Fyctia

« Si, une seule. »

Apprendre qu’Ava a déjà tué, même une seule fois, donne l’effet d’un coup de poignard à la pauvre Sarah. Figée, elle observe une fois de plus la jeune femme avec une expression horrifiée. Consciente de l’effet qu’auraient ses paroles, Ava poursuit sans même attendre une réponse.

— Ne panique pas, suggère-t-elle d’une voix calme et posée. Si j’ai dû en arriver là, c’était pour éviter la souffrance à une personne innocente.

— Cela n’excuse pas ton geste, tu le sais bien ! s’insurge l’adolescente. Un meurtre reste un acte terrible à commettre !

— Tu as raison. Surtout quand il est commis contre sa propre mère.

Cette fois, Sarah a l’impression de sentir tous les muscles de son corps devenir aussi solides que du roc. Dans sa poitrine, ses poumons et son cœur s’unissent dans leur inaction, provoquant une panique aussi vive que profonde chez leur hôte. En quelques secondes, elle sent la pression dans sa tête menacer de la faire exploser.

Percevant la détresse de son amie malgré sa cécité, Ava bondit de son siège et s’agenouille devant elle, ses mains saisissant ses épaules et agitant son corps statufié par l’émotion.

— Sarah ! Reprend tes esprits ! Ce que j’ai fait est impardonnable, mais je ne voyais pas d’autre solution pour t’acheter un peu de temps. Après ta grand-mère, ma mère allait s’en prendre directement à toi. Ce n’était qu’une question de temps.

Brassée dans tous les sens par les gestes frénétiques de sa compagne de route, Sarah sent une nouvelle vague d’énergie venir délier ses muscles et provoquer une profonde et douloureuse inspiration. Rassurée, Ava s’interrompt, son corps oscillant dangereusement sous l’effet de l’épuisement qui l’envahit. Étourdie, elle s’accroche à la voix faible de Sarah qui lui parvient à l’oreille.

— Pourquoi ne m’a-t-elle pas tuée en même temps que ma mère si c’est ce qu’elle voulait faire ?

— Ma mère avait effectivement l’intention de tuer la tienne, mais elle est arrivée trop tard selon ses propres paroles.

— Comment as-tu pu croire ses paroles sachant qu’elle a tué ma grand-mère !? s’insurge Sarah, la voix remplie d’une colère brûlante.

— Le soir où ta mère est morte, ma mère se trouvait près de chez toi. Selon ses dires, une force magique l’a violement happée avant de plonger une bonne partie de la ville dans la noirceur. Sa convalescence a duré plusieurs mois, car elle se sentait vidée de ses pouvoirs. Ce n’est que plusieurs années plus tard, après de nombreuses recherches, qu’elle s’est remise à ta poursuite, visiblement très craintive.

— De quoi avait-elle peur ?

— De toi, Sarah. Ou plus précisément de ce médaillon léguer par ta grand-mère.

— Pourquoi l’avoir tuée puisqu’elle n’osait pas m’affronter ?

— Cela allait venir. Pendant des années, elle a invoqué la noirceur dans ton esprit pour t’affaiblir et te faire craindre ce qu’elle croyait être la source de ce pouvoir mystérieux qui l’a terrassée cette fameuse nuit. Dis-moi, Sarah, les ombres t’ont-elles ne serait qu’une seule fois fait du mal ?

Intriguée par les propos d’Ava, l’adolescente prend un instant pour se remémorer tous ses souvenirs les plus difficiles. Certes, la perte de sa mère fut le pire événement qu’elle ait eu à vivre, mais jamais les ombres ne l’ont attaquée, elle. L’esprit confus par cette réalisation, elle fixe son amie d’un regard incrédule. Sensible à l’émotion qui envahie Sarah, Ava pose les mains sur les siennes et la fixe sans la voir réellement. Elle attend une réponse qui tarde à venir et décide de poursuivre.

— Pendant presque sept ans, ma mère a tenté de contrôler ces ombres, mais jamais elle n’y est parvenue. Une force immense la bloquait à chacune de ses tentatives. Un soir, je l’ai surprise au milieu d’une incantation particulièrement maléfique qui aurait pu avoir des conséquences désastreuses pour toi, mais aussi pour tout ton entourage. C’est à ce moment que j’ai décidé d’agir. J’ai profité de la concentration méditative requise par le sortilège pour la tuer.

— Mais comment as-tu pu réussir à l’atteindre alors que tu étais privée de la vue ?

— De la même façon que je peux prendre tes mains sans devoir tâtonner. Avec la magie qui habitait ma mère, je pouvais la voir aisément.

— Je ne connais peut-être rien à la magie, mais il me semble qu’une sorcière doit savoir se protéger contre ce genre d’attaque, non ?

— Ma mère a toujours été aveugle à sa façon. Pour elle, je n’étais qu’une fille gâtée sans aucun avenir dans notre sororité. Elle me pensait faible et sans pouvoirs parce que je ne voulais pas adhérer à leurs principes cruels. J’étais pourtant toujours dans ses jupes, apprenant avec elle du fruit de ses recherches. Je crois que mon esprit plus ouvert m’a même permis de la surpasser dans ce qu’elle appelait la magie grise. Je crois que c’est grâce à elle si je peux voir à ma façon le monde qui m’entoure.

— Tu peux me dire comment tu l’as tuée ? Si je dois me défendre contre d’autres membres de cette sororité dont tu parles, cela pourrait m’être utile.

— Je doute que tu sois de taille à affronter des sorcières comme ma mère pour le moment, mais je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir pour t’aider. Cependant, tu vas devoir me faire confiance. Tu crois pouvoir y parvenir ?

Encore une fois, le silence règne pendant de longues secondes dans l’habitacle. Blessée de ne pas réussir à obtenir ce qu’elle désir tant, Ava retire lentement ses mains, résignée. À sa grande surprise, Sarah les saisit et les attire à elle.

— Je veux bien essayer.

Les mots prononcés par l’adolescente agissent comme un baume sur le cœur de son amie. Sans réfléchir, celle-ci bondit de son siège et atterrit près de sa compagne qu’elle serre dans ses bras, sa joue posée contre la sienne. Réalisant pleinement son geste après une moment, elle se sent rougir et tente de s’éloigner. À son grand étonnement, Sarah la retient contre elle, appuyant son corps contre le sien, lui provoquant une vague de frissons.

Gênée par l’impulsivité de son geste, Sarah se confond alors en excuses.

— Je suis désolée. Tout est confus dans ma tête et j’ai l’impression de perdre le contrôle sur moi-même. Je peine à comprendre ce que je ressens. Une partie de moi crie de te fuir, toi et cet univers magique qui m’échappe. Pourtant, une autre hurle de profiter de cette incroyable chance qui m’est donnée. Je suis complètement perdue. Est-ce la pitié qui te pousse à rester près de moi ?

Craintive à l’idée de froisser son amie avec sa question, Sarah ne pouvait pas s’attendre à la réaction qui suit. En un éclair, elle sent des lèvres chaudes se déposer sur les siennes. Plutôt que de se reculer, elle se surprend à poser ses mains derrière la tête de sa compagne, maintenant le contact de leurs lèvres entrouvertes pendant un long moment.

Lorsqu'elles se séparent au bout de ce surprenant baiser, les deux amies s'observent sans parler jusqu'à ce que la voiture s'immobilise. Dans l'esprit de Sarah, la confusion est totale.

« Que m'arrive-t-il ? » pense-t-elle.