai déjà vu des esclandres, mais là c'était du top niveau.

— Et le mieux, c'est que papa a pris ta défense !

— De... hein ? Ma défense pourquoi ?

— Angélique, pardi ! Papa est tombée sur elle qui expliquait en long et en large que tu ne manquais pas d'air à t'afficher comme ça avec tes deux mecs, qu'elle venait de voir Sofiane t'embrasser dans le jardin – tu sais, pendant qu'elle draguait lourdement Sam. Et alors... Oh purée, c'était magnifique !

— Magnifique en quoi ? Mais c'est quoi cette histoire de Sof qui m'embrasse ? Il m'a fait un câlin, c'est tout.

— Mais ne te justifie pas, on te connait, nous, on sait bien !

— De fait, comme le dit Yolande, on n'a pas demandé de justifications, écoute, on te raconte ! Donc, voilà papa qui retourne dans le salon, se penche vers oncle Roger et qui lui dit : « Mon petit Roger, je ne veux pas être désagréable, mais ta fille commence à me courir sur le haricot ».

— Et Roger, sans demander laquelle, lui répond : « Roland, tu es chez toi, si tu la vires, je ne dirai rien. Depuis ce matin, elle me gonfle. Fais-moi ce plaisir ! ».

— Les hommes de la Pampa, on se serait cru dans les Tontons Flingueurs !

— Mais tellement ! Donc, les voilà qui vont dans le bureau chercher le manteau d'Angélique, puis qui se pointent à deux alors qu'elle s'était mise à coller Sofiane, vu que Sam n'était plus là. Et là, ils lui tendent le manteau en lui disant « Bien, on ne te retient pas, Christelle va te ramener à la gare ». Si tu avais vu la mine réjouie de Chris quand elle a pris ses clefs ! Je ne suis pas ironique, hein ! Vraiment réjouie ! Oufti*, j'ai mal aux joues tellement j'ai ri !


Je n'en reviens pas. Déjà d'entendre Romaine dire « Oufti », mais surtout de toute cette histoire, cet incident en public, chez les Dubray où l'expression extrême de la réprobation se limite d'ordinaire à lever les yeux au ciel.


Je remonte dans le salon. Je vais jusqu'au bar, sors trois verres et le Calvados. Je les pose devant mon père et mon oncle, sers une bonne rasade.


—-Gentlemen, attention, y'a de la pomme ! Merci de ce que vous venez de faire.

— De rien ma Babou. C'est pour toutes ces fois où je ne t'ai pas soutenue alors que j'aurais dû.



* Oufti : interjection typiquement liégeoise (littéralement « ouf, toi ! ») totalement intraduisible et mettable à toutes les sauces.

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6 commentaires

Judith | Fyctia

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Il y a 5 ans

Bonjour Virginie ! J’ai lu les premiers chapitres de ton histoire et je viens te faire un retour les concernant ☺

Judith | Fyctia

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Il y a 5 ans

# Tu as un riche vocabulaire, surtout en ce qui concerne les dialogues que tiennent tes personnages. J’ai beaucoup aimé l’imagination dont tu as fait preuve pour certains de leurs échanges. Parfois, leurs phrases m’ont paru manquer un peu de virgules quand le ton devient majoritairement humoristique. En rajouter pourrait te permettre de conserver le rythme qui fonctionne déjà dans le reste de tes dialogues. J’espère que ces conseils te seront utiles et je te souhaite bonne chance pour la suite du concours.

Judith | Fyctia

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Il y a 5 ans

# Nous sommes rapidement immergés dans l’univers ésotérique que tu nous introduis : la présence de la wicca participe beaucoup à l’originalité de ton roman. Ton sujet semble correctement renseigné. Tu prends le temps d’installer ton décor et tes protagonistes aux caractères atypiques. C’est intéressant de découvrir des scènes de leur quotidien et tous les rituels qui rythment leur vie. Si les documents emmurés apparaissent rapidement dans l’histoire, ils sont ensuite éclipsés par d’autres aspects du roman. Je pense que tu gagnerais à leur accorder davantage d’importance, pour que ton histoire garde un développement régulier et que le lecteur ne risque pas de perdre certains détails de vue.

Marie Cappart

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Il y a 5 ans

Oufti!!! Tu vois bien que tes personnages t ont dit comment gerer cette peste d Angelique!

Marie-Eve Tries

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Il y a 5 ans

Oufti! tu as réussi à mettre oufti dans un roman! Ca sent Grivegnée... :P
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