Fyctia
11-Passés entremêlés
« J’ai connu ta grand-mère. »
Malgré la quantité de questions torturant l’esprit de Sarah, l’idée qu’Ava ait pu connaître sa grand-mère vient toutes les effacer. Ne sachant elle-même presque rien de sa regrettée ancêtre, c’est tout un maëlstrom étourdissant de nouvelles interrogations qui surgissent.
— Comment peux-tu savoir qui était ma grand-mère ? demande-t-elle, ses jambes menaçant de céder.
Sur le visage de son amie, la consternation efface la joie des derniers instants qu’elles ont partagés. L’adolescente n’a pas besoin de lire les pensées pour savoir qu’Ava s’inquiète d’en avoir trop dit.
— Je ne crois pas que c’est le meilleur moment, commence-t-elle d’une voix mal assurée.
— Je ne te laisse pas le choix ! explose Sarah. Tu ne peux pas me balancer un truc pareil sans t’expliquer. J’ai à peine connu cette femme puisque sa fille la détestait de tout son être. Tout ce qui me reste d’elle est ce médaillon étrange que ma mère a tenté de faire disparaître à de nombreuses reprises en me disant qu’il allait me rendre folle. Parle-moi, je t’en supplie !
— Je ne peux rien te dire ici, je suis désolée. Par contre, si tu es prête à manquer les cours de l’après-midi, nous pouvons aller chez moi.
Sans même répondre, Sarah lève le bras et hêle avec empressement un taxi qu’elle apperçoit plus loin sur la route. Énervée, elle l’attend en tapant du pied, faisant de son mieux pour calmer la tempête dans sa tête. Un contact doux sur sa main la fait sursauter. Elle remarque alors le visage d’Ava à quelques centimètres du sien, son regard vert posé sur elle.
— Sarah, je t’en prie, calme-toi. Je sens ton anxiété qui grimpe en flèche. Tu dois vraiment apprendre à contrôler tes émotions. Elles représentent un danger dont tu n’es pas consciente.
— Comment veux-tu que je me calme !? Voilà seulement quelques heures que je te connais et je découvre que tu as un regard plus perçant que le mien malgré ta cécité, tu sembles lire les pensées des gens et tu connais des éléments de mon passé que j’ignore moi-même ! Sans parler de ta générosité à mon égard alors que tu ne me connais pas !
— Je sais que cela fait beaucoup de surprises, mais je te promets que tout ceci arrive pour le mieux. Je n’ai pas l’intention de te faire du mal, je veux seulement t’aider.
— Voilà exactement ce que dirais une psychopathe pour attirer sa victime dans un piège ! Je suis complètement folle d’accepter de te suivre.
Frappée par la dernière affirmation de Sarah, Ava lâche sa main et recule d’un pas, blessée. Le taxi choisit ce moment pour s’immobiliser devant les deux adolescentes. À bord du véhicule, la conductrice les regarde d’un air excédé ne démontrant aucune empathie face à leurs visages déconfits.
— Vous montez ? lance-t-elle avec impatience.
Hésitante, Sarah décide néanmoins de prendre place dans le véhicule, suivie d’Ava après qu’elle ait repliée sa longue canne blanche. Celle-ci donne son adresse et reste ensuite silencieuse après avoir laissé échappé un long soupir.
Au bout de quelques minutes qui paraissent interminables pour Ava, Sarah pose doucement la main sur la sienne, la faisant frémir imperceptiblement.
— Excuse-moi, je me suis emportée tout à l’heure. Je ne pense pas que tu es une psychopathe.
Rassurée par le contact sur sa main, Ava pose l’autre sur celle de son amie avant de répondre.
— Je ne peux pas t’en vouloir. Je ne suis pas très diplomate dans mon approche, je le reconnais. Tu m’as dit que les gens te trouvent étrange, mais tu réalises maintenant que je te surpasse en la matière. Je regrette de t’avoir innondée d’informations sans prendre en considération l’effet qu’elles allaient avoir sur toi. C’est plutôt à moi de m’excuser.
— Si tu ne souhaites plus m’offrir le logement, je comprendrai. J’aimerais toutefois que tu me dises ce que tu sais de ma grand-mère avant de me chasser de chez toi.
Incapable de contrôler ses émotions, Sarah sent une larme couler sur sa joue et un hoquet fait brusquement sursauter sa poitrine. Ava lâche alors sa main et passe son bras autour de ses épaules, l’attirant vers elle. L’adolesente laisse alors tomber sa garde et pose sa tête sur son épaule.
— Mon offre tient toujours, Sarah. J’aimerais t’offrir la chance de te construire la vie que tu mérites. J’en sais très peu sur toi, mais je peux te dire que ta grand-mère était une personne magnifique. Elle n’avait rien d’une folle, je peux t’en assurer.
— Comment peux-tu en être certaine ? Elle est morte quand j’avais six ans et toi tu ne pouvais pas être tellement plus vieille à cette époque.
— J’avais huit ans quand je l’ai rencontrée. Toutefois, ma mère m’a toujours dit que j’avais une vieille âme pour mon âge. Déjà à cette époque, je possédais une sensibilité exceptionnelle, même si je ne la maîtrisais pas encore. J’avais aussi mes yeux à cette époque.
— Puis-je au moins savoir pourquoi tu étais avec elle ?
— Je vais te le dire, mais pas ici. Certains sujets ne peuvent être discutés en présence de n’importe qui.
À ces mots, la conductrice lève le regard et observe avec insistance les deux adolescentes. Arrêtée à un feu rouge, elle se permet d’intervenir.
— Ne t’inquiète pas ma jolie, je ne suis pas du genre à transmettre les ragôts de mes clients. Laisse-toi aller et crache le morceau !
Sans un mot, Ava lève alors ses billes émeraudes qui croisent le regard de la conductrice posé sur elle. Appuyée sur son épaule, Sarah ne peut voir l'échange visuel, mais une exclamation étouffée lui parvient de l’avant du véhicule. Sa partenaire prend alors la parole.
— Madame, je vous prie de vous concentrer sur la route sans vous mêler de ce qui ne vous regarde pas. Moi et mon amie allons descendre à la prochaine intersection.
Intriguée, Sarah se demande pourquoi Ava vient soudainement de changer leurs plans. Sans la questionner, elle attend que le véhicule s’immobilise peu après le changement du feu de circulation et descend à sa suite. Avant-même qu’elle puisse se retourner pour payer sa course, le taxi démarre et s’éloigne.
— Elle est partie sans être payée ! s’exclame-t-elle.
Sans surprise apparente, Ava répond calmement à son amie.
— C’est mieux ainsi. Cette femme était trop curieuse.
— Et voilà qui s’ajoute au lot des surprises du jour ! ajoute Sarah avec ironie.
— Je préfère te dire qu’il y en aura d’autres. Sache que, parfois, les gens qualifient de folie tout ce qu’ils ne comprennent pas. Ta grand-mère était tout sauf folle, tu peux en être certaine. Y a-t-il un autre taxi dans les environs ?
Pendant un instant, Sarah observe les environs à la recherche d’un transport et ce dernier se présente sous la forme d’un Uber qui dépose un client à quelques blocs de leur position. Elle se précipite donc à sa suite pour retenir le conducteur.
Lorsqu’Ava la rejoint, elle pose sa main dans la sienne et approche sa bouche de son oreille.
— Évitons de discuter cette fois, tu veux bien ?
— Je devrais trouver un brin de patience quelque part dans mon sac.
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