VirginieG La Source et La Flamme Compter les bâtons 1.

Compter les bâtons 1.

— Mais...

— Ben ouvre ! Ou tu as peur que ce soit un coffret maudit ?

— Non mais vous avez fini, vous deux ? Bien entendu que je n'ai pas peur. Mais on a un mur à casser et des étançons à placer avant que toute la baraque ne nous atterrisse sur la gueule.

— Allez ! Juste 5 minutes !

— Bon, juste 5 minutes ! Mais je vous préviens, pour peu que le document, les documents soient anciens, je ne vais pas pouvoir les déchiffrer comme ça. Tu le sais bien, d'ailleurs, Sam ! Je suis historienne de formation, pas un personnage de Dan Brown. Si Robert Langdon est historien, je suis la reine d'Angleterre !


François se met à rire, à rire, tellement qu'il s'en tient les côtes, qu'il doit s'asseoir par terre, qu'il pleure...


— M'enfin, qu'est-ce tu as ?


Il retire ses lunettes, s'essuie les yeux du revers de la main, remet ses lunettes.


— Oh, trois fois rien, je t'imaginais en tailleur vert pomme avec un jardin sur la tête.


François rit de plus belle, presque couché à terre, agitant sa main droite dans une parodie de « Windsor wave », ce signe de la main si distinctif des royals britanniques.


— François Dubray ! Au coin ! Je vais raconter quoi, moi, à Murielle, si tu viens mourir de rire en plein milieu de la cuisine en travaux ? Puis tu veux que je les regarde, ces documents, ou merde ?

— C'est vrai, je venais de te demander de les regarder.


J'enlève mes gants de chantier et mes lunettes de protection. J'ouvre l'étui, qui renferme effectivement DES documents, des rouleaux de parchemin ou de papier. Les deux à première vue, parchemin et papier de chiffon. La différence, me direz-vous ? Hé bien le parchemin, c'est du cuir, c'est pour ça que ça se garde plus longtemps. J'attrape le rouleau au centre de la liasse. Là, c'est du papier de chiffon. Il se désagrège légèrement sur les bords. Malgré le masque anti-poussière, je sens cette légère odeur de moisissure qui est pour moi une véritable madeleine de Proust. Poussière, moisi, vieux papiers, les archives, le bonheur !

Je dégage donc doucement le rouleau. Ouch, en effet, ça ne va pas être de la tarte à déchiffrer, tout ça. L'encre de mauvaise qualité s'est oxydée, il y a des trous dans le texte et à première vue je ne reconnais pas la langue... Ah si, c'est du vieux français... Mais, mais, mais... C'est de la langue d’oïl ! Ah ça c'est surprenant, ici, au sud de la Loire. Par contre ça m'arrange, j'aurai le bon dictionnaire.

Oh, une date ! « Jour de la Saint-xxxien, an de grâce MCDXXXVIII ». 1438. La vaaaaaaache !


— C'est bien ce que je disais, ne vous attendez pas à des miracles. Les documents sont partiellement abîmés, c'est en vieux français, donc je n'aurai pas les mêmes automatismes qu'en latin. C'est de la gothique cursive. Je ferai de mon mieux, Sam connaît aussi un peu, mais on n'y échappera pas, il faudra compter les bâtons !

— Compter les bâtons ?

— Ben oui. Compter les bâtons. Pour voir combien il y a de jambages et de quelles combinaisons de lettres il peut bien s'agir. Bienvenue dans mon monde, Bro ! Bon, maintenant je vais ranger ça bien à l’abri et on continue à bosser. Ces papelards ont presque 600 ans, ils peuvent attendre quelques heures encore.

— Mais tu n'es pas un peu impatiente à l'idée de les déchiffrer ?

— Bien sûr que si ! Seulement, les travaux eux ne peuvent pas durer des mois. Et des mois, c'est peut-être ce qu'il me faudra pour comprendre ces documents, les mettre en contexte, faire des recherches. Pas du Dan Brown, quoi...

Nous reprenons les travaux, non sans plaisanter sur la probabilité de trouver en plus un talisman, un coffre de bijoux et de pierreries ou le fameux squelette du saisonnier.


Mais un malaise me saisit. Jamais, absolument jamais mes perceptions ne m'ont indiqué la présence de cet objet dans la maison. Pourquoi ? Est-ce la double épaisseur de brique, l'étui de cuir ? Autrefois, je ne percevais, à mon corps défendant, que les mémoires des objets que je touchais. Mais depuis les chants dans les feuilles, depuis que les prêtresses de la source, leur souvenir, s'étaient manifestées, depuis que nous avions retrouvé la fontaine, mes perceptions étaient devenues plus aiguës, plus affirmées. Ou était-ce la maîtrise du souffle qui me protégeait désormais ? Me permettait de ne m'ouvrir aux mémoires que lorsque je le souhaitais ?


Je suis interrompue dans mes pensées par des coups à la fenêtre de la cuisine. Dehors, Yolande fait de grands signes pour que nous sortions, agitant un sac manifestement rempli de victuailles.


— Coucou les travailleurs ! Je me suis dit que vous n'auriez pas le temps de préparer de quoi manger, donc, tadaaaaam, petites douceurs de la Désirade.

— Oh ma biche, c'est génial, tu es vraiment un amour !

— Je sais. Et ce soir, vous dînez à la maison. Popopop ! Pas question de refuser, ça mijote déjà !

— Ah. C'est à dire que ce soir, j'aurais peut-être bien des trucs à faire.

— Nan. C'est hors de question, j'ai dit.

— Mais Yolande, je te jure que c'est... enfin, c'est peut-être important.

— Plus important que mon gombo de poulet ? Jamais de la vie ! Puis tu viens de dire deux fois « peut-être », donc c'est que c'est pas si important que ça.

— Yolande a raison, Lizzie. Tu as dit deux fois « peut-être », elle a dit « gombo de poulet », y'a pas match ! D'ailleurs qui a fait remarquer tout à l'heure que ces documents avaient 600 ans et qu'ils pouvaient bien attendre un peu ? Ah ! Voilà !


Yolande nous regarde avec un air totalement ahuri ? Quels documents ? C'est quoi cette histoire ?


— On a trouvé un étui rempli de parchemins en cassant le mur.

— Quoi ? Mais... C'est une pochette surprise votre baraque ! Et Babou n'est pas déjà en train de s'user les yeux dessus ? Mais je crie au miracle !

— J'ai pas non plus super envie de me prendre la baraque sur la tronche et on casse un mur porteur, tu vois.

— Babou est raisonnable ! Babou est raisonnable ! Miracle, je dis !


François et Samuel éclatent de rire tandis que je tire la langue à Yolande dans un grand « pffffrrrrrrt ». Elle a raison, j'ai beau me retenir, jouer la raisonnable, j'ai furieusement envie de me réfugier dans mon coin pour me pencher les documents. Et d'abord voir s'ils sont datés, pour les classer. Le hic, c'est que si je me base sur le premier, examiné à la va-vite, la datation est faite par fêtes religieuses – ce qui est habituel, là n'est pas la question – et le nom du saint est illisible. Voilà une histoire qui commence bien...


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7 commentaires

Véronique Rivat

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Il y a 5 ans

Que cachent donc ces parchemins ? Le lecteur est tenu en haleine !

Phaenna SH.

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Il y a 5 ans

Ohh un parchemin mystérieux :), qu'est-ce qu'il renferme ?

Sand Canavaggia

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Il y a 5 ans

Voilà les chapitres que j'aime mais que je hais aussi...un côté humain fabuleux mais des trucs que je voudrais lire qui n'apparaissent pas, sur le parchemin par exemple, l'avantage je n'ai qu'à tourner la page, n'est ce pas ?🤩😊

Camille Jobert

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Il y a 5 ans

J'aime bien le côté historienne avec un don sensoriel (la petite touche de magie)

Alec Krynn

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Il y a 5 ans

Vite vite vite ! Je veux savoir ce que cachent ces parchemins !

Helen Mary Sands

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Il y a 5 ans

ces chapitres me donnent envie de relire le texte précédent !

Hermann Colette

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Il y a 5 ans

Vite... Continue ! On brûle de savoir !
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