Fyctia
Morgan : Cinq ans plus tôt.
Quelque part en mer.
Le pont sentait le poisson pourri, l'urine et les déjections. Cela faisait six jours que les matelots n'avaient rien pêché. Le filet s'était déchiré pendant la tempête, les pièges à crabes avaient été emporté au loin et ils étaient à cours d'hameçons. L'eau manquait cruellement. Il ne restait plus qu'une seule citerne pour l'ensemble de l'équipage. En revanche, les barils de vin et de rhum avaient survécu aux conditions climatiques.
— Ça pue ! hurla le capitaine. J'ai l'impression de baigner dans la bouse !
Il longea le pont de long en large bousculant les matelots endormis. Un frottement énergique vint résonner à ses oreilles.
"Toujours les mêmes qui travaillent, pensa-t-il en observant un adolescent frotter le plancher à la brosse."
— Par moments je me demande ce que je ferais sans toi Morgan.
Le jeune homme lui sourit en essuyant des gouttes de transpiration et l'observa s'éloigner.
— Arrête voir deux secondes l'orphelin ! répliqua un mousse au départ du capitaine. Tu nous fais passer pour des incapables !
— T'as qu'à t'y mettre plutôt que de rester assis à renifler ta merde, maugréa Morgan.
Le moussaillon, vexé, attrapa le seau d'eau crasseuse et le déversa sur la tête de l'adolescent. Morgan se releva en furie et fracassa sa brosse sur la tempe du matelot qui tomba à terre. Il le toisa un long moment avant de lui tendre la main pour l'aider à se relever.
— Occupe-toi de ta partie du bateau et laisse moi m'occuper de la mienne tu veux ? dit-il sur un ton calme. J'ai pas l'intention de vivre une journée de plus sur cette poubelle flottante.
— Alors barre-toi ! Personne te force à rester. Retourne faire la potiche sur terre et laisse la navigation aux vrais hommes !
Morgan s'éloigna sans sourciller et partit remplir son seau. Il plongea la brosse dans l'eau salée jusqu'à faire disparaître les traces de sang.
Le capitaine lui fit signe de le rejoindre. Il passa un bras autour de l'épaule du garçon.
— Tout va bien ? lui demanda-t-il sur le ton de la confidence.
"Non ça va pas, songea Morgan. Ça fait douze ans que je navigue sur ce rafiot pourri."
— Ça va, se contenta-t-il de répondre.
— L'équipage peut être blessant parfois.
— Je me moque de ce qu'ils racontent.
Morgan n'avait jamais été un enfant modèle, loin de là. Depuis son abandon à sa naissance il n'avait cessé d'être ballotté d'une famille à l'autre. D'abord accueilli par les nonnes au sein d'un couvent, l'Apocalypse avait changé la donne. Elles l'avaient aussitôt confié contre bons soins à des marchands. Dès lors, la vie de Morgan, plutôt paisible, avait basculé du tout au tout. Ils avaient fait de lui leur monnaie d'échange, parcourant le monde à bord de leur navire à la recherche de vivres et d'armement. Dès qu'il fut en âge de travailler, il échangèrent ses services contre du matériel de survie, de la nourriture et de l'alcool. Mais les marchands n'avaient pas fait une si bonne affaire. Morgan était désinvolte et capricieux, très souvent fugueur. Il ne supportait pas l'autorité et ses familles d'accueil se plaignaient souvent de son travail et de son attitude. Les marchands comprirent vite que le garçon était plus un fardeau qu'une bénédiction.
A onze ans, Morgan passait un accord avec le capitaine. Il acceptait de se résigner à condition qu'il touche un pourcentage sur le travail accompli et qu'il obtienne sa propre chambre sur le bateau. Le culot du garçon avait beaucoup plu au capitaine qui avait accepté ses conditions sous les râles de l'équipage plus âgé. Désormais, Morgan était un membre à part entière et partageait les mêmes rétributions et les mêmes tâches que le reste des marins. En dehors de son sale caractère, il était un bon élément, travailleur, compétent et malin.
Le navire accosta en soirée sur le petit port de Xiland en vue de réapprovisionnement. Morgan fut charmé. A l'inverse des nombreuses îles à l'allure de décharges publiques, Xiland était parfaitement entretenue. Les bâtisses semblaient stables, la plage était débarrassée de ses déchets, la flore paraissait intacte et il y régnait un calme olympien. Des hommes, tout de noir vêtus, vinrent à leur rencontre. Les gardes les démunirent de leurs armes avant de les conduire dans la cabane du gouverneur.
Morgan observa les habitants, certains méfiants et d'autres ravis d'avoir de la compagnie. Il abandonna le capitaine à son devoir et entreprit de faire le tour de l'île. Depuis l'éclipse, il n'avait jamais revu d'endroit aussi beau et préservé. Ici, les habitants ne se chamaillaient pas quelques mètres carrés de terres. Tous semblaient vivre en parfaite communauté, chacun apportant sa pierre à l'édifice.
Au nord de l'île, derrière les collines, de grandes étendues de champs étaient en plein labourage.
"Quelle organisation militaire, pensa Morgan."
Il s'imagina un instant délaisser à jamais le navire et son capitaine pour s'installer en ces lieux paradisiaques. La vie à bord du Léviathan lui donnait la nausée et le déprimait chaque jour un peu plus. Cependant, il ne connaissait rien de Xiland et de ses coutumes. Malgré son attirance pour l'île, il savait une chose : le paradis peut parfois cacher un véritable enfer. Et rien ne laissait supposer qu'une présence étrangère serait la bienvenue au sein de la communauté.
La nuit commençait à tomber. Il jugea préférable de rejoindre le village avant de se perdre dans les bois. L'île était beaucoup plus grande que ce qu'il avait imaginé. Il tourna en rond deux bonnes heures avant de repérer un sentier.
"Mince, un cul-de-sac, jura intérieurement Morgan."
Il sortit une lampe torche de son veston qui s’éteint aussitôt après s'être allumée.
— Ça continu, grogna-t-il, plus de batterie.
Un craquement le força à se retourner. Muni de son poignard, il plissa les yeux lorsqu'il distingua une silhouette dans le noir. Il balaya l'air de son arme comme pourfendeur de territoire.
— Doucement cow-boy ! répondit une voix féminine en s'approchant d'un pas assuré. Tu es perdu ?
Une vive lumière éclaira la forêt et la jeune fille orienta sa torche vers le sol pour ne pas l'éblouir.
— Ça se voit tant que ça ? répondit Morgan en dévisageant son interlocutrice.
A défaut d'être aveuglé par la torche, il fut saisit par l'éclat de ses long cheveux blond, brillant tel de l'or au soleil.
— Je m'appelle Kiara.
— Morgan. Tu peux m'aider à rejoindre le village ?
— Ça dépend, minauda-t-elle. Tu m'offres quoi en échange ?
Morgan fronça les sourcils. Il attrapa une petite fleur défraîchie et la lui tendit.
— Je voulais t'offrir le soleil mais il semblerait que tu l'ais déjà dans tes cheveux, dit-il sur un ton charmeur.
Kiara pouffa de rire. C'était la déclaration la plus grotesque qu'elle n'avait jamais entendu.
— Merci pour le cadeau, dit-elle en passant à côté de lui sans y toucher. Mais tu aurais mieux faisde m'offrir le soleil plutôt qu'une plante toxique.
Morgan lâcha aussitôt la fleur et la suivit au pas de course.
C'était décidé.
Il ne repartirait pas à bord du Léviathan.
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Alexa Marcus
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Morganou
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CaroWritings
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Isaure DV
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Il y a 8 ans