Fyctia
2-Une nuit comme les autres
Réveillée avant même d’entendre l’alarme réglée sur sa montre, Sarah ouvre les yeux et observe le médaillon dans sa main.
3h30
Depuis maintenant sept ans, l’adolescente se réveille toutes les nuits à cette heure, bien décidée à ne jamais plus baisser la garde. La poitrine serrée, elle lance un regard au contenu de son autre main.
Une petite photo.
Le maigre souvenir qu’elle conserve de sa regrettée mère, cette femme qui a trop tardé à croire en ce mal qui la ronge depuis aussi longtemps qu’elle se souvienne.
La pauvre a payé de sa vie son incrédulité.
3h31
Concentrée sur le pendentif, Sarah récite mentalement les quelques mantras qu’elle a extrait de ses trop nombreuses lectures sur le spiritisme, seul sujet qui la passionne depuis toujours.
« Esprits mauvais, je vous chasse de mes pensées. Vous n’êtes pas les bienvenus dans ce monde qui est le mien. Que la lumière vous entoure et vous garde loin de moi. Que votre essence se dissipe dans les nimbes de l’Oubli. Que votre colère se dissipe et que votre rage sombre dans la mer des larmes que vous avez fait couler. Je reconnais votre existence, mais n’accepte pas votre présence. »
3h33
Le regard figé sur sa montre, l’adolescence réprime le frisson qui menace de la prendre à cette heure redoutée. Refusant de cligner des paupières et retenant sa respiration dans la tension de l’instant, elle attend avec urgence la matérialisation de son salut.
Le feu dans sa poitrine monte en crescendo douloureux et ses yeux piquent de la sécheresse qui s’installe, mais elle tient bon.
3h34
Enfin, voilà le trio infernal brisé une fois de plus. Depuis le temps, le quatre est devenu son chiffre préféré et ce n’est qu’à sa vue qu’elle s’accorde cette inspiration tant attendue. Épuisée, elle s’enfonce dans son matelas, les mains serrées sur le médaillon et la photo qui le recouvre.
Tout va pour le mieux, elle n’a pas baissé la garde une fois de plus.
C’est ainsi chaque jour de sa triste vie et cela ne changera jamais.
Il en va de sa survie après tout.
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Réveillée par le brouhaha habituel qui règne dans l’orphelinat, Sarah se lève lentement et se dirige vers la grande armoire située en face de son lit. Les yeux à demi fermés, elle prend au hasard une paire de pantalon en denim et un blouson du même tissu. Elle saisit ensuite un chandail de coton pour compléter l’ensemble.
Nul besoin de s’arrêter pour faire un choix éclairé puisque tout est noir.
Tel un mort-vivant avançant droit devant sans but précis, l’adolescente pénètre la salle de bain attenante à sa chambre. Sur ce point, elle est chanceuse puisque la plupart des chambres ne possèdent pas ce luxe.
Malheureusement, la chance vient rarement seule.
À la seconde où elle pointe son nez, cette sournoise vient avec sa copine : l’envie.
Le jour où cette chambre lui a été assignée, Sarah à hérité du qualificatif de « chouchou » et cela vient avec son lot de commentaires blessants et de plaisanteries de mauvais goût. Déjà mise de côté à cause de ses différences, cela contribue chaque jour à faire de la vie de l’adolescente un enfer.
Parlons de ces différences. D’abord, elle est arrivée à l’âge de dix ans au milieu de cette « famille » peu commune. Ce n’est pas l’idéal pour s’intégrer. Ensuite, avec ses cheveux d’un noir ébène, sa peau quasi translucide tellement elle est blanche et ses yeux ambrés, elle projette une image difficile à oublier. Certains diront même qu’elle fait peur. Si on complète avec le fait qu’elle craint un phénomène que personne ne perçoit, disons que cela fait un ensemble pour le moins lourd à porter pour une jeune femme.
Un bruit peu ragoûtant parvient alors aux oreilles de la jeune femme occupée à enfiler ses habits. Au travers du mur mince qui donne sur la salle de bain commune de l’étage, elle entend clairement au moins deux personnes en train de recracher leur petit déjeuner.
D’autres suivront, ce n’est qu’une question de temps.
Un sourire mauvais étire ses lèvres alors qu’elle les noircit soigneusement.
« C’est fou combien l’herboristerie est une science intéressante ! » songe-t-elle avec amusement.
Pendant qu’elle couvre ses paupières d’un fard pourpre sombre, Sarah écoute attentivement les échos transmis par les murs. Au moins une dizaine de personnes se sont succédés dans les cinq dernières minutes, pressés d’évacuer le contenu de leur estomac par tous les moyens biologiquement possibles.
« Pour une fois, plusieurs seront aussi blêmes que moi aujourd’hui. », pense-t-elle avec satisfaction.
L’adolescente complète son attirail avec deux bracelets de cuir et une lourde bague représentant un pentagramme, son symbole fétiche. Elle place ensuite dans sa poche le petit sac d’herbes séchées laissé sur le bord de l’évier, histoire d’effacer les traces de son méfait.
Pour les personnes curieuses et passionnées, le sac en question contient les restes des écorces fraîches de Rhamnus Frangula qu’elle a acquise il y a quelques jours. Avec la quantité qu’elle a déposé dans la marmite d’avoine plus tôt aux aurores, il est clair que la santé intestinale des pensionnaires sera à son sommet pour au moins trois jours !
De son côté, Sarah se privera de repas comme elle le fait le plus souvent le matin.
Comment pourrait-elle manger tranquillement après une nouvelle nuit passée partiellement éveillée pour éviter les cauchemars qui la hantent en plus de ces fichues ombres ?
Faisant écho à ses pensées, l’adolescente réprime un tremblement alors que résonne dans sa tête le hurlement que fut le dernier souffle de sa mère.
Une larme coulant le long de sa joue, Sarah descend l’escalier et sort de l’orphelinat, ignorant les appels répétitifs des éducatrices indignées par son accoutrement qu’elles jugent bien évidemment inapproprié.
Pour elle, il agit comme une armure contre ce qu’elle s’apprête à affronter : l’arrivée dans une nouvelle école alors qu’elle entre en terminale. Pourquoi un changement si près du but pourriez-vous demander ? Tout simplement parce qu’elle a été renvoyée de l’établissement précédent.
Encore.
À quelques semaines de sa majorité, c’est la dixième école de son parcours pour le moins accidenté. Je sais, vous voulez tous savoir pourquoi elle s’est fait exclure. Avouez que vous avez quelques hypothèses en banque, mais je vais vous expliquer.
Sarah vit avec une colère qu’elle peine à contenir et celle-ci explose le plus souvent en vengeances pour le moins déroutantes envers les personnes qui choisissent de la persécuter. La plupart du temps, elle agit dans l’ombre – elle est bien placée pour en comprendre les méandres – mais il lui arrive aussi d’être impulsive. Or, briser le nez d’un jeune homme en terminale au milieu de la cafétéria est un exemple assez explicite de son impulsivité.
Et un motif valable de renvoi, il en va de soi.
Voilà, vous savez maintenant pourquoi elle change d'école.
Pensez à prier pour qu'elle puisse au moins y rester pour une année entière.
Car, non, ce n'est pas gagné d'avance.
94 commentaires
Lyaure
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Il y a 2 ans
cedemro
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Il y a 2 ans
La Plume d'Ellen
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Il y a 2 ans
Sylvie Marchal
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Il y a 2 ans
cedemro
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Il y a 2 ans
Gottesmann Pascal
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Il y a 2 ans
cedemro
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Il y a 2 ans
Hell-vixen
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cedemro
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Il y a 2 ans
LénaD
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Il y a 2 ans