Fyctia

Éméra était debout, vêtue de sa robe d’intérieur en soie verte, qui s'accordait parfaitement avec la couleur de ses yeux. Elle se tenait devant la fenêtre de sa chambre, qui lui offrait une vue imprenable sur toute la ville, éclairée par des lumières jaunes scintillantes. Si toutes les conditions avaient été réunies, elle se serait réjouie de cette vision spectaculaire. Mais là, toute seule, à se brosser machinalement les cheveux, ses pensées étaient ailleurs.

La mort de mes parents n'aurait pas pu tomber plus mal, se dit-elle le cœur lourd. Ils ont disparu juste avant que la guerre ne se déclare avec le Royaume de Rubis... Alors qu'ils tentaient uniquement de préserver la paix le plus longtemps possible ! Comment le Roi de Rubis a pu faire une chose pareille ? Tuer le Roi et la Reine d'Émeraude ! Elle se brossait de plus en plus vite et de plus en plus fort. Et comme la faute venait du Royaume d'Émeraude avec ces gardes qui ont volé des marchandises et tué le Prince de Rubis, c'est moi qui dois réparer les torts en offrant notre bien le plus précieux à ce Royaume de barbares...

— J'aurais voulu leur déclarer la guerre... Tout détruire et réduire la paix à néant... murmura-t-elle en laissant tomber ses épaules. Mais le devoir du Royaume d'Émeraude est de protéger la paix à tout prix, soupira-t-elle en secouant la tête. Est-ce que cela en vaut vraiment le coût ?

Et ce voleur de pacotille, Béryl. Comment a-t-il réussi un tel... exploit ? Voler le Parchemin du Souvenir ! Il va falloir que je garde un œil sur lui pendant le voyage... Il risque de vouloir s'enfuir et s'il comprend comment utiliser la Magie du Souvenir…

Éméra déglutit, réalisant soudain que cet inconnu avait réussi à assimiler une Magie Primordiale, sans aucun contrecoup. Normalement, les Magies primordiales ne s'assimilent pas comme ça... Parce qu'elles ne sont pas de simples magies : elles sont presque vivantes. Elles se nourrissent de leurs hôtes et conservent une part d'eux, même après leurs morts, se souvint-elle en repensant à ce que lui avait appris sa mère, lorsqu'elle lui parlait du Parchemin qu'elle-même avait absorbé. Le Parchemin de l'Amour.

Il avait été confié à Éméra lorsque les gardes partis à la recherche de ses parents étaient revenus... avec le corps de ces derniers. Éméra avait caché le parchemin à un endroit qu'elle seule connaissait, espérant ainsi le garder en lieu sûr. Jusqu'à ce que, à son tour, elle puisse elle-même assimiler la magie qu'il contenait.

Je divague, pensa-t-elle en secouant la tête. La magie que ce parchemin contient ne me sera d'aucune utilité... Je n'aime plus personne. Elle se détourna de la fenêtre, alla poser la brosse en ivoire dans son immense et magnifique salle de bain, puis se dirigea vers son lit. Un lit en baldaquin très grand, les bords couverts d'or et les draps vert émeraude. Mais quelqu'un frappa à sa porte avant qu'elle ne puisse s'y allonger.

— Qui est là ? demanda-t-elle en haussant la voix.

— C'est moi, le Chancelier Valdis ! lui répondit une voix étouffée.

Éméra soupira. Elle était fatiguée après avoir passé la journée à préparer son itinéraire de voyage avec les soldats d'élite que Valdis lui avait envoyés. Que fait-il là ? Je n'ai aucune envie de lui parler...

— Qui a-t-il ? questionna-t-elle sans ouvrir la porte.

— Puis-je entrer ? J'aimerais vous dire quelques mots concernant votre voyage vers le Royaume de Rubis.

Éméra leva les yeux au plafond. Puisqu'il est ainsi... terminons-en au plus vite.

— Entrez !

La poignée de la porte s'inclina et le Chancelier entra, toujours vêtu de sa toge violette. Ses yeux bleu-gris et son crâne chauve ne lui rendaient pas hommage, mais depuis qu'elle le connaissait, Éméra savait qu'il était une personne efficace et sûre.

— Bonsoir, Princesse Éméra. Vous êtes très en beauté, ce soir.

— Allons droit au but, voulez-vous ?

— Très bien, souffla-t-il. Dans six mois, vous reprendrez les rênes du gouvernement lorsque sonnera l'heure de vos vingt-et-un ans. Êtes-vous prête ?

— Ce n'est pas encore là...

— Le temps passe à une vitesse... vous n'imaginez même pas.

Une lueur étrange éclaira un instant les yeux du Chancelier. Éméra ne sut dire ce que c'était, mais elle avait un étrange pressentiment au creux de son ventre. Elle ouvrit la bouche pour demander au Chancelier ce qu'il entendait par là, mais elle se ravisa. Pour le moment, c'est lui qui commande...

— Vous avez raison. Je ne peux pas vous répondre maintenant, je suis encore troublée par...

Éméra ne put terminer sa phrase. Elle pensait être assez forte pour le dire à présent, mais comme lorsque le voleur lui avait demandé s'il y avait des tensions dans le royaume, elle ne put tout à fait répondre.

— Je comprends, ne vous en faites pas, la rassura le Chancelier. Ce voyage vous préparera : responsabilité, danger, diplomatie, politique. C'est tout ce dont vous avez besoin pour bien gouverner... avec un peu de sagesse et d'écoute, bien sûr !

Éméra se contenta d'hocher la tête. Il devient gâteux. J'ai déjà entendu ça des dizaines de fois.

— Trois mois de voyage dans une nature sauvage, c'est ce qui vous attend, reprit-il avec un ton plus dur. Vous devrez traverser une vallée où certains rapports mentionnent une wyverne, et des marais où une sorcière obscure semble avoir élu domicile... sans oublier les demi-humains, qui vous tendront...

— Je sais tout ça ! le coupa-t-elle. J'ai déjà planifié mon itinéraire avec les soldats que vous m'avez envoyés.

Valdis esquissa un sourire machiavélique, une demi-seconde avant de le changer en une mine rassurée. Éméra resta bouche bée. Est-ce que je deviens folle ? Je dois être plus touchée que ce que je pensais par la perte de mes parents...

— Parfait. J'espère que tout ira bien pour vous. N'oubliez pas, dans une semaine, le jour du départ sonnera pour vous !

Quelque chose de prophétique résonna dans les paroles du Chancelier tandis qu'il quittait la chambre. Éméra déglutit. Peut-être qu'à cause du traumatisme, j'ai tendance à voir des menaces partout ? C'était déjà le cas avec les habitants de la ville il y a quelques jours... J'avais l'impression qu'ils allaient se ruer sur moi pour m'assassiner, songea-t-elle, le cœur battant. La gorge serrée, les larmes aux yeux, elle secoua la tête pour chasser ces sombres pensées.

Elle se dirigea vers la porte, la ferma à clé. Puis, tourna les talons et tituba jusqu'à son lit, où elle s'écroula. Elle leva l'épaisse couverture et se recroquevilla sur elle-même. Fermant les yeux, elle s'imagina ses parents à côté d'elle, la rassurant sur les épreuves à venir.