Fyctia

Après autant de surprises accumulées depuis la veille, Sarah est à peine étonnée d’entendre le professeur affirmer avoir plus de cent années. Au contraire, elle profite des dernières informations acquises pour pousser l’audace au maximum.

— Heureuse de savoir que la magie permet d’éviter les rides, lance-t-elle avec ironie. Puisque vous voulez m’aider, puis-je vous demander quelque chose d'étrange ?

— Faisant suite à ma promesse, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous aider. Quelle est votre demande ?

— Récemment, j’ai pu mettre la main sur un livre intitulé Codex Tenebris. Possédez-vous un ouvrage équivalent ?

Le visage du mage prend un air à la fois stupéfait et effrayé. Nerveux, il observe Sarah comme si un monstre se dressait devant lui.

— Pitié, dites-moi que vous n’avez pas accédé à cet ouvrage maléfique ?

— Je mentirais si je vous disais que non. J’ai son contenu entier dans ma tête.

La frayeur sur les traits de l’homme s’intensifie. Son corps tremble à présent fortement et il peine à reprendre la parole. Un instant, il pose même ses doigts sur son pendentif, hésitant à utiliser sa magie pour fuir la menace. Heureusement, Sarah lève alors les mains devant elle en signe pacifique.

— Ne vous inquiétez pas, j’arrive à maîtriser les pulsions présentes dans mon esprit. Je ne pourrais vous dire comment, mais je sens que c’est le cas. C’est aussi pourquoi je vous ai posé cette question. J’ai l’impression que cela me permettrait d’atteindre un équilibre.

— Vous êtes cinglée ! éructe l’homme. Toute cette magie risque de vous consumer en quelques secondes.

— Peut-être. Cela vous libèrerait alors de votre promesse. Cet ouvrage existe, oui ou non ?

Paniqué, Adrien fixe son bureau d’un regard hagard, comme s’il s’attendait à voir surgir une nouvelle menace. Tournant son regard pour suivre le sien, Sarah comprend que sa réponse se trouve à seulement quelques mètres d’elle.

— Il est ici ? demande-t-elle d’une voix autoritaire.

N’obtenant pas de réponse, elle se dirige d’un pas décidé vers le meuble occupant une bonne partie de la pièce. Fait d’un bois massif et n’affichant aucun tiroir, l’adolescente comprend que l’objet qu’elle convoite est placé à l’abri des regards. Frustrée, elle fixe intensément le professeur, consciente de la flamme qui s’allume dans son esprit avec sa montée de colère.

— Ne m’obligez pas à détruire ce magnifique mobilier pour en soutirer le secret qu’il garde. Je sais que je n’ai que quelques mots à dire pour le réduire en copeaux !

— Non ! Le Codex Luminaris réagira à la magie noire et c’est toute cette école qui risque d’y passer. Je consens à vous le remettre, mais je ne suis pas responsable des conséquences. Ma seule requête est que vous ne sortiez pas de ce bureau avec cet ouvrage.

— Et pourquoi donc ?

— Car en dehors de cette pièce, vous serez exposée aux regards et la magie ne doit pas être pratiquée à la vue de tous. Le fait que vous ignoriez cette règle de base est d'ailleurs très inquiétant.

— Disons que je suis nouvelle dans cet univers. Montrez-moi le Codex et ensuite je vous promets de vous laisser tranquille.

Résigné, le mage s’avance d’un pas incertain et passe les mains sur la surface du meuble. Celle-ci devient alors vaporeuse, révélant une niche dans lequel un livre à la couverture dorée brille malgré l’obscurité régnant dans la pièce. Admirative, Sarah observe l’objet avec attention avant de glisser ses doigts délicatement sur lui.

Aucun phénomène inattendu, voilà un bon départ.

Fébrile, elle l’ouvre lentement. À sa grande surprise, une page blanche se révèle à son regard avide de connaissances. D’un doigt elle tourne une, puis deux, puis trois pages. Toujours rien. Sentant sa colère revenir et monter en puissance, elle lève la tête en direction du mage qui l’observe sans bouger.

— Ce livre est vide ! explose-t-elle avec force. Vous me prenez pour une idiote ?

— Je ne sais pas comment la version obscure de cet ouvrage fonctionne, mais sachez que ce livre possède sa propre volonté. Il ne révélera son contenu qu’à une personne jugée apte à en saisir l’essence. Il n’y a rien que je puisse faire pour vous aider, je regrette.

— Donnez-moi votre pendentif ! ordonne Sarah en tendant la main.

— Cela ne vous aidera pas, croyez-moi. Demandez-vous ce qui vous pousse à vouloir acquérir ces nouvelles connaissances. Visualisez dans votre esprit les motivations qui vous poussent à vouloir intégrer le pouvoir de la lumière.

Furieuse, Sarah songe à déchaîner sa rage contre le Codex, mais cette nouvelle voix en elle raisonne une fois encore.

« Tu dois te calmer et réfléchir. Parfois, la force ne suffit pas. Que cherches-tu ? »

La poitrine douloureuse des suites du feu qui brûle en elle, Sarah s’arrête un instant pour réfléchir. Avec de profondes respirations, elle parvient à réprimer sa colère et sent les flammes s’estomper. Soulagée, elle fixe le Codex intensément et se concentre sur un objectif qu’elle juge noble.

— J’ai besoin de ces connaissances pour équilibrer mon esprit, prononce-t-elle tout haut. J’ai peur des conséquences de la présence de toute cette magie obscure en moi. Je ne veux pas devenir un monstre aux yeux des personnes qui comptent pour moi.

À ces mots, le livre brille soudainement de mille feux. Au plafond, toutes les ampoules brisées se reconstituent en quelques secondes et une lumière intense baigne bientôt la pièce. Les lattes aux fenêtres qui bloquaient les rayons du soleil deviennent aussi translucides qu’une eau pure. Enveloppée par toute cette lumière, Sarah pose à nouveau son regard sur les pages vierges.

Les caractères apparaissent alors, tracés à l’encre dorée. Illisibles au départ, les symboles deviennent des mots, puis des phrases. Les traits insensés deviennent des dessins illustrant les sorts. La pièce close devient alors un grand espace infini, comme si Sarah flottait sur un nuage trônant au-dessus du monde. Pendant ce qui lui semble être des heures, les connaissances défilent dans son esprit à une vitesse vertigineuse, accélérant le rythme de son cœur à un point tel que ses côtes lui font mal.

Témoin de cette scène improbable, Adrien observe avec attention l’adolescente en transe au-dessus du codex. Lui-même a pu voir dès son ouverture les caractères dorés remplissant ses pages, mais jamais il n’aurait pensé que l’ouvrage se serait ainsi révélé à une adepte de la magie noire. Incrédule, il observe sans bouger le corps maintenant tremblant de Sarah.

Au bout d’un moment, il perçoit ses yeux se révulser dans leurs orbites, provoquant une vive panique dans son esprit déjà enflammés par les derniers événements.

« Si elle continue, la magie va la dévorer ! », s’exclame-t-il intérieurement.

Désirant lui éviter la mort, il bondit vers elle pour briser son contact avec le livre, mais une force invisible le repousse alors avec violence. Projeté contre la bibliothèque, il voit un voile noir descendre et le traîner dans l’inconscience.

Le codex se referme alors brusquement.