Fyctia
Chapitre 2
À peine eus-je saisi la main que la femme me tendait que les flammes se rallumèrent autour de nous, nous enveloppant sans nous brûler. La jeune fille blonde se tenait droite à côté de moi, le regard déterminé.
Le décor se modifia ; je me retrouvai dans une étroite pièce de cristal, difficilement assez grande pour toutes nous contenir. Ses murs étaient d'une telle transparence qu'ils en étaient presque imperceptibles. À travers, nous pouvions voir une vaste étendue d'eau dans laquelle se mouvaient d'innombrables poissons aux couleurs et tailles multiples. Je retins un hoquet de stupéfaction. Nous étions en plein cœur de l'océan. Totalement émerveillée, je posai mes mains sur la paroi, tout en sentant mon cœur se serrer d'émotions. Je n'avais jamais vu l'océan en vrai ; j'en avais entendu parler dans les livres, au Pensionnat, je l'avais admiré sur des photos et des tableaux, mais jamais de mes propres yeux. Le Pensionnat était situé à Maelis, une ville au centre du continent. Inutile de préciser que je n'y suis jamais allée en vacances... Cela a toujours été l'un de mes rêves.
— On est dans l'Océan de l'Infini, à une vingtaine de milliers de kilomètres de Maelis et à près de six mille mètres en dessous du niveau du sol, me précisa la jeune fille blonde en s'approchant de moi.
Je me retournai, complètement estomaquée. Elle sourit, amusée par le regard que je lui lançai, et me saisit doucement la main.
— Viens, nous devons rentrer à l'intérieur. Même ici, ce n'est pas totalement sûr.
Je fronçais les sourcils.
— Où à l'intérieur ? Nous sommes au milieu de nulle part !
Elle sourit davantage et m’emmena au milieu de la pièce, au centre d'une rosace gravée dans le cristal, sur laquelle se tenait la Grande Messagère. Quatre gardes armés jusqu'aux dents y étaient postés, aussi immobiles que des statues. Mais, alors que j'observai la belle femme ailée, d'un coup, sa ressemblance avec la jeune fille me sauta aux yeux et l'évidence me frappa. Elle et cette jeune fille si affectueuse étaient mère et fille.
Après avoir jeté un ordre silencieux aux gardes, qui reculèrent aussitôt, la femme ferma les yeux. La rosace s'illumina de symboles qui m'étaient incompréhensibles, puis, soudainement, la lumière fut si forte que je dus fermer les yeux.
Quand je les rouvris, je crus pendant un instant me trouver à Lytenis, le paradis aux mille étoiles. Mais je pouvais sentir mon cœur battre dans ma poitrine, preuve suffisante pour me convaincre que j'étais encore bien vivante.
Je me tenais au milieu d'une immense plaine, sur une large plateforme de pierre, avec une réplique exacte de la rosace sous mes pieds. Autour de nous, un paysage idyllique : nous étions dans une gigantesque grotte aux parois recouvertes de pierres précieuses.
La voûte était à des centaines de mètres au-dessus du sol et un véritable bouquet de cristaux blancs y était accroché, reproduisant les rayons du soleil. Des îles flottaient au-dessus du vide, reliées entre elles par des passerelles de bois d'où de longues lianes se laissaient pendre, gorgées de fruits. Au sol, un immense tapis de verdure, composé d'une forêt d'arbres immenses et de vastes plaines. Un lac et d'interminables chutes d'eau occupaient le fond de la grotte, bordés d'une plage de sable blanc et chaud. Des rochers recouverts de gemmes étincelantes dépassaient de la surface et l'on pouvait parfois apercevoir des créatures marines se mouvoir dans l'eau.
Je titubai légèrement, ne sachant plus où regarder.
La grande messagère posa sa main sur mon épaule dans un geste affectueux, et d'une voix solennelle, me souhaita :
— Bienvenue dans la Grotte des Légendes...
⋅∙✶⦁☾⦁✶∙⋅
Reprenant mes esprits, je relevai la tête et plantai mon regard dans celui de la femme.
— J'aimerais qu'on m'explique ce qui s'est passé, qui vous êtes et surtout, surtout ce que je fais là.
La femme glissa un regard à sa fille, et lui pria :
— Tu veux bien nous laisser seules, s'il te plaît ?
La concernée opina et courut rejoindre un bâtiment de marbre blanc incrusté dans la roche de la grotte. Un grand loup noir l'y attendait, remuant gaiement la queue.
Isira se rapprocha de moi et me dépassa, s'enfonçant dans la grotte.
— Viens, allons marcher.
Je ne dis rien et la suivis, le cœur battant de plus en plus vite.
Après plusieurs instants de silence, elle prit enfin la parole.
— Je vais commencer par t'expliquer qui était vraiment cet Ecanus Gamor, et ce qu'il te voulait. Tu as sûrement remarqué que son apparence a changé, lorsqu'il nous a attaquées. (J'approuvai.) C'est parce qu'il possédait le pouvoir de métamorphose. En réalité, son nom est Xaraun et il travaille pour Archaos, un homme vil et cruel qui, depuis sa réapparition, cherche à te retrouver.
— Pourquoi moi ? Pour quelle raison ? fis-je, un frisson me parcourant l'échine.
— Il... (elle sembla hésiter.) Il a, de ce que je crois, deux motivations ; se venger et récupérer quelque chose que tu posséderais.
— Mais je n'ai rien ! m'affolai-je. Je suis orpheline, tout ce que j'avais sur moi lorsque l'on m'a trouvée, ce n'était qu'un drap. Et depuis ce jour, tout ce que j'ai appartient au pensionnat.
Elle garda le silence.
— Et pourquoi voudrait-il se venger ? Je ne connaissais même pas son nom avant de l'avoir entendu, c'est-à-dire à l'instant !
Isira s'arrêta de marcher et me saisit les mains, plantant son regard bleu azur dans le mien.
— Toute cette histoire remonte à bien longtemps. Elle a commencé bien avant ta naissance.
— Mes parents... murmurai-je.
— Mais il faut que tu saches, m'interrompit-elle en éludant ma question, que tu cours un grand danger. Archaos représente une immense menace, la plus grande depuis dix-huit ans.
Mon cœur fit un bond, alors que ses paroles résonnaient dans sa tête.
— « La Nouvelle Aurore », cela te dit quelque chose ?
J'acquiesçai. Oui, bien sûr que je connaissais, comme tout le monde sur Amoris. C'est la mystérieuse Aura de lumière qui a une nuit traversé le ciel, repoussant ainsi toutes les Ombres, d’horribles dragons noirs et les responsables du plus grand massacre de notre histoire.
— Tu en es la cause. C'est toi, alors que tu n'étais qu'un nourrisson, qui l'a créée.
Mon cœur rata un battement. Ma bouche s'ouvrit en grand, mon cerveau refusant d'assimiler l'information. Je rêve ? Je secouai la tête, espérant reprendre mes esprits.
— Vous devez vous tromper de personne. Je n'ai jamais eu de pouvoirs de ma vie, et je n'en aurai sans doute jamais. C'est impossible, affirmai-je d'une voix tremblante.
Mon ventre se tordit d'angoisse, et un doute s'insinua en moi.
— Lorsque je t'ai trouvée, poursuivit-elle sans prêter attention à mes paroles, tu pleurais, couchée à même le sol au milieu d'une forêt qui brûlait... ta mère gisait à tes côtés.
Je lâchai un sanglot, me retenant vainement de pleurer. Isira ferma les yeux, la voix moins assurée, ses mains me serrant plus fort.
— Vous connaissiez mes parents ? Qui a tué ma mère ?
— Je connaissais ta mère, oui. Mais je crois que tu connais déjà la réponse à ta seconde question, fit Isira, les yeux emplis de pitié.
Je baissai la tête, espérant que mes cheveux dissimuleraient mes yeux rouges.
— Et mon père... comment ? réussis-je à prononcer, malgré ma gorge serrée.
Ma voix se brisa et la première larme coula sur ma joue.
Isira secoua la tête.
— Votre maison s'est écroulée, les murs étaient trop fragilisés par le feu. Ton père était à l'intérieur.
Je portai ma main à ma bouche. Mon dos se courba et je gémis, sentant couler les larmes sur mes joues. Savoir que l'on est orpheline est une chose ; apprendre comment et pourquoi en est une autre. Je n'aurais jamais pensé que cela pouvait être aussi douloureux ; je n'ai pourtant aucun souvenir de mes parents. Pourquoi cela faisait-il aussi mal ?
Isira me prit dans ses bras. Je ne résistai pas, trop secouée pour réagir d'une quelconque façon.
— Après cela, j'ai pensé que te laisser tes pouvoirs était un trop grand risque ; tu n'étais qu'un bébé, tu ne pouvais pas les contrôler. Et maintenant qu'il n'y avait plus personne pour s'occuper de toi et te protéger... Un Traceur t'aurait retrouvée facilement.
— Un Traceur ?
— C'est le nom que l'on donne aux personnes chargées de trouver les enfants précoces. La précocité magique est synonyme de puissance, tu le sais bien.
— Et qu'est-ce qui leur arrive ? m'enquis-je, la gorge encore serrée. À ces enfants précoces ?
— Ils sont soit recueillis par le Royaume pour en faire de puissants agents agissant sous son ordre... soit éliminés. J’ai donc placé en toi un sceau qui emprisonne la magie produite par ton corps jusqu'à ce que tu aies dix-huit ans, afin de te protéger.
Qui... emprisonne ma magie ?
Je fermai les yeux, tentant d'assimiler toutes les informations, quand ses paroles prirent soudainement tout leur sens.
— Vous... vous voulez dire que... même sans pouvoir, je produis tout de même de la magie ?
— Oui. Et tu auras ton pouvoir d'ici un jour, ou deux, confirma-t-elle d'un ton grave.
Je n'étais donc pas folle, quand j'avais ce sentiment qu'il y avait de la magie en moi.
— Mon anniversaire est dans deux semaines, corrigeai-je.
— Je t'ai déposée à l'orphelinat alors que tu n'avais que deux semaines. Ton véritable jour de naissance est demain.
Je vacillai, un voile passant devant mes yeux.
— C'est beaucoup d'informations à intégrer d'un coup, me rassura-t-elle d'une voix compréhensive. Je pense que tu devrais t'asseoir.
Je hochai la tête et me laissai tomber dans l'herbe, entourant mes genoux avec mes bras et m'efforçant de retrouver un rythme respiratoire normal. Isira s'agenouilla silencieusement à mes côtés.
— Veux-tu que l'on réponde à tes autres questions ?
Je relevai le menton et lui signifiai mon accord d'un hochement de tête. Elle opina et retrouva un semblant de sourire.
— Je suis Isira Orzirel, onzième Grande Messagère des Légendes. Ma mission est de trouver et former les Gardiennes des Légendes et, en leur absence, de jouer le rôle d’intermédiaire entre les Légendes et le peuple. Quant à la jeune fille blonde qui nous accompagnait tout à l'heure, ma fille, Xerys, elle est une Xemehys. Ta Xemehys.
Je mis ma tête entre mes mains. Tout se mélangeait et s'embrouillait, me causant un mal de crâne impossible. Je mis ma main devant moi, lui indiquant de ralentir.
— Je ne comprends rien ! m'énervai-je. Qu'est-ce que cette Gardienne ? Et ces Légendes ? Et une Xemehys ?
La colère, la tristesse et l'angoisse provoquées par toutes ces révélations commençaient à se confondre, et moi, à perdre patience.
Isira posa une main réconfortante sur mon épaule, m'incitant à me calmer.
— Lorsque tu as rencontré ma fille toute à l'heure, et qu'elle t'a demandé de nous suivre, tu n'as pas eu peur ; tu as senti que tu pouvais lui faire confiance, n'est-ce pas ?
Je hochai la tête, les paupières closes.
— C'est normal. Une Xemehys est un être chargé de protéger la personne avec laquelle elle est liée. Elles sont peu nombreuses et les personnes auxquelles elles ont été unies ont généralement un destin extraordinaire, mais nécessitant une protection. Visiblement, cela doit être ce qui t'attend, sinon Xerys n'aurait pas été appelée, énonça-t-elle en me fixant sérieusement.
Je baissai la tête, me concentrant pour retenir tout ce qu'elle me disait. Mon corps entier se tendait à mesure qu'elle avançait dans ses explications, et la peur serrait mes entrailles. J'avais la sensation que quelque chose d'énorme s'était imposé sur mes épaules ; quelque chose dont je ne pourrais plus jamais me défaire.
— Quant aux Légendes... ce sont des sortes d'esprits élémentaires, sans forme distincte. Personne n'a jamais vu leur réelle apparence ; nous ne connaissons que celle qu'elles aiment prendre : des Licornes. Il en existe huit, chacune représentant un élément essentiel de notre Univers : l'eau, la terre, le feu, l'air, l'espace... celles-ci sont sous la gouvernance des trois restantes ; les Essentielles, reconnaissables à leurs ailes : la Légende de mort, de vie et... celle de Magie, la plus importante de toutes.
— Donc la Gardienne des Légendes est censée les protéger... c'est cela ? émis-je, peu sûre.
Isira rit faiblement.
— Oui... et non. Ce sont elles qui nous ont créés. Ne t'inquiète pas, elles savent se défendre ! Mais la Gardienne des Légendes doit protéger le noyau central de notre planète, l'endroit dans laquelle elles résident et puisent leur force. Donc on va dire que oui, indirectement, elle les protège. Tu dois sûrement savoir que le noyau produit le bouclier magique qui protège Amoris d'un danger extérieur potentiel, et nous permet d'utiliser la magie... Sa protection est donc d'autant plus importante.
Je fronçais les sourcils.
— Mais... je ne comprends pas ; d'après ce que j'ai compris, elles sont extrêmement puissantes. Pourquoi ne protègent-elles pas le noyau elles-mêmes ? m'enquis-je, perdue.
— Parce que le noyau tire sa magie de leurs pouvoirs. Si elles l'utilisaient pour le protéger cela créerait un paradoxe, de la même manière qu'une âme qui se rencontrerait elle-même ; c'est tout simplement impossible. La magie en serait alors perturbée et les conséquences pourraient être désastreuses... C’est pour cela que les légendes placent une petite partie de leur pouvoir en une personne qu’elle juge digne, afin qu’elle accomplisse ce qu’elles ne peuvent pas faire d’elles-mêmes.
Devant mon regard perdu, elle me rassura :
— Calme-toi, je sais bien qu'il est impossible que tu intègres tout cela ce soir. Tu auras tout le temps de mémoriser cela dans les jours qui suivront...
— Je vais rester ici combien de temps ? l'interrompis-je, me redressant vivement.
— Aussi longtemps que durera ta formation.
Je me relevai, refusant de comprendre. Isira se leva à son tour, rivant son regard dans le mien ; tout sourire avait quitté son visage.
— Seira... tu as été choisie pour être la nouvelle Gardienne des Légendes.
5 commentaires
Miel Heavenfort
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Il y a 3 ans
Manon🌙
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Il y a 3 ans
Camille Jobert
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Il y a 3 ans