Fyctia
Le jour du Mariage
Le jour est arrivé. Le grand jardin du château est recouvert de monde, particulièrement d’aristocrates très fortunés et de quelques domestiques qui se tuent à servir tous les plus exigeants. Tout le monde est si bien habillé ; chaque personne a l’air tellement heureuse d’être présente aujourd’hui, joyeuse de cet atroce évènement.
Je suis debout, face à ce même miroir bordée d’or. La robe est magnifique, mais elle semble, à mes yeux remplis de chagrin, telle une meringue dont la moisissure a grignoté quelques parts sucrées. Je soupire et ferme les yeux : aujourd’hui, je vais épouser le Prince Léon ; aujourd’hui, je vais vivre mon pire cauchemar. A cette réflexion, ma gorge se serre un peu plus à travers cette horrible souffrance. Fuir… Partir… Je veux partir… Loin…
Je me dirige vers la fenêtre, m’appuie sur le rebord par mes mains tremblantes et contemple les horizons meublés de quelques habitats et décorés de magnifiques verdures. Je m’imagine, parmi ces immenses champs verts et ces forêts infinis, courir en toute liberté, pieds nus, corps peu vêtit et l’âme totalement acquittée de tout fardeau. Je me vois ensuite m’adosser à un arbre puis m’écrouler sur l’herbe fraiche d’un beau printemps, écouter la mélodie de la nature et savourer à la douce brise parsemée d’une légère chaleur et d’un parfum divin.
Ce serait le rêve. Et cela semble être une utopie. La réalité est telle : je vais me marier à un monstre et je serai, à jamais, enfermée sous ses ordres. Adieu le reste de libertés que je dégustais. Adieu vie de jeune fille rêveuse.
- Êtes-vous prête, ma fille ? S’enquit mon père en entrant dans la pièce.
Je me retourne vers lui dans un léger sursaut, surprise par sa soudaine présence et étrangement apeurée que ce dernier me surprenne en train de rêvasser.
Je hoche la tête en signe de réponse et esquisse un sourire crispé.
Un petit rictus étire ses lèvres asséchées.
- Allons, ma fille, ne soyez pas angoissée, tout va bien se passer, tente-t-il de m’assurer.
« Tout va bien se passe » ; tout se passera absolument mal.
- Allez, finissez de vous préparer, et vite, la cérémonie commence d’ici quelques minutes.
Je secoue la tête. Il esquisse un timide sourire avant de repartir, sans rien dire d’autre. Je le regarde s’éloigner et disparaître vers les couloirs, la peine de plus en plus grandissante.
- Laissez-moi arranger un peu votre coiffure, souffle Lena, et votre valet vous accompagnera jusqu’à la cérémonie.
Je ne lui réponds rien et me laisse faire tripoter les cheveux par les doigts de fée de la couturière. Les yeux rivés au sol, je ne cesse de penser à mes rêves, à cette envie accrue de liberté, ce désir de goûter à la nature et, peut-être, à un amour, un vrai.
Lorsque j’étais petite, mes parents me racontaient beaucoup de contes de princesse. Beaucoup d’entre elles – si ce n’est pour dire toutes – finissent dans les bras de l’homme de leur rêve. Elles vivent un amour grandiose, une idylle qui donne envie de goûter aux beautés de la passion. Pourquoi ne puis-je pas savourer à cette immensité ? Je suis une princesse, après tout… Et je n’ai pas de prince charmant… Si ce n’est que cet ingrat de Léon.
Je secoue la tête, sortant subitement de mes pensées : pourquoi suis-je aussi niaise ? Les histoires d’amour n’existent pas. L’amour n’existe pas. C’est une utopie, comme la liberté.
- Venez avec moi, me dit le valet en tendant sa main vers la mienne.
Je le regarde droit dans les yeux, durant quelques secondes, comme si une soudaine surprise m’avait pétrifié.
J’esquisse un sourire crispé avant de prendre la main de mon vieux valet. Je m’approche un peu plus vers lui et accroche mon bras avec le sien. Nous avançons doucement dans les couloirs. La peur monte de plus en plus. La souffrance fleurit encore et encore. La peine me mord. La tristesse me ronge. Le chagrin me donne envie d’en finir, là, maintenant, d’abandonner cette vie misérable de pauvre princesse malheureuse.
Ma respiration se saccade par un sanglot muet. Je sens mon cœur battre dans une sombre folie. Mes membres tremblent. Je n’ai pas envie… Je n’ai pas envie de lui… Rien qu’à l’imaginer en train de me donner un baiser sur mes lèvres frémissantes me tressaillit de frissons désagréables.
Nous nous approchons de la sortie. Je l’aperçois au loin, debout, le dos droit, la tête haute, l’allure fière. J’ai envie de vomir tant mon estomac est noué dans la crainte. J’ai envie de m’évanouir tant les vestiges sont persistants. J’ai envie de mourir tant mon cœur bat dans une étrange frénésie.
Un pas sur le tapis rouge. Les yeux sont rivés sur ma personne. Je tremble de plus en plus. Mon regard est bloqué sur les horizons présents derrière le cardinal. Ma respiration est de plus en plus forte et courte. Je sens les larmes monter au fur et à mesure que j’avance sur ce chemin de velours. Je veux partir… Fuir… Loin…
Quelques pas de plus et j'arrive auprès du Prince Léon et du Cardinal Aurel.
Malgré les cheveux blonds et flamboyants de Léon, cette impressionnante clarté ne le rend pas plus beau; cela exagère même sa grande laideur.
Je déglutis et baisse la tête. La cérémonie commence par un chant religieux où la foule jubile de cette triste mélodie. Tout le monde chantonne les paroles en latin, sauf moi, qui reste bouche bée, les yeux rivés sur la sorte d'autel.
Célébrer le mariage n'était pas une idée venant de moi, mais de Léon: il trouvait cela plus joyeux de louer ce mariage dans un environnement exaltant et brillant de milles beautés, tandis que l'église ressort une image plus sombre d'une quelconque fête selon lui; pour une fois, j'étais en accord avec sa vision.
Néanmoins, même la douceur de la nature n'arrive à consoler mes peines. Je me retiens de pleurer, de sangloter, de crier ma tristesse. Je me retiens de courir, de fuir, partir loin de ce cauchemar. Je me sens de plus en plus oppressée, de plus en plus enfermée dans une cage où torture et mort m'attendent sournoisement.
Ces deux heures de mariage me semblent être une éternité. Je sens les nuages obscurs envahir de plus en plus mon âme et nourrir une sorte de soif pécheresse qu'est de transgresser une certaine loi royale, comme si ce semblant de rébellion allait me libérer, me sauver: cette loi est celle de réveiller le grimoire maudit.
3 commentaires
LilyW
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Il y a 9 ans
Chewie
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Il y a 9 ans
MartinDB
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Il y a 9 ans