Fyctia
20-Codex Tenebris
Sarah fixe l’ouvrage à la couverture sombre depuis plusieurs minutes, hésitante.
Pour la première fois de sa vie, elle a l’impression d’avoir sur ses épaules ces deux matérialisations de sa conscience : l’ange et le démon.
Le premier la supplie de repousser le livre ancien, suggérant que son contenu allait détruire sa vie.
Le second, plus intrépide, lui hurle de profiter de cette chance offerte par la providence pour enfin prendre le contrôle sur son destin.
Force est d’admettre que le démon sait se montrer très convaincant. En quelques secondes, elle n’entend plus que lui. Étourdie toutes ses promesses d’un meilleur avenir, elle pose les mains sur le codex.
« Est-ce de la peau humaine ? » songe-t-elle alors que ses doigts caressent la surface craquelée de l’ouvrage.
À la fois craintive et fébrile, elle glisse l’index sous la couverture et tente de l’ouvrir. À sa grande surprise, le lourd tome se soulève sous l’effet de la force appliquée sur sa tranche, comme si de la colle maintenait ses pages à l’abri de son regard. Utilisant à présent ses deux mains, le livre appuyé sur les cuisses, l’adolescente utilise toute sa force pour tenter de l’ouvrir.
Rien à faire.
Frustrée, Sarah sent une envie soudaine de lancer l’objet récalcitrant contre le mur. Un coup d’œil vers l’âtre du magnifique foyer à l’extrémité de la pièce lui suggère même de l’incinérer, action appuyée par l’ange imaginaire sur son épaule.
Aux prises avec cette colère intérieure, elle remarque presque par miracle la minuscule épine au centre de la couverture. Placée au milieu d’un cercle imparfait, à l’image du pendentif d’obsidienne pendu au cou des sorcières sur le tableau, cette protrusion acérée l’appelle. Sans réfléchir aux conséquences, elle pose sa main sur la chose.
La pointe perce ainsi sa chair, faisant perler une goutte de son sang.
Aucune douleur. Voilà le premier constat dans l’esprit de l’imprudente.
Aucune trace de sang sur la couverture lorsqu'elle retire sa main. Second constat.
Rien ne se passe. Troisième et dernier constat, le plus désagréable selon elle.
Puis vient la noirceur.
Certes, la pièce était déjà plongée dans la pénombre, profitant seulement de la faible lueur de la lune comme éclairage jusque-là. Or, l'enveloppe des tébèbres est maintenant totale.
Privée de la vue, Sarah entend néanmoins le son sourd d’un lourd volume déposé sur une surface dure. Elle prend alors conscience de l’absence du codex sur ses cuisses. Le bruit de pages feuilletées frénétiquement parvient alors à son ouïe exacerbée par le retrait de l’un de ses sens.
« Qui tournent les pages ? » se demande-t-elle en silence.
Avant qu’elle puisse poursuivre son questionnement intérieur, un tourbillon de symboles envahit son esprit. Couleur de sang, les traits apparaissent, se mélangent et tournoient dans tous les sens dans sa tête. Pendant un bon moment, le phénomène se poursuit jusqu’à la rendre nauséeuse. Lentement, cette sensation évolue toutefois en une impression de bien-être.
Sarah n’a aucune idée du temps qui passe, mais le sentiment donne bientôt naissance à un plaisir.
Que dire une extase.
Elle sent la connaissance pénétrer son esprit et cela la fait vibrer de bonheur.
Le pouvoir.
Dans sa tête, les symboles mystiques s’ordonnent et forment des textes dans une langue qui lui était jusque-là inconnue. Pourtant, elle en comprend maintenant le sens et les subtilités. Tout est si clair !
Voilà qui est ironique quand on se trouve plongée dans l'obscurité la plus totale, non ?
Enivrée par cette magie qu’elle découvre, l’adolescente en transe oscille sur le canapé au rythme des vagues qui bercent son esprit. Elle n’a plus conscience de son propre corps, perdue dans les méandres du nouvel avenir qui lui est promis sur un plateau doré.
Devant son corps à présent inerte, le livre se ferme brusquement.
Dans la pièce, la lueur de la lune reprend ses droits sur notre monde.
Sur le fauteuil, tel un mort-vivant, Sarah reste immobile, sa poitrine s’élevant à peine avec chacune de ses faibles respirations. Les mains posées sur ses genoux, elle regarde droit devant, mais ses yeux ne perçoivent pas le monde qui l'entoure.
Tout ce qu’elle voit, se sont les symboles maintenant gravés dans son esprit.
Dans la poche de son pantalon, une vive chaleur menace de lui brûler la peau, mais elle ne la ressent pas. Pour la première fois de sa vie, elle a la ferme conviction de pouvoir prendre en main son destin.
Une nouvelle voix en elle lui suggère de sortir dès maintenant tester cette nouvelle force qui l’habite, mais il demeure cette petite étincelle de bon sens quelque part qui lui suggère de faire attention.
Faisant le tri dans toutes ces nouvelles connaissances qui l’habitent, l’adolescente a toutefois choisi un sortilège parmi la panoplie offerte : l’invocation de l’âme d’un défunt.
Elle doit absolument parler avec sa grand-mère.
Samarah.
Voilà si longtemps qu'elle n'a pas entendu ce nom si joli à seulement deux lettres du sien.
Un ronflement la ramène soudainement à la réalité. Étourdie, elle peine à reprendre contact avec la réalité, croyant même avoir rêvé.
La table vide devant elle confirme son doute.
« Le codex ne s’y trouvait-il pas à mon arrivée ? » pense-t-elle.
Des images sombres surgissent alors dans son esprit. Derrière chaque scène, un texte incompréhensible écrit en lettres de sang la laisse perplexe, voir même effrayée. Lentement, elle sent néanmoins le sommeil la gagner et glisse de tout son long dans le confort moelleux du fauteuil.
Quelques secondes plus tard, les ronflements de l’adolescente se mélangent à ceux d’Ava. Dans le ciel, la lune brillante a déjà amorcé sa descente, ne leur laissant que quelques heures avant que majestueux soleil ne vienne réchauffer leur monde et chasser les ténèbres berçant leur repos.
Dans la poche de Sarah, ignoré de sa propriétaire depuis un moment, le médaillon pulse au rythme des battements de son cœur. Dégageant une faible lueur violacée, l’objet reste invisible, bien caché derrière l’épais tissu le recouvrant. Insensible à sa douce chaleur en cet instant, sa porteuse n’est consciente de rien, mais il continue d’agir.
Sur le mur, au-dessus de l’âtre, une horloge agrémente l’ambiance de son tic-tac régulier. Personne de la regarde, mais ses aiguilles indiquent enfin le moment fatidique.
3h33
L’heure où la frontière avec le monde des esprits est la plus fine.
Celle où les ombres peuvent passer entre les mondes.
Autour de Sarah, l’air se charge d’énergie comme chaque nuit, mais sans plus.
3h34
Les pulsations cessent sous le vêtement de la jeune endormie. Lentement, la chaleur sur sa peau s’estompe avec elles. Dans sa tête, une voix mélancolique résonne, écoutée seulement par son inconscient.
« Très bientôt tu seras prête chère enfant. Ne te laisse pas emporter par leurs promesses et tout ira bien. »
25 commentaires
Lyaure
-
Il y a 2 ans
cedemro
-
Il y a 2 ans
La Plume d'Ellen
-
Il y a 2 ans
Sylvie Marchal
-
Il y a 2 ans
cedemro
-
Il y a 2 ans
Gottesmann Pascal
-
Il y a 2 ans
cedemro
-
Il y a 2 ans
Mylee R.
-
Il y a 2 ans
cedemro
-
Il y a 2 ans
FleurDelatour
-
Il y a 2 ans